La recherche du plaisir apparaît chez l'homme comme totalement dérégulée, non pas comme un luxe accessoire, mais comme un but. Chez l'animal non humain, ce n'est pas le cas, sauf chez quelques singes évolués ou dans quelques cas non fréquents. L'animal non humain a des désirs sexuels limités à quelques périodes. Il est apparemment insensible aux plaisirs procurés par la vision ou l'ouïe.
source de l'illustration : http://aragec.com/plaisir.html |
L'homme au contraire confond volontiers plaisir et bonheur. Mais une des caractéristiques du plaisir est d'être éphémère et un de ses dangers est qu'il laisse dans la mémoire des traces qui conduisent à le rechercher à nouveau, voire à l'amplifier.
Lucrèce a pointé cette recherche frénétique et vaine du plaisir dans le De Natura Rerum :
Au vieillard qui se lamente sur sa mort prochaine, la nature dit : « Sèche tes larmes, pauvre bouffon et rentre tes plaintes ! […] À toujours désirer ce qui n’était plus ou ce qui n’était pas, à toujours mépriser l’instant présent, ta vie t’a échappé, te laissant un sentiment d’inaccompli, un goût amer. » (livre III).
Lucrèce a une vision très pessimiste, non pas du plaisir, mais de la recherche du plaisir et il est exact que chacun a pu expérimenter que l'attente ou l'espérance du plaisir procure un "plaisir" souvent plus fort que le plaisir lui-même. Or, comment nier que le plaisir participe au bonheur et que de ce fait il est légitime et nécessaire de le rechercher ? Mais comment nier aussi que dans cette recherche il y a un oubli du présent, une tension, ou même une pulsion, nourrie par la réminiscence des plaisirs passés ?
Pascal estime que chaque homme aspire à un état de repos, qu'il oppose à "l'agitation" et que nous assimilons ici à la recherche du plaisir. Mais pour arriver à cet état de sérénité, il doit d'abord "s'agiter", c'est-à-dire satisfaire, ou tenter de satisfaire, des désirs refoulés. C'est ce que l'on lit, entre les lignes, dans les Pensées :
Au vieillard qui se lamente sur sa mort prochaine, la nature dit : « Sèche tes larmes, pauvre bouffon et rentre tes plaintes ! […] À toujours désirer ce qui n’était plus ou ce qui n’était pas, à toujours mépriser l’instant présent, ta vie t’a échappé, te laissant un sentiment d’inaccompli, un goût amer. » (livre III).
Lucrèce a une vision très pessimiste, non pas du plaisir, mais de la recherche du plaisir et il est exact que chacun a pu expérimenter que l'attente ou l'espérance du plaisir procure un "plaisir" souvent plus fort que le plaisir lui-même. Or, comment nier que le plaisir participe au bonheur et que de ce fait il est légitime et nécessaire de le rechercher ? Mais comment nier aussi que dans cette recherche il y a un oubli du présent, une tension, ou même une pulsion, nourrie par la réminiscence des plaisirs passés ?
Pascal estime que chaque homme aspire à un état de repos, qu'il oppose à "l'agitation" et que nous assimilons ici à la recherche du plaisir. Mais pour arriver à cet état de sérénité, il doit d'abord "s'agiter", c'est-à-dire satisfaire, ou tenter de satisfaire, des désirs refoulés. C'est ce que l'on lit, entre les lignes, dans les Pensées :
"Ainsi quand on leur reproche [aux hommes], que ce qu'ils cherchent avec tant d'ardeur ne sauraient les satisfaire ; qu'il n'y a rien de plus bas, et de plus vain ; s'ils répondaient comme ils devraient le faire s'ils y pensaient bien, ils en demeureraient d'accord : mais ils diraient en même temps qu'il ne cherchent en cela qu'une occupation violente et impétueuse qui les détourne de la vue d'eux-mêmes, et que c'est pour cela qu'ils se proposent unobjet attirant qui les charme et qui les occupent tous entiers [...] Il se forme en eux un projet confus, qui se cache à leur vue dans le fonds de leur âme, qui les porte à tendre au repos par l'agitation, et à se figurer toujours, que la satisfaction qu'ils n'ont point leur arrivera, si, en surmontant quelques difficultés qu'ils envisagent, ils peuvent s'ouvrir par là la porte au repos."
