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lundi 23 février 2015

VOL DE DROGUE AU QUAI DES ORFÈVRES (FEUILLETON EN x ÉPISODES) - ÉPISODE 5 : LA VIE D'UN GRAND TRICHEUR

L'irruption de Christian Rocancourt dans l'affaire du vol de cocaïne au 36, Quai des Orfèvres a été, on l'a vu dans les épisodes précédents, un rebondissement de taille. Dans son édition du 22 février 2015 le Nouvel Obs consacre un long article, signé par Cécile Deffontaines et Vincent Monnier, à cet escroc hors norme. Cet article n'apprend rien de nouveau sur l'affaire elle-même, mais il éclaire avec un luxe de détails le parcours d'un grand tricheur. En attente de futurs rebondissements il est intéressant de comprendre ce dont est capable Rocancourt avec son exceptionnelle aptitude au boniment. Cela relativise ce qu'il a récemment dit dans une interview au Parisien (cf. épisode précédent).

Je reproduis in extenso, sans autres commentaires, l'article du Nouvel Obs.
J'ai supprimé les sous-titres et les illustrations
Intégralité de l'article : http://tempsreel.nouvelobs.com/justice/20150220.OBS2994/christophe-rocancourt-l-escroc-qu-on-aimait-trop.html


Cette fois-ci, promis, c'est vraiment fini. Terminé les arnaques, les combines, l'attrait pour tout ce qui brille ! Fin 2013, Christophe Rocancourt jure ses grands dieux dans "Paris-Normandie" qu'on ne l'y reprendra plus. Lors de ses interviews, il arbore des lunettes parme d'intellectuel et la bedaine arrondie d'un sage bourgeois de province. Oublié le playboy à la mèche huilée, l'Arsène Lupin toujours prêt à détrousser les riches pour flamber leurs dollars en fêtes et en vins fins.
Cette fois, Christophe Rocancourt ne se présente plus que comme "un paysan" aux pieds bien plantés dans sa grasse terre normande, avec retour à ses racines, du côté de Rouen. Il retape alors une vieille maison en pierre, va chercher chaque semaine son panier à la ferme bio, s'occupe de sa fille, Tess, née de son idylle avec l'ex-Miss France Sonia Rolland. Et passe du temps avec sa compagne de 23 ans, Alexandra, la belle-fille d'un riche entrepreneur. La cinquantaine approchant, l'ex-escroc avait vieilli et tout cela était sûrement vrai.
Mais chez Rocancourt, le vrai est souvent un moment du faux. Incorrigible Christophe... Le voici qui réapparaît, débarrassé de ce costume de gentleman farmer, endossant à nouveau ses vieilles guenilles de prisonnier. Rocancourt est, entre autres, aujourd'hui mis en examen pour "corruption, trafic d'influence" et "blanchiment de trafic de stupéfiants" dans deux surprenantes affaires qui viennent de coûter son siège au patron du 36, quai des Orfèvres. C'est sa dernière prouesse : faire tomber Bernard Petit, le maître du saint des saints de la police judiciaire française.
Dans cette histoire rocambolesque, le casting est de premier plan. On y croise le fondateur du GIGN Christian Prouteau, et l'ancien ministre de Mitterrand Kofi Yamgnane. Prouteau, Rocancourt l'a rencontré jadis sur un plateau de télé. Christophe se flatte d'avoir le bras long. Ses fréquentations – Charles Pasqua et une tripotée de braqueurs repentis – sont comme des médailles scintillant à son revers.
Il aurait tenté d'enrôler l'ex du GIGN pour obtenir des papiers destinés à deux jeunes Marocaines. Son avocat maître Jérôme Boursican explique :
Christophe a un talent : c'est un formidable bonimenteur. Et comme tous les gens de talent, il a besoin de l'exercer."
En octobre dernier, cette histoire de faux papiers le mène dans le quartier VIP de la prison de Fleury-Mérogis. C'est là que Rocancourt a croisé Jonathan, le policier soupçonné d'avoir dérobé 52 kg de cocaïne au 36, en juillet 2014. Un gros scandale pour l'institution policière. "Christophe Rocancourt lui a juste donné des conseils pour placer son argent", explique son avocat. Le poly-escroc, reconverti en conseiller financier ? A d'autres.
