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vendredi 16 octobre 2015

L'ENLÈVEMENT DE MEDHI BEN BARKA

L'ENLÈVEMENT DE MEDHI BEN BARKA
Je rassemble ici les quatre articles déjà publiés concernant l'enlèvement de Medhi Ben Barka, complétés par un récapitulatif et une conclusion.







Medhi Ben Barka


D'une famille de petits fonctionnaires, Mehdi Ben Barka a fait des études de mathématique à Rabat et devient professeur de lycée. Proche du Palais, il enseigne aussi au Collège royal. Il a le futur roi Hassan II parmi ses élèves. Parallèlement, il s’engage en politique contre le « protectorat » français sur le Maroc. Dès 1943, il participe à la création du Parti de l'Istiqlal, un parti qui joue un grand rôle dans l'indépendance du Maroc. En 1955, il participe aux négociations qui aboutiront au retour du roi Mohammed V que les autorités françaises avaient exilé à Madagascar. De 1956 à 1959, Mehdi Ben Barka est président de l'assemblée consultative du Maroc.
Représentant de l’aile gauche d’un parti qu’il juge trop conservateur, il fonde, en septembre 1959, l'Union nationale des forces populaires (UNFP), principal parti de gauche opposé au régime royal. À la mort de Mohammed V en 1961, Hassan II monte sur le trône et annonce vouloir faire la paix avec son principal opposant. Il rentre au Maroc en mai 1962. Le 16 novembre 1962, il échappe à un attentat fomenté par les services du général Oufkir et du colonel Ahmed Dlimi. En juin 1963, il s'exile à nouveau, après être accusé de complot contre la monarchie, Hassan II souhaitant dissoudre l'UNFP. Le 14 mars 1964, il est condamné à mort par contumace pour complot et tentative d'assassinat contre le roi.
Mehdi Ben Barka s'exile alors. Il part d'abord pour Alger, où il rencontre Che Guevara, Amílcar Cabral et Malcolm X. Il s'en va ensuite pour Le Caire, Rome, Genève (où il échappe à plusieurs tentatives d'assassinat) et pour La Havane, tentant de fédérer les mouvements révolutionnaires du tiers-monde en vue de la Conférence tricontinentale devant se tenir en janvier 1966 à Cuba.
En avril 1965, Ben Barka bénéficie de l'amnistie générale accordée par le roi à tous les prisonniers politiques.

L'enlèvement

Les circonstances de l'enlèvement sont liées à un projet de film consacré à la décolonisation que voulait réaliser le journaliste Michel Barnier et pour lequel il a contacté Ben Barka. Les deux hommes sont mis en contact avec  Georges Figon. Georges Figon est un fils de bonne famille  qui a passé trois ans en hôpital psychiatrique et onze ans derrière les barreaux : en 1950, à l'occasion d'une tentative d'escroquerie il a tiré sur un policier. Il est sorti de prison en 1961 et entretient des amitiés avec l'intelligentsia parisienne. Il convainc le metteur en scène Franju de réaliser le film (qui devait s'intituler Basta !). Après divers contacts un contrat est signé avec Ben Barka, et un rendez-vous de travail est prévu à Paris, le 29 octobre 1965, sur la terrasse de la brasserie Lipp, 151 boulevard Saint-Germain.
A l'heure dite Bernier, Franju et Ben Barka se retrouvent à la brasserie.
À 12 h 30, Ben Barka est interpellé par deux hommes qui présentent des cartes de police et le font monter dans une 403 banalisée qui disparaît dans la circulation. À partir de cet instant Medhi Ben Barka ne sera plus jamais revu et son corps ne sera jamais retrouvé.

