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samedi 28 février 2015

L'ÉNIGME DE LA LOCALISATION D'ALÉSIA

Tous les écoliers savent que Vercingétorix a été battu par César à Alésia, en l'an 52 avant J.C. Mais où se situe Alésia ? Cette question a fait couler beaucoup d'encre et a déchaîné beaucoup de passion. En fait la seule source fiable (au moins pour ce qui concerne les aspects géographiques) est le récit de César dans La guerre des Gaules.





Que dit César dans La guerre des Gaules (Livre VII, §69, traduction Nisard 1865) 

(1) [Alésia] était située au sommet d'une montagne, dans une position si élevée qu'elle semblait ne pouvoir être prise que par un siège en règle. (2) Au pied de cette montagne coulaient deux rivières de deux côtés différents. (3) Devant la ville s'étendait une plaine d'environ trois mille pas de longueur ; (4)sur tous les autres points, des collines l'entouraient, peu distantes entre elles et d'une égale hauteur. (5) Sous les murailles, le côté qui regardait le soleil levant était garni, dans toute son étendue, de troupes gauloises ayant devant elles un fossé et une muraille sèche de six pieds de haut. (6) La ligne de circonvallation formée par les Romains occupait un circuit de onze mille pas. (7) Notre camp était assis dans une position avantageuse, et l'on y éleva vingt-trois forts, dans lesquels des postes étaient placés pendant le jour pour prévenir toute attaque subite ; on y tenait aussi toute la nuit des sentinelles et de fortes garnisons.

Jusqu'au XIXième siècle, l'dentification de Alésia avec la commune d'Alise-Sainte-Reine n'est pas contestée.

Alise-Sainte-Reine est une commune située dans le département de la Côte-d'Or en Bourgogne, qui compte aujourd'hui 600 habitants environ. Elle est dominée par le mont Auxois (180 m), qui est le site présumé de l'oppidum gaulois d'Alésia.



L'identification avec Alésia est essentiellement basée sur l'analogie typonomique et par quelques fouilles effectuées sur le mont Auxois. Ces fouilles, et d'autres effectuées plus tard, ont montré que, Alésia ou pas, ce site a été incontestablement un site gallo-romain.

L'hypothèse d'Alaise au XIXième siècle

Alaise (ne pas confondre avec Alise) est un village du Jura situé au sud de Besançon.



La première revendication en faveur d'Alaise, en 1855, fut celle de l'archéologue Eugène Delacroix qui se basait essentiellement sur une ressemblance phonétique et sur la découverte de tumuli  (tertres de pierres et de terre d'origine artificielle) cachant des armes.

Il s'avèrera plus tard (au XXième siècle) :

  • d'une part que, d'un point de vue linguistique il n'est pas possible qu'il y ait eu un "glissement phonétique" de Alésia vers Alaise,
  • d'autre part que les armes trouvées dans les tumuli sont largement antérieures à l'époque de la bataille d'Alésia (âge du bronze).

Mais une brèche est ouverte : pour la première fois le site d'Alise-Sainte-Reine est contesté.

L'intervention de Napoléon III

En 1861, l'empereur Napoléon III, passionné par l'histoire romaine, fait effectuer des fouilles sur le site d'Alise-Sainte-Reine et du mont auxois.


Ces fouilles ont été dirigées par le colonel et archéologue Eugène Stoffel. Elles se sont principalement attaché, sur la base des informations de César, à retrouver les installations militaires (contrevallations, pièges, dispositifs de défense, etc.).

Ces fouilles ont semble-t-il été effectuées avec beaucoup de rigueur mais ont été peu documentées à l'époque, d'autant plus que la guerre de 1870 a limité les débats archéologiques.

Le XXième siècle : la méthode de André Berthier  et l'hypothèse de Chaux-des-Crotenay

Bien plus tard, dans les années 60, l'archéologue André Berthier s'empare du problème.



Il met au point une méthode, dite du "portrait-robot" consistant à dresser la liste de 40 caractéristiques géographiques qui sont des conditions sine qua non pour qu'un site puisse revendiquer le titre Alésia

Sa première conclusion est que, ni Alise-Sainte-Reine, ni Alaise ne sont des candidats acceptables. Il est particulièrement sévère avec le site d'Alise Sainte-Reine (qui tend à devenir le site officiel depuis l'intervention de Napoléon III) dont il dit qu'il est "en nette discordance" avec le portrait robot.

Muni de centaines de cartes d'état-major du centre-est de la France, il a examiné tous les sites possibles répondant à son portrait-robot et aux informations de caractère stratégique fournies par César.

Cette recherche objective le conduit à ne retenir qu'un seul site possible :  le village de Chaux-des-Crotenay, dans le Jura.




Malheureusement, il se heurte à l'intransigeance de l'administration qui lui refuse obstinément le droit de faire des fouilles de grande ampleur et n'obtient que des autorisations limitées et de courte durée, réalisées par des bénévoles avec de très faibles moyens.