Lors d'un parloir, il a en fait demandé à son ami, Y. de se rendre à un rendez-vous. Y. ne connaît pas l'homme qu'il doit rencontrer. Il s'agit du frère de Jonathan. Les deux hommes vont se lancer dans une singulière balade en voiture, pour tenter de récupérer un sac immergé dans le lac de Créteil. Une opération, digne des Pieds nickelés, qui finira en flop. Mais Y. récupère tout de même un colis planqué dans un buisson : 50.000 euros, qu'il cache dans son coffre personnel. Egalement mis en examen, Y. raconte : Je suis sûr que Christophe ne connaissait pas la provenance de cet argent. Sinon, il ne m'aurait jamais envoyé le récupérer."
Quel rôle a vraiment joué Rocancourt qui est, depuis mercredi 11 février, sorti de prison ? Dans une interview accordée au Parisien samedi 14 février, l'ex-escroc clamait, grand prince :
Je ne fais jamais dans la came. Je me suis contenté de demander à Y. d'envoyer des fleurs à la femme de Jonathan pour Noël."
Comment en vouloir à Christophe ? Christophe, le pitre au grand cœur, toujours prêt à aider un copain qui sort de taule, à allonger les billets pour dépanner, à offrir des bouquets à foison. Christophe et son charme adolescent, avec sa gouaille de petit Gavroche sorti du ruisseau.
"On faisait des batailles d'oreillers, sourit encore la réalisatrice Catherine Breillat, qui vécut avec lui chez Sonia Rolland, et fut son amie avant d'être sa victime – il sera condamné en 2012 pour "abus de faiblesse" à son encontre.
C'est une constante du personnage : il séduit, on lui pardonne. Populaire partout. Le journaliste Thomas Johnson, qui lui rendait visite afin d'écrire sa première biographie, raconte :
"Un mois après son arrivée dans sa prison canadienne [en 2001, au terme de deux ans de cavale, NDLR], ses codétenus en avaient fait leur porte-parole face à l'administration pénitentiaire. Il prenait même le café avec les gardiens. Dans les Hamptons, zone de résidence secondaire des riches new-yorkais, où il avait commis plusieurs escroqueries, beaucoup le regrettaient car il les avait divertis."
Son aventure américaine a des allures de légende. Elle est son capital, sur lequel il va faire fructifier sa réputation de voyou honnête, qui ne fait que rouler les riches. La presse le qualifie d'"escroc des stars" ? Il comprend "star des escrocs". 
De plateaux de télé en bouquins à succès, il raconte à qui veut l'entendre l'épopée d'un jeune homme de 19 ans qui, un jour de 1991, débarque à Los Angeles en espadrilles, avec juste son tee-shirt sur le dos, et sans parler un mot d'anglais. Lui qui se dit croyant l'apprendra en lisant la Bible trouvée dans la chambre de son motel. Un avocat qui a eu affaire à lui se souvient :
Les journalistes l'ont invité sans vérifier si tout ce qu'il racontait était vrai. En réalité, il a clairement survendu l'histoire."
Que reste-t-il de tout cela ? Essentiellement un long séjour chez le chanteur Michel Polnareff, qu'il appelle "Popol" pour le tourner en dérision. Rocancourt y traîne alors avec Mickey Rourke, qui est déjà un acteur déglingué.
A son palmarès, on compte même un vendeur de hot-dog.
Eviter les attaches. Vivre au jour le jour. Voilà ses principes. Alors ce "voyou nonchalant", selon les termes de son ancienne éditrice Huguette Maure, voyage léger comme l'oiseau : sans bagages.
"Il part avec rien et achète ce qu'il lui faut sur place. Quand il repart, il laisse tout là. S'il s'achète des nouvelles chaussures, il demande à la boutique qu'on lui mette les siennes de côté, mais ne revient jamais les chercher. Il n'est pas matérialiste", s'amuse un ami très proche.