Le début de l'enquête

Les vérifications ont permis de constater que Ben Barka ne se trouve pas dans une prison française. Les premiers témoignages de Franju et Bernier sont recueillis le 1er novembre ; c'est Franju qui a communiqué les coordonnées de Bernier et de Figon aux enquêteurs. Le nom de Figon a été préalablement cité au commissaire Marchand (responsable de l'enquête) par le commissaire Jean Caille, des Renseignements généraux. Selon lui, l'intéressé se vante d'avoir participé à l'enlèvement de M. Ben Barka et ce renseignement, donné par un informateur, paraît sérieux. Un avis de recherche concernant Figon est lancé le jour même par la police judiciaire.
Le 2 novembre, une instruction est ouverte par le juge Louis Zollinger. L'enquête est confiée à la brigade criminelle dirigée par le commissaire Bouvier, qui prend connaissance des informations déjà recueillies. Il apprend en particulier le rôle de Figon et d'un certain Antoine Lopez.

Lopez est inspecteur principal d'Air France à Orly et un informateur du SDECE et de la Brigade mondaine de la Préfecture de police. Il entretient des relations suivies avec de hauts dignitaires marocains, dont le général Oufkir, ministre de la défense marocain. Plusieurs truands parisiens comptent parmi ses amis. Se sachant recherché Lopez se présente à la police le 3 novembre et donne sa version de l'enlèvement de Medhi Ben Barka :

Il reconnaît avoir organisé l'enlèvement à la demande d'un certain Larbi Chtouki, qui s'avère être un émissaire des services spéciaux marocains. Il pensait ainsi organiser un entretien privé et pacifique entre Oufkir et Ben Barka. En récompense de ce service, les Marocains lui auraient fait miroiter un poste important à la compagnie Royal Air Maroc. C'est Lopez qui a sollicité l'intervention de deux policiers, avec lesquels il entretenait des contacts professionnels. Il dit avoir informé au préalable son supérieur au sein du SDECE le colonel Marcel Le Roy-Finville.
Antoine Lopez était à bord de la 403 banalisée où sont montés Ben Barka et les deux policiers.


Le déroulement des faits

Le rôle des protagonistes et le déroulement des faits se précisent. Quatre personnes étaient dans la 403 lors de l'enlèvement de Ben Barka : Lopez, deux policiers français, dont on saura quelques jours plus tard qu'il s'agit de l'inspecteur principal Louis Souchon (chef du groupe des stupéfiants à la Brigade mondaine) et de son adjoint Roger Voitot, et enfin un certain Julien Le Ny, repris de justice.
Deux autres personnes, également des repris de justice plusieurs fois condamnés, ont supervisé l'enlèvement : Jean Palisse et Pierre Dubail et ont ensuite précédé la 403 jusqu'à sa destination finale.
Lopez guide la voiture jusqu'à une villa de Fontenay-le-Vicomte appartenant à un certain Georges Boucheseiche, qui fait partie de ses relations et pour qui travaillent Le Ny, Jean Palisse et Pierre Dubail.

Georges Boucheseiche est un ancien gangster. Il a fait partie de la Gestapo française et a rejoint en 1946 le Gang des Tractions avant, en compagnie notamment de Pierre Loutrel (dit Pierrot-le-fou) et Jo Attia. Il a été condamné pour le recel du cadavre de Loutrel, puis a fait plusieurs années de prison pour avoir racketté un diamantaire pendant l'occupation. Dans les années 1950, il s'est converti dans les hôtels de passe et les maisons closes, à Paris et au Maroc. Il est réputé avoir rendu des services à la DGER puis au SDECE lors de l'indépendance du Maroc et la guerre d'Algérie. 

Lopez informe Oufkir que Ben Barka est sequestré à Fontenay-le-Vicomte. Il va le chercher à Orly le lendemain et l'amène auprès de Ben Barka vers 17h. Lopez indique en outre  la présence à Orly d'un étudiant marocain nommé El Mahi. Le commandant Dlimi, directeur de la sûreté marocaine était arrivé peu de temps auparavant en compagnie d'un policier marocain nommé El Houssaini. Le lendemain à 5 heures du matin, Lopez raccompagnera Oufkir, Dlimi et El Houssaini à Orly.