Aucune autorisation de fouilles n'a été accordée depuis 1983. L'association ArchéoJuraSites a hérité des archives et documents rassemblés par André Berthier jusqu'à son décès en 2000, et par les membres bénévoles qui lui ont succédé, menés par Danielle Porte, latiniste et historienne à la Sorbonne, spécialiste de l’Antiquité romaine. Cette association continue sur le terrain ses travaux en faveur de l'identification, du repérage, de la mémoire et de la valorisation des vestiges archéologiques du site. 

La consolidation de la version "officielle"

En 1990 le ministère de la Culture décide d'organiser, sous sa direction archéologique, une reprise des fouilles sur le site d'Alise avec une coopération franco-allemande. Ces fouilles s'étaleront sur la période 1991-1997 et seront extrêmement fructueuses.  Un premier rapport est publié en 1993 et un rapport complet en 2001, qui emportera l'adhésion de la plus grande partie de la communauté scientifique. Une grande partie seulement, car en 2014 la polémique va rebondir.

La polémique de 2014

En mai 2014, paraît aux éditions Pygmalion un ouvrage collectif dirigé par Danielle Porte, Alésia, la supercherie dévoilée dont Franck Ferrand a rédigé la préface. L'ouvrage collectif comprend des contributions de Danielle Porte (retraitée de l'Université Paris IV-Sorbonne), Georges Colomb, Eric de Vaulx (vétérinaire), Régis Sébillotte (retraité des sociétés autoroutières), Yannick Jaouen (chargé d'études dans le BTP), Bernard Gay (retraité de l'armée), Jacques Rodriguez (professeur au Conservatoire), René Marchand (journaliste de presse halieutique), Arnaud Lerossignol (secteur bancaire) et François Chambon (architecte). À la suite de cette publication, Frank Ferrand fait paraître dans Le Figaro une chronique sous le titre « Site d'Alésia : admettons la vérité ! ».Les trois enseignants-chercheurs en archéologie et en histoire les plus engagés dans la controverse alisienne (Jean-Louis Brunaux, Yann Le Bohec, Jean-Louis Voisin) répondent le 27 mai à cette chronique : « Non Franck Ferrand, le site d'Alésia n'est pas une supercherie », en argumentant notamment sur le fait que « le Barrington Atlas du monde grec et romain édité par l'université de Princeton qui fait autorité en la matière situe Alésia là où elle doit être, au Mont Auxois. »Franck Ferrand contre-attaque le 30 mai, dans un article intitulé « Site d'Alésia : la mauvaise foi des mandarins », en dénonçant l'amalgame de généralités déversées, qui lui paraissent être « tirées d'une brochure touristique ». Ferrand pointe l'absence de réponses précises aux critiques faites sur de nombreux points de controverse. Il déplore « le survol approximatif et le gloussement satisfait des trois professeurs de la doxa qui citent le Barrington Atlas », et termine son article par cette phrase : « Je gage, au rythme où vont les choses, que Princeton sera dessillée plus tôt que la Sorbonne. »Dans un article du journal Voix du Jura du 15 mai 2014, Danielle Porte, qui a dirigé l'ouvrage "Alésia, la supercherie dévoilée", répond à la question du journaliste : « Comment cet ouvrage a-t-il été élaboré ? » : « Chacun a fait ce qu'il a voulu en fonction de ses propres compétences. La conclusion de l'analyse du matériel qui a été trouvé à Alise, par exemple, c'est que rien ne correspond à la date 52 avant J.-C. Il y a eu quatre sièges à Alise qui ont laissé des traces, des panachages à différentes époques. Mais ils ne correspondent pas à l'époque d'Alésia. Les Alisiens passent leur temps dans un ouvrage de 1,5 kg à dire "on n'est pas sûr, on ne comprend pas ce que tel objet vient faire là, etc." Tout en concluant à la fin : "mais les fouilles ont prouvé qu'Alise était Alésia". Il faudrait qu'ils accordent leurs violons. »


Conclusion

N'étant ni archéologue, ni historien, je me garderai bien d'avoir une opinion tranchée sur la localisation d'Alésia.

Toutefois, au terme de mes lectures, je suis étonné de ne pas avoir rencontré de réfutation claire des arguments donnés par André Berthier puis par Danielle Porte et ses amis pour invalider le site d'Alise.

Je me demande également pourquoi on n'a pas laissé André Berthier engager des fouilles sérieuses à Chaux-des-Crotenay. Dans les sciences dites "dures", aucun politique n'interviendrait au près d'un organisme de recherche pour qu'il interdise des recherches, même (et surtout) sur un sujet qui est hors du paradigme. C'est la méthode qu'a utilisé l'Église avec Galilée ... il y a quatre siècles !

Enfin, je me demande pourquoi ce sujet est sensible et je n'ai pas d'explication. Le lecteur se fera une opinion, non pas à la lecture de cet article succinct mais en se plongeant dans l'abondante littérature existant ce ce thème passionnant.

On n'a pas fini d'entendre parler d'Alésia !


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