Mais le repos que nous propose Pascal est celui d'un homme méditant dans son fauteuil sur le grandeur de Dieu et la misère de l'Homme. Or la grandeur de Dieu est inconnaissable et inaccessible et ce repos méditatif n'est, in fine, que la recherche vaine de l'Absolu. Est-ce ceci le bonheur ? La vérité est que Pascal ne croit pas au bonheur et que, ce faisant, il ne peut voir dans le plaisir qu'une tentative de l'oubli de soi :
" Quelque condition qu'on se figure, où l'on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus poste [le plus agréable]du monde. Et cependant, qu'on s'en imagine un [un roi] accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent les toucher. S'il est sans divertissement et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu'il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point. Il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent des révoltes qui peuvent arriver et enfin de la mort et des maladies, qui sont inévitables. De sorte que s'il est sans ce qu'on appelle divertissement le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets et qui se divertit. De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n'est pas qu'il y a en effet du bonheur, ni qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit d'avoir l'argent qu'on peut gagner au jeu ou dans le lièvre qu'on court, on n'en voudrait pas s'il était offert. Ce n'est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu'on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit." (Pensées)
Pour la question qui nous occupe, Pascal ne nous est d'aucune utilité, sauf à admettre que la véritable et ultime félicité est d'attendre patiemment le moment où l'on pourra regarder Dieu "les yeux dans les yeux". Je ne suis ni moqueur, ni méprisant en disant cela. J'ai personnellement eu l'expérience (moi qui ne suis pas croyant) de cette félicité chez une personne qui m'était quasiment inconnue. Alors que j'étais accablé par la mort d'un être proche, cette personne m'a dit d'une voix douce : "Pourquoi pleures-tu ? Elle est maintenant heureuse en face de Dieu". Et ce qui mérite le respect, dans cette affirmation que je ne partage pas c'est la sincérité évidente avec laquelle elle a été dite. Mais effectivement la mort est un repos serein pour tout homme, croyant ou non. Faudrait-il donc mourir pour être heureux ? Je ne peux ni l'admettre, ni vouloir l'admettre et je trouve extrêmement pertinent le texte d'Èpicure dans sa lettre à son disciple Ménécée :
"Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un. On fait pis encore quand on dit qu’il est bien de ne pas naître, ou, « une fois né, de franchir au plus vite les portes de l’Hadès ». Car si l’homme qui tient ce langage est convaincu, comment ne sort-il pas de la vie ? C’est là en effet une chose qui est toujours à sa portée, s’il veut sa mort d’une volonté ferme. Que si cet homme plaisante, il montre de la légèreté en un sujet qui n’en comporte pas. Rappelle-toi que l’avenir n’est ni à nous ni pourtant tout à fait hors de nos prises, de telle sorte que nous ne devons ni compter sur lui comme s’il devait sûrement arriver, ni nous interdire toute espérance, comme s’il était sûr qu’il dût ne pas être."
Concernant Èpicure, il serait d'ailleurs bon de "tordre le cou" définitivement à une légende qui voudrait que ce philosophe ait prôné, sans discernement ni modération, une vie entièrement axée sur la recherche du plaisir. Voila très exactement ce qu'il en dit dans sa Lettre à Ménécée citée plus haut :
"Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme, puisque c’est là la perfection même de la vie heureuse. [...] Nous n’avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; et quand nous n’éprouvons pas de douleur nous n’avons plus besoin du plaisir. C’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse. En effet, d’une part, le plaisir est reconnu par nous comme le bien primitif et conforme à notre nature, et c’est de lui que nous partons pour déterminer cequ’il faut choisir et ce qu’il faut éviter ; d’autre part, c’est toujours à lui que nous aboutissons, puisque ce sont nos affections qui nous servent de règle pour mesurer et apprécier tout bien quelconque si complexe qu’il soit. Mais, précisément parce que le plaisir est le bien primitif et conforme à notre nature, nous ne recherchons pas tout plaisir, et il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs, savoir lorsqu’ils doivent avoir pour suite des peines qui les surpassent ; et, d’autre part, il y a des douleurs que nous estimons valoir mieux que des plaisirs, savoir lorsque, après avoir longtemps supporté les douleurs, il doit résulter de là pour nous un plaisir qui les surpasse. [...]C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi- même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadésque ceux-là jouissent le plus vivement de l’opulence qui ont le moins besoin d’elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, tandis que ce qui ne répond pas à un désir naturel est malaisé à se procurer. [...] Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs des voluptueux inquiets, ni de ceux qui consistent dans les jouissances déréglées, ainsi que l’écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais
sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne passouffrir et, pour l’âme, à être sans trouble. Car ce n’est pas une suite ininterrompue de jours passés à boire et à manger, ce n’est pas la jouissance des jeunes garçons et des femmes, ce n’est pas la saveur des poissons et des autres mets que porte une table somptueuse, ce n’est pas tout cela qui engendre la vie heureuse, mais c’est le raisonnement vigilant, capable de trouver en toute circonstance les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut éviter, et de rejeter les vaines opinions d’où provient le plus grand trouble des âmes. Or, le principe de tout cela et par conséquent le plus grand des biens, c’est la prudence. Il faut donc la mettre au-dessus de la philosophie même, puisqu’elle est faite pour être la source de toutes les vertus, en nous enseignant qu’il n’y a pas moyen de vivre agréablement si l’on ne vit pas avec prudence, honnêteté et justice, et qu’il est impossible de vivre avec prudence, honnêteté et justice si l’on ne vit pas agréablement. Les vertus en effet, ne sont que des suites naturelles et nécessaires de la vie agréable et, à son tour, la vie agréable ne saurait se réaliser en elle-même et à part des vertus."