Les policiers apprennent que Bouchesèche  a pris l'avion pour Casablanca le 1er novembre. Boucheseiche et ses complices Le Ny, Jean Palisse et Pierre Dubail ne seront plus jamais revus sur le territoire français.

Les suites judiciaires

Les policiers Souchon et Voitot sont inculpés le 14 novembre et écroués à la Santé.

Boucheseiche et ses acolytes se sont enfuis au Maroc. Un mandat d'arrêt international est lancé contre eux, qui restera sans effet : on ne les reverra plus jamais en France. Selon un témoignage tardif ils auraient été enfermés au bagne de Tazmamart, puis exécutés et enterrés en secret. Des fouilles demandées par le juge Patrick Ramaël ont été refusées par le gouvernement marocain.

Le 12 novembre le juge Zollinger lance des commissions rogatoires internationales afin d'entendre le général Oufkir et le commandant Dlimi. Le roi Hassan II s'oppose à leur exécution.

Le 22 janvier, le juge Zollinger délivre trois mandats d'arrêt internationaux contre le général Oufkir, le commandant Dlimi et Larbi Chtouki. Le 24 janvier Robert Gillet, ambassadeur de France à Rabat, remet une note d'explication à M. Benhima, ministre marocain des affaires étrangères : "L'instruction menée par la justice française au sujet de l'affaire Ben Barka a conduit le juge à la conviction que le ministre marocain de l'intérieur a organisé l'enlèvement et que le ministre marocain de l'intérieur et plusieurs de ses collaborateurs directs ont participé personnellement aux dernières phases de l'opération"

Le 4 novembre, un mandat d'arrêt avait été lancé contre Georges Figon qui est en fuite. Le 10 janvier 1966 l'hebdomadaire L'Express, dirigé par Jean-Jacques Servan-Schreiber, publie son témoignage recueilli par Jacques Derogy et Jean-François Kahn. Figon explique que Medhi Ben Barka a été séquestré dans la villa de Georges Boucheseiche et confronté au général Oufkir et au colonel Ahmed Dlimi qui lui ont fait subir des sévices. Son récit est cohérent avec les aveux de Lopez (cf. cet article ici). Le 17 janvier, Figon est localisé par la police dans un studio du XVIIe arrondissement à Paris. Il y est retrouvé mort par les policiers, qui concluent à un suicide. Le Canard enchaîné titrera : "Georges Figon suicidé de trois balles mortelles dans la tête".

Le procès s'ouvre le 5 septembre 1966 devant la cour d'assise de la Seine. Antoine Lopez, Philippe Bernier (le journaliste qui projetait de réaliser un film documentaire avec Ben Barka), Louis Souchon, Roger Voitot et El Ghali El Mahi comparaissent détenus. Marcel Leroy-Finville comparait libre  (le colonel Le Roy-Finville est un ancien membre du SDECE). Les autres inculpés sont en fuite : Boucheseiche, Palisse, Le Ny, Dubail, "Chtouki", Dlimi et Oufkir. Les parties civiles sont représentées par Abdelkader Ben Barka, frère de la victime, ainsi que par cinq avocats pour l'épouse de Ben Barka et un pour sa mère. Lopez est défendu par Me Jean-Louis Tixier-Vignancour.

Coup de théatre : le colonel Ahmed Dlimi décide de se présenter au procès ! Il produit un témoin chauffeur de taxi qui affirme l'avoir ramené à Orly le 31 octobre, contrairement à ce qu'a dit Lopez.

Le verdict tombe : Antoine Lopez est condamné à 8 ans de réclusion criminelle et Souchon à 6 ans pour arrestation illégale. Les autres inculpés sont acquittés. Oufkir, Chtouki, Boucheseiche, Palisse, Le Ny et Dubail sont condamnés par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité.