Un autre renchérit :
Quand je suis allé en week-end avec lui, il n'avait ni argent, ni papiers. Il a baratiné pendant quinze minutes le contrôleur du train, qui a fini par lui poinçonner un bout de papier en guise de billet. Et il embrouillé des restaurateurs sur la qualité de leur cuisine, à tel point qu'ils ont fini par l'inviter."
Du côté de ses cibles françaises, on est, là encore, loin d'un Robin des bois. En août 2003, alors qu'il est derrière les barreaux outre-Atlantique, il contacte Marie-Laure, une attachée de presse de sa maison d'édition, Michel Lafon, qui était venue lui rendre visite. Il lui confie ses soucis financiers. Impossible de payer ses avocats. Et comment trouver de l'argent pour les besoins de son fils, Zeus ?
Christophe a du bagout. Marie-Laure se laisse attendrir. Elle lui avance 208.000 euros en échange d'une reconnaissance de dette. Une fois sorti de prison, en 2005, Rocancourt lui versera la première mensualité. Puis plus rien. Elle devra envoyer les huissiers dans les boîtes qui emploient un temps l'ex-taulard. A ce jour, elle n'a récupéré que 86.500 euros de sa mise.
Catherine Breillat, elle, n'a jamais revu la couleur des 700.000 euros qu'il lui a soutirés. Il les a claqués en huit mois. Généreux, mais quand et avec qui il veut le Christophe : il a versé les droits de son dernier livre, "Je plaide coupable" (1), aux Restos du coeur.
Derrière ses mots, cherchez la fable. Rocancourt a l'art de grossir le trait. Tout est passé au surligneur. "Quand il parlait du comptable de chez Michel Lafon, il disait "Mon fiscaliste", rit Dominique Labarrière, son nègre pour "Mes Vies" et "Arnaques" .
Même son enfance est gonflée à la pompe à vélo. Ses premières années furent, il est vrai, peu reluisantes. La famille vit dans une caravane, sur la place de l'église du Bec-Hellouin (Eure). Il se dit donc issu d'une lignée de gitans. Logique, mais faux.
Sa mère est une belle femme trop volage. Par le carreau du véhicule, le petit Christophe la voit coucher avec un homme qui n'est pas son père. Il ne la présentera plus que comme une putain. Elle serait même partie en claquant la porte de la voiture sur son doigt d'enfant, le sectionnant sans même se retourner.
Son oncle Joël et sa sœur Angelina, voyante à Rouen, démentiront : ce ne serait qu'un malheureux accident. Le père, lui, est un boxeur raté qui noie ses échecs dans l'alcool et mourra sur un banc, tout seul, devant la cathédrale de Lisieux.
Gamin déjà, Christophe sort de l'ordinaire. Placé un temps à l'orphelinat, un temps chez une voisine du Bec-Hellouin, il se fait remarquer. "La première fois que je lui ai parlé, il avait 12 ans. Il m'a dit 'Plus tard, je serai ingénieur atomique pour faire sauter le monde !'", se souvient Serge, le fils de cette dame, aujourd'hui agriculteur.
C'est un ado sentimental qui pleure à chaudes larmes quand le chien de la maison meurt. Le vieux paysan, à qui Christophe a, un jour, fait livrer un lave-linge, poursuit :
Même aujourd'hui, il a la larme à l'œil quand je mène un bœuf à l'abattoir. Et il fleurit régulièrement la tombe de ma mère."
Prendre sa revanche sur l'enfant pauvre sera son moteur. Tout jeune homme, alors qu'il est monté à Paris où il trompe déjà son monde en se faisant passer pour un étudiant à l'ENA, il vole un chèque à son beau-père, un préfet qui vit dans le 16e arrondissement.
Contre ce chèque, il emprunte une Porsche et file parader en Normandie, sa copine au bras. Son nègre raconte :
Il est allé dans tous les endroits où on l'avait connu misérable. Puis il a rendu la voiture, avec un kilométrage énorme, en disant que la couleur ne plaisait pas à la fille."
Lui qui clame préférer le luxe à l'argent se départ le moins possible de son train de vie de nabab. Quand il revient des Etats-Unis, en 2005, c'est... en hélicoptère qu'il se rend dans la longère normande que Michel Lafon lui a louée pour s'enfermer avec son confesseur. Il a ses habitudes dans les grands hôtels. Notamment au Normandy Barrière, à Deauville.