Dans ce texte remarquable (librement accessible en format pdf sur le site:http://www.echosdumaquis.com), retenons entre autres choses le mot "prudence". Le mot, chez les auteurs grecs, n'a pas l'acception actuelle qui renvoie à l'idée d'une crainte devant un danger. Chez les Grecs il s'agissait de l'art de choisir ce qu'il faut faire ou ne pas faire, en fonction de ce qui est juste et injuste. Il se trouve que le mot grec est phronêsis, qui désigne l'acte de penser. Or, si penser c'est choisir, ou délibérer pour choisir le juste et le bien, le texte d'Èpicure devient limpide : la recherche des plaisirs doit être la recherche prudente de de qui est honnête et juste.
À la fin de ce troisième chapitre nous avons avancé. Nous avions conclu précédemment (chapitre 2) que le bonheur de l'homme se caractérisait ainsi :
Mais le repos que nous propose Pascal est celui d'un homme méditant dans son fauteuil sur le grandeur de Dieu et la misère de l'Homme. Or la grandeur de Dieu est inconnaissable et inaccessible et ce repos méditatif n'est, in fine, que la recherche vaine de l'Absolu. Est-ce ceci le bonheur ? La vérité est que Pascal ne croit pas au bonheur et que, ce faisant, il ne peut voir dans le plaisir qu'une tentative de l'oubli de soi :
" Quelque condition qu'on se figure, où l'on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus poste [le plus agréable]du monde. Et cependant, qu'on s'en imagine un [un roi] accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent les toucher. S'il est sans divertissement et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu'il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point. Il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent des révoltes qui peuvent arriver et enfin de la mort et des maladies, qui sont inévitables. De sorte que s'il est sans ce qu'on appelle divertissement le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets et qui se divertit. De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n'est pas qu'il y a en effet du bonheur, ni qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit d'avoir l'argent qu'on peut gagner au jeu ou dans le lièvre qu'on court, on n'en voudrait pas s'il était offert. Ce n'est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu'on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit." (Pensées)
Pour la question qui nous occupe, Pascal ne nous est d'aucune utilité, sauf à admettre que la véritable et ultime félicité est d'attendre patiemment le moment où l'on pourra regarder Dieu "les yeux dans les yeux". Je ne suis ni moqueur, ni méprisant en disant cela. J'ai personnellement eu l'expérience (moi qui ne suis pas croyant) de cette félicité chez une personne qui m'était quasiment inconnue. Alors que j'étais accablé par la mort d'un être proche, cette personne m'a dit d'une voix douce : "Pourquoi pleures-tu ? Elle est maintenant heureuse en face de Dieu". Et ce qui mérite le respect, dans cette affirmation que je ne partage pas c'est la sincérité évidente avec laquelle elle a été dite. Mais effectivement la mort est un repos serein pour tout homme, croyant ou non. Faudrait-il donc mourir pour être heureux ? Je ne peux ni l'admettre, ni vouloir l'admettre et je trouve extrêmement pertinent le texte d'Èpicure dans sa lettre à son disciple Ménécée :
"Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un. On fait pis encore quand on dit qu’il est bien de ne pas naître, ou, « une fois né, de franchir au plus vite les portes de l’Hadès ». Car si l’homme qui tient ce langage est convaincu, comment ne sort-il pas de la vie ? C’est là en effet une chose qui est toujours à sa portée, s’il veut sa mort d’une volonté ferme. Que si cet homme plaisante, il montre de la légèreté en un sujet qui n’en comporte pas. Rappelle-toi que l’avenir n’est ni à nous ni pourtant tout à fait hors de nos prises, de telle sorte que nous ne devons ni compter sur lui comme s’il devait sûrement arriver, ni nous interdire toute espérance, comme s’il était sûr qu’il dût ne pas être."