Le roi Hassan II refusera toujours d'appliquer les condamnations ou d'extrader les condamnés. Le général Oufkir sera exécuté cependant quelques années plus tard après un coup d'État manqué contre le roi du Maroc.


Le roi 
Le roi Mohamed VI, qui a succédé à son père Hassan II semble toutefois décidé à ne pas étouffer l'affaire. En novembre 1999 la famille de Medhi Ben Barka, exilée depuis 34 ans en France été autorisé à rentrer au Maroc et a été accueillie par deux ministres marocains :

 référence
Un espoir entretenu par l'attitude du nouveau souverain marocain, Mohamed VI, qui semble décidé à faire toute la lumière sur les longues années de plomb du règne de son père et à rendre justice aux victimes d'un système à la fois autocratique, féodal et cruel. Le retour de la famille Ben Barka semble confirmer une orientation déjà bien engagée avec celui d'Abraham Serfaty et le limogeage de Driss Basri, le ministre de l'Intérieur tout puissant, ami et émule de Dlimi, qui fut pendant tant d'années l'homme des basses oeuvres.

L'implication du gouvernement français

Si l'implication du gouvernement marocain dans l'enlèvement de Medhi Ben Barka ne fait aucun doute, qu'en est-il du gouvernement français ? Très rapidement il a été mis en cause dans les médias et a dû abondamment s'expliquer sur cette affaire.

Rappelons qu'à cette époque Georges Pompidou était premier ministre de De Gaulle et Roger Frey ministre de l'intérieur.

Le 17 janvier 1966, seize personnalités issues des milieux politiques, culturels et scientifiques lancent un appel « pour que la lumière soit faite sur le sort de Mehdi Ben Barka et pour que soient démasqués et châtiés les responsables quels qu'ils soient ».
Les signataires sont :

René Capitant, Maurice Clavel, Léo Hamon, Emmanuel d'Astier de la Vigerie, François Mauriac (qui se désoladirisera de l'appel après une entrevue avec Roger Frey), Jean Guéhenno, Jean Rostand, Louis Aragon, Alain Savary, Laurent Schwartz, Jacques Monod, Robert Buron et René Cassin. 
Cet appel dit notamment :
 « Si l'information judiciaire a abouti déjà à plusieurs inculpations, il ne paraît pas que les responsabilités essentielles aient été encore dégagées. L'opinion ne saurait tolérer que des éléments incontrôlés, mal contrôlés ou inspirés puissent se livrer à des rapts politiques sur le territoire français. Elle attend du gouvernement qu'il prenne une pleine conscience de ses responsabilités. »
 Dés lors le gouvernement est pris pour cible par l'opposition de gauche, mais aussi par des personnalités gaullistes de gauche (Emmanuel d'Astier de la Vigerie par exemple).

Le 21février 1966, De Gaulle aborde longuement le sujet dans une conférence de presse :

