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mercredi 4 février 2015

REFROIDISSEMENT DOGMATIQUE DANS L'ENSEIGNEMENT DE L'ÉCONOMIE

Les systèmes économiques enseignés en France sont les systèmes "orthodoxes", basés sur les lois et techniques du système libéral capitaliste. Mais il existe d'autres approches, prônées par exemple par les économistes Frédéric Lordon et Thomas Coutrot qui préconisent de s'appuyer d'avantage sur les sciences sociales et les situations concrètes. Tous deux font partie du collectif Les économistes atterrés dont l'action consiste à animer et entretenir la réflexion collective et l'expression publique des économistes « qui ne se résignent pas à la domination de l'orthodoxie néo-libérale ». Dans ce contexte, la secrétaire d’État chargée de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, vient de refuser que soit créée une section universitaire hétérodoxe. Voyons quels sont les tenants et les aboutissants de ce refus.



Tout est parti d'une demande de l'Afep (Association française d'économie politique) visant à créer une nouvelle section universitaire "institutions, économie, territoire et société" en sus de la section économique traditionnelle. L'Afep compte dans ses rangs plusieurs membres hétérodoxes et la proposition visait à offrir aux étudiants et chercheurs une voie économique orientée vers la pluridisciplinarité et les sciences sociales, échappant ainsi à la pensée dominante.
Le bruit ayant couru, dans certains milieux universitaires, que la ministre avait répondu favorablement à cette demande (ce qui était faux et a été démenti) les orthodoxes sont partis en croisade contre le projet. C'est alors qu'est intervenu  Jean Tirole. Jean Tirole a récemment reçu le Prix Nobel d'économie (qui est en fait un prix décerné par la Banque de Suède en hommage à Alfred Nobel). Fort de cette auréole, il a adressé à la secrétaire d'état Geneviève Fioraso une lettre la dissuadant d'accéder à la demande de l'Afep. 

Cette démarche vise à conserver au courant majoritaire orthodoxe le monopole de la pensée économique. En effet, l'économie est actuellement dans les mains d'une unique section, la section 5 du CNU (Conseil national des universités) qui régente le recrutement et la carrière des universitaires économistes. Voilà ce qu'en dit l'hebdomadaire Marianne dans son numéro du 29 janvier 2015 :
Pas question donc de voir naître une section « concurrente » qui permettrait de mettre fin à la véritable épuration idéologique à l’œuvre dans les universités françaises : les « orthodoxes » seront très bientôt les seuls à conduire les recherches et les thèses au détriment non seulement des économistes « de gauche », dit néo-keynésiens, mais aussi des ultralibéraux adeptes de l’école autrichienne de Hayek et Friedman… 
l'intégralité de la lettre de Jean Tirole 
Tout cela pourrait être considéré comme des querelles de clocher, soutenues par un ego surdimensionné, si l'enjeu n'était pas important. Il s'agit, sur le fond, d'enlever toute tribune, donc tout crédit, aux spécialistes qui estiment possible une alternative aux politiques de rigueur ou d'austérité. Autant dire que c'est une question qui nous regarde tous ! Quand Jean Triole insiste sur un problème qui peut sembler mineur, l'évaluation des chercheurs, il faut comprendre l'enjeu ; cette évaluation est essentiellement basée sur les publications dans des revues qui ont pignon sur rue et qui ont un système de relecture permettant d'accepter ou refuser la publication. Le chercheur est jugé par ses pairs, spécialistes internationaux. Or les pairs des hétérodoxes sont essentiellement des orthodoxes ! En d'autres terme, la qualité de ce qu'on écrit est jugée par ceux qui sont a priori hostiles à ce qu'on écrit. La création d'une deuxième section économique aurait permis de créer une nouvelle communauté, de nouveaux pairs.

La ministre et sa secrétaire d'état on jugé bon de refuser cette création : on aurait souhaité plus d'audace de leur part et plus de hauteur de vue de la part d'un prix Nobel.




2 commentaires :

  1. Thomas Piketti dans "Le capital au XXIe siecle" regle son compte a cette "economie taditionnelle" qui pretend occuper tout le terrain scientifique:
    "Disons le tout net : la discipline economique n'est toujours pas sortie de sa passon infantile pour les mathematiques et les speculations purement theoriques, au detriment de la recherche historique et du rapprochement avec les autres sciences sociales. (...) En verite, l'economie n'aurait jamais du chercher a se separer des autres disciplines des sciences sociales, et ne peut se developper qu'en leur sein."

    Michel Pichol

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