Concernant Èpicure, il serait d'ailleurs bon de "tordre le cou" définitivement à une légende qui voudrait que ce philosophe ait prôné, sans discernement ni modération, une vie entièrement axée sur la recherche du plaisir. Voila très exactement ce qu'il en dit dans sa Lettre à Ménécée citée plus haut :
"Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme, puisque c’est là la perfection même de la vie heureuse. [...] Nous n’avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; et quand nous n’éprouvons pas de douleur nous n’avons plus besoin du plaisir. C’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse. En effet, d’une part, le plaisir est reconnu par nous comme le bien primitif et conforme à notre nature, et c’est de lui que nous partons pour déterminer cequ’il faut choisir et ce qu’il faut éviter ; d’autre part, c’est toujours à lui que nous aboutissons, puisque ce sont nos affections qui nous servent de règle pour mesurer et apprécier tout bien quelconque si complexe qu’il soit. Mais, précisément parce que le plaisir est le bien primitif et conforme à notre nature, nous ne recherchons pas tout plaisir, et il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs, savoir lorsqu’ils doivent avoir pour suite des peines qui les surpassent ; et, d’autre part, il y a des douleurs que nous estimons valoir mieux que des plaisirs, savoir lorsque, après avoir longtemps supporté les douleurs, il doit résulter de là pour nous un plaisir qui les surpasse. [...]C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi- même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadésque ceux-là jouissent le plus vivement de l’opulence qui ont le moins besoin d’elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, tandis que ce qui ne répond pas à un désir naturel est malaisé à se procurer. [...] Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs des voluptueux inquiets, ni de ceux qui consistent dans les jouissances déréglées, ainsi que l’écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais
sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne passouffrir et, pour l’âme, à être sans trouble. Car ce n’est pas une suite ininterrompue de jours passés à boire et à manger, ce n’est pas la jouissance des jeunes garçons et des femmes, ce n’est pas la saveur des poissons et des autres mets que porte une table somptueuse, ce n’est pas tout cela qui engendre la vie heureuse, mais c’est le raisonnement vigilant, capable de trouver en toute circonstance les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut éviter, et de rejeter les vaines opinions d’où provient le plus grand trouble des âmes. Or, le principe de tout cela et par conséquent le plus grand des biens, c’est la prudence. Il faut donc la mettre au-dessus de la philosophie même, puisqu’elle est faite pour être la source de toutes les vertus, en nous enseignant qu’il n’y a pas moyen de vivre agréablement si l’on ne vit pas avec prudence, honnêteté et justice, et qu’il est impossible de vivre avec prudence, honnêteté et justice si l’on ne vit pas agréablement. Les vertus en effet, ne sont que des suites naturelles et nécessaires de la vie agréable et, à son tour, la vie agréable ne saurait se réaliser en elle-même et à part des vertus."
Dans ce texte remarquable (librement accessible en format pdf sur le site:http://www.echosdumaquis.com), retenons entre autres choses le mot "prudence". Le mot, chez les auteurs grecs, n'a pas l'acception actuelle qui renvoie à l'idée d'une crainte devant un danger. Chez les Grecs il s'agissait de l'art de choisir ce qu'il faut faire ou ne pas faire, en fonction de ce qui est juste et injuste. Il se trouve que le mot grec est phronêsis, qui désigne l'acte de penser. Or, si penser c'est choisir, ou délibérer pour choisir le juste et le bien, le texte d'Èpicure devient limpide : la recherche des plaisirs doit être la recherche prudente de de qui est honnête et juste.
À la fin de ce troisième chapitre nous avons avancé. Nous avions conclu précédemment (chapitre 2) que le bonheur de l'homme se caractérisait ainsi :
- absence de souffrance physique,
- gestion de la souffrance morale,
- satisfaction de ses besoins naturels, éventuellement de manière superfétatoire (le "plaisir"),
- acquisition d'une expérience qui maximalise la durée de vie.
Nous pouvons maintenant compléter comme suit :
- absence de souffrance physique,
- gestion de la souffrance morale,
- satisfaction des besoins naturels : dans la mesure où la non-satisfaction d'un besoin naturel (nourriture, chaleur, etc) s'accompagne d'une souffrance, on peut considérer cette caractéristique comme redondante,
- Recherche prudente du plaisir,
- acquisition d'une expérience qui augmente le plaisir et diminue la douleur : il ne s'agit en fait que de l'application de points 2 et 4, donc d'une caractéristique redondante.
Finalement, trois caractéristiques propres au bonheur peuvent être dégagées :
- absence de souffrance physique,
- gestion de la souffrance morale,
- Recherche prudente du plaisir,
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