"Ce qu'il faut considérer d'abord dans cette affaire c'est que le ministre de l'intérieur du gouvernement marocain, (...) a, comme tout l'indique, fait disparaître sur notre sol un des principaux chefs de l'opposition. Cette affaire marocaine en est donc une entre Paris et Rabat, parce que la disparition de Ben Barka a eu lieu chez nous, parce qu'elle a été perpétrée avec la complicité obtenue d'agents ou de membres de services officiels français et la participation de truands recrutés ici, enfin parce qu'en dépit des démarches du gouvernement de Paris, des commissions rogatoires et mandats adressés par notre juge d'instruction, rien n'a été fait par le gouvernement marocain pour aider la justice française à établir la vérité, ni pour la révéler en tant qu'elle le concerne. (...) Au total (...) le fait est que ce gouvernement n'a, jusqu'à présent, rien fait pour justifier, ni réparer, l'atteinte qui a été ainsi portée à notre souveraineté. Il est donc inévitable, quelque regret qu'on en ait, que les rapports franco-marocains en subissent les conséquences. Du côté français, que s'est-il passé ? (...) Ce qui s'est passé n'a rien eu que de vulgaire et de subalterne. Il s'est agit d'une opération consistant à amener Ben Barka au contact d'Oufkir et de ses assistants en un lieu propice au règlement de leurs comptes. Cette opération aidée par des hommes à toutes mains et à toutes aventures, dont l'un s'est suicidé depuis, a été préparée et organisée par un indicateur du Service de contre-espionnage français à la faveur du silence du chef d'études qui l'employait ; l'indicateur en question ayant obtenu le concours de fonctionnaires de la police avec lesquels il se trouvait en rapports fréquents pour des raisons de service. Mais rien, absolument rien, n'indique que le contre-espionnage et la police, en tant que tels et dans leur ensemble, aient connu l'opération, a fortiori qu'ils l'aient couverte. Bien au contraire, quand ils l'eurent apprise, la police mit ceux des participants qui étaient à sa portée en état d'arrestation ou de garde à vue et la justice fut saisie. Depuis lors, celle-ci fait son œuvre sans être aucunement entravée. D'autre part, il est apparu que quelque chose est à rectifier en ce qui concerne les services intéressés, ce quelque chose c'est, dans leur fonctionnement, une trop grande latitude souvent laissée à des exécutants. (...) ".
La version de De Gaulle est donc :
  • le gouvernement marocain (ou au moins Oufkir) a organisé l'enlèvement de Medhi Ben Barka,
  • l'enlèvement a été perpétré avec la complicité de membres de la police et des services secrets français,
  • mais la police et les services secrets, en tant qu'entités, ne sont pas concernés ; il s'agit de fautes individuelles,
  • tout a été fait pour élucider l'affaire et essayer de retrouver Medhi Ben Baka.


Ces affirmations laissent dans l'ombre un certain nombre de points auxquels Roger Frey tentera de répondre devant l'assemblée nationale le 6 mai 1966. Il ne s'écarte pas de la thèse officielle : 



Pourquoi Oufkir n'a-t-il pas été interpellé le 3 novembre ?

Roger Frey : « Nous sommes en présence d'allégations sans preuve matérielle, sans charges suffisamment certaines. Sont-elles suffisantes pour que des policiers se précipitent pour interpeller le général Oufkir ? Ils ne le pensent pas et M. le juge Zollinger (...) n'a pas cru pouvoir lancer immédiatement un mandat d'arrêt. C'est donc qu'il a estimé, avec sagesse, qu'il lui fallait davantage de preuves. (...) Un repris de justice et un indicateur de police accusent un ministre étranger d'avoir perpétré sur notre sol un abominable forfait. (...) Est-ce vrai ? Est-ce faux ? (...) Qui peut le dire ? Nos relations avec le Maroc sont excellentes. Quelles répercussions auraient eu au Maroc l'interpellation d'un ministre marocain sur les 100.000 Français qui y vivent, sur toute l'Afrique du Nord, sur le tiers-monde, dans le monde entier si les renseignements ne sont pas exacts ? (...) »
Pourquoi a-t-on attendu 8 jours pour arrêter les policiers Souchon et Voitot ?

La réponse de Roger Frey est alambiquée et peu convaincante :

Roger Frey : « Lorsque le 4 novembre, il apparut que la clé du mystère se trouvait sans doute au Maroc, une réunion eut lieu entre le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères et moi-même. L'objectif de tous était encore et toujours de retrouver M. Ben Barka. Il fut décidé d'envoyer immédiatement à Rabat un haut fonctionnaire appartenant au cabinet de M. Couve de Murville. Au cours de la conversation, je fis état de la participation des deux policiers qui allaient être déférés à la justice. Il nous sembla alors (...) que ces arrestations succédant à celle de Lopez permettraient au gouvernement marocain de dire que c'était une affaire purement française et de ne pas donner suite à nos demandes concernant M. Ben Barka (...) la non arrestation pendant quelques jours des deux policiers ne pouvait aucunement entraver la marche de l'enquête. (...) Il fut donc décidé d'attendre le résultat des démarches diplomatiques entreprises. Lorsque ces démarches s'avérèrent infructueuses, Souchon et Voitot furent déférés à la justice. Ce fut là un acte de gouvernement comme il arrive à tout gouvernement d'en faire dans des circonstances graves. »
L'intervention de Souchon et Voitot était-elle "couverte" par leur hiérarchie ou une autorité supérieure ?

Roger Frey : « Lorsque le directeur de la police judiciaire les interroge le 3 novembre, lorsque le commissaire Bouvier les interroge les 11 et 12 novembre, lorsque M. le juge Zollinger les interroge pour la première fois, ils ne feront jamais état de quelque "couverture" que ce soit, et il faudra attendre le 14 janvier 1966 pour que Souchon fasse au juge d'instruction les surprenantes déclarations que l'on sait. Il semble pourtant que s'ils avaient bénéficié d'une protection hiérarchique ils n'auraient pas manqué d'en faire état pour se protéger. (...) pour qui connaît la hiérarchie policière, un policier ne peut et ne doit obéir qu'aux ordres de son chef direct, ce qui veut dire qu'aucune autre autorité, quelle qu'elle fut ne pouvait les contraindre à exécuter un ordre et qu'ils avaient le devoir, si on leur avait demandé d'accomplir un acte quelconque et à plus forte raison un acte criminel d'en référer immédiatement à leur chef. »
Figon s'est-il réellement suicidé ?
Roger Frey : « Il ne m'appartient pas, en tant que ministre de l'Intérieur, de porter une appréciation sur une information judiciaire. Mais ce que je peux affirmer avec force, en tant que chef de la police et pour répondre à d'odieuses insinuations, c'est que les recherches ont été à la fois complètes, minutieuses et que tous les éléments qui se recoupent concordent pour établir le suicide de Figon. Je peux dire aussi que rarement information n'a été conduite avec un tel souci de la précision et une telle rigueur scientifique. Elle a duré trois semaines et non trois jours ! Songez d'ailleurs que le magistrat instructeur ne commit pas moins de dix experts, parmi les plus éminents, qu'il les chargea de sept expertises diverses, qu'il entendit lui-même de nombreux témoins, fit de multiples investigations. (...) »

Qu'est devenu Mehdi Ben Barka ?

Roger Frey : « Les recherches sont restées vaines. Et pourtant dès que nous avons connu sa disparition, tout a été fait pour le retrouver. Ce fut là notre pensée dominante, mon souci constant, non parce qu'il s'appelait Ben Barka mais parce qu'il était un homme et qu'il avait droit à tous les efforts pour que sa vie fût protégée. »

Que conclure ?

Il est vraisemblable que l'on n'aura jamais de réponse précise sur l'implication du gouvernement français, car la plupart de ceux qui connaissent la vérité sont morts. Les deux thèses en présence sont :
  • L'enlèvement a bénéficié de collaborations françaises de la part d'agents ayant agi "en électrons libres", sans soutien ou couverture de leur hiérarchie,
  • L'enlèvement a été autorisé et aidé avec le consentement des plus hautes autorités de l'État.
En faveur de la première thèse on peut relever le fait que les inculpés n'ont jamais évoqué une "couverture" de leur hiérarchie pour atténuer leur responsabilité. En faveur de la seconde : les multiples interrogations restées sans réponses convaincantes.
Mais l'affaire n'est pas tout à fait close !

L'implication du Mossad

L'implication éventuelle du Mossad (services secrets israëliens) avaient déjà été évoquée par des journalistes israéliens en 1966.
Des informations complémentaires plus précises sont maintenant disponibles.