Au printemps 2008, lorsque qu'une journaliste de l'édition espagnole de Vanity Fair vient l'interviewer, Rocancourt lui sort le grand jeu, envoyant un chauffeur la chercher en Bentley à Paris, pour la ramener dans le cinq-étoiles de la côte normande. Sur place, la jeune femme découvre, interdite, qu'il a réservé deux chambres communicantes... Avec la serrure de la porte de son côté à lui.
L'escroc dragueur aurait laissé une ardoise de 50.000 euros à l'hôtel. Dont une note de taxi s'élevant à 1.700 euros : "un beau jour, il avait eu soudainement envie de manger une crêpe en Bretagne", se souvient un de ses proches. Les deux parties auraient finalement trouvé un arrangement.
Et tant pis si ses goûts de seigneur l'amènent à vivre aux crochets des autres ! C'est une de ses spécialités : habiter des appartements de standing, sans débourser un centime. Déjà, aux Etats-Unis, il logeait dans des villas qu'il cherchait à vendre alors qu'elles ne lui appartenaient pas. Il fera le même coup en France.
En avril 2011, le parquet de Paris ouvre une enquête après une plainte déposée par Jeff Wade, un designer américain. En juin 2009, cet homme, qui louait un appartement rue de la Paix, avait accepté de le sous-louer à Flammarion. La maison d'édition souhaitait y loger Rocancourt trois mois durant, le temps qu'il rédige un livre.
Sauf que l'apprenti écrivain y prend ses aises, et continue d'y vivre au-delà du délai. Au téléphone, Christophe déploie des trésors d'imagination, usant de rudesse, jouant la corde sensible, pour embobiner Wade qui lui accorde un répit.
En juin 2010, le designer s'aperçoit que son compte en banque français, créditeur de 19.000 euros, a été siphonné. Il découvre aussi que Rocancourt est toujours dans les murs, sans payer le moindre loyer. Wade se précipite alors à Paris, et trouve son logement vidé de ses biens.
Tapis précieux, meubles, rideaux... Tout a disparu. 100.000 euros de préjudice, estime-t-il. Trônent, seuls, un sapin de Noël, et une boîte d'une centaine de préservatifs ! Wade trouve même, stupéfait, un certificat de décès à son nom. Le tribunal correctionnel va pourtant relaxer Christophe Rocancourt. 
Le réalisateur Jean Marboeuf, qui fit tourner Sonia Rolland, se souvient d'un comportement similaire :
Il m'avait invité pour passer Noël dans une longère qu'il avait affirmé avoir achetée. J'ai appris plus tard qu'il n'en était que locataire, et encore : jamais il n'avait payé les loyers."
Infernal Christophe... Son ex-compagne Sonia Rolland l'a appris à ses dépens. En mars, Rocancourt devrait comparaître, cette fois pour abus de confiance, devant le tribunal correctionnel de Paris. L'objet du litige : un Range Rover que Sonia lui aurait prêté en septembre 2007. Le véhicule était loué en leasing, Christophe Rocancourt n'aurait jamais payé les mensualités, les laissant à la charge de la jeune femme.
 Lorsqu'elle lui demande de le lui restituer, son ex répond que la voiture est au garage. En effet ! Il l'a prêté à l'acteur Samy Naceri qui, au volant, a renversé accidentellement une policière. Rocancourt finira par rendre les clés, les papiers... et un certificat de vol de la voiture. Le Range Rover lui aurait été dérobé. En janvier 2010, la voiture sera retrouvée à Ouagadougou.
Du côté de Sonia, on soupçonne Rocancourt de l'avoir écoulée via des circuits clandestins. Deux ans plus tôt, il avait déjà revendu un véhicule de l'ex-Miss France, sans son accord, et sans qu'elle en touche le moindre centime.
Dans son dernier livre, il écrit :
J'ai l'air de roupiller. On me croit assoupi. C'est la plus grande erreur que l'on puisse commettre. C'est dans ces moments-là, quand la vigilance des autres se relâche, que je suis le plus dangereux."
Rocancourt ne dort jamais.

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