Il semble avéré que le Mossad a participé à l'enlèvement de Medhi Ben Barka, à titre de "prix à payer" pour d'importants services que leur ont rendu les marocains. La thèse est maintenant crédible car elle est exposée non pas par des milieux antsionistes ou antisémites, mais par des journalistes israéliens, Ronen Bergman and Shlomo Nakdimon, qui viennent de publier un long article sur le sujet dans le journal iNetmagazine, sans être à ma connaissance contredits par les autorités.
Le Monde a interviewé l'un des auteurs de ce livre, Ronen Bergman, célèbre journaliste d’investigation en Israël, spécialisé dans les questions militaires et les services de renseignement.
Cet entretien est reproduit in extenso ci dessous :

Pouvez-vous revenir sur les circonstances dans lesquelles le Mossad s’est retrouvé impliqué dans l’affaire Ben Barka ? 
Le Mossad ne souhaitait pas être impliqué. Cela apparaît clairement dans les documents et les rencontres entre les dirigeants de l’époque. Le service voulait parvenir à l’impossible : ne pas être partie prenante, tout en parvenant à satisfaire leurs homologues marocains, en leur fournissant ce qu’ils souhaitaient. Les relations secrètes avec les Marocains étaient considérées comme stratégiques, de la plus haute importance. Elles relevaient de ce que le Mossad appelait la théorie de la périphérie, consistant à développer des relations avec des pays entourant Israël et les ennemis d’Israël, comme l’Iran, l’Ethiopie, la Turquie, et donc le Maroc. Le Maroc représentait un grand défi car c’est un pays arabe, aux très fortes relations avec la Ligue arabe, et n’entretenant pas de conflit avec une partie du monde arabe, comme l’Iran. Le Mossad a réussi à créer des intérêts communs avec le roi Hassan II et ses services. Cela a commencé en convainquant le roi de laisser les juifs de son pays émigrer vers Israël. Puis Israël a fourni une aide militaire et en matière de renseignement. En échange, on a obtenu un accès à des informations par le Maroc.
Un mois et demi avant l’enlèvement de Ben Barka, il y a un sommet crucial de la Ligue arabe à Casablanca…
Effectivement, il y a eu un sommet arabe en septembre 1965, lors duquel le Mossad a obtenu la possibilité d’observer. Les Marocains ont fourni au Mossad des documents décrivant les délibérations. Je ne peux m’appesantir sur le détail de ces activités car elles sont en partie couvertes par le secret militaire. Mais le contenu des discussions a été qualifié comme étant le plus grand succès en matière de renseignement de notre histoire. L’un des sujets du sommet était de savoir si les pays présents étaient prêts à une nouvelle guerre contre Israël. Les informations obtenues ont été une des bases de la confiance en eux des chefs militaires israéliens, au moment de la guerre des Six jours, en 1967. Pourtant, à l’époque, beaucoup pensaient que le pays serait rayé de la carte.
Mais cet accès privilégié a eu un prix…
Oui. Trois jours après le sommet, les Marocains ont réclamé le paiement pour ces informations : il s’agissait d’aider à localiser et à tuer Ben Barka. Il y a eu des versions divergentes sur ce sujet. Selon le professeur Yigal Ben-Nun, que nous citons dans l’article, qui a beaucoup travaillé sur l’affaire et recueilli de nombreux témoignages auprès des services marocains et israéliens, le plan initial était d’enlever Ben Barka, de l’amener au Maroc et de lui faire une proposition qu’il ne pouvait refuser : accepter un poste de ministre sous peine d’être poursuivi pour haute trahison.Je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Les documents rapportant les entretiens entre le directeur du Mossad, Meïr Amit, et le premier ministre, Lévi Eshkol, suggèrent clairement qu’Amit avait appris des Marocains qu’ils voulaient le tuer. Par ailleurs, dans le cadre de leur aide logistique, le Mossad s’est vu demander à deux reprises de fournir aux Marocains des poisons différents. Pourquoi demander du poison si on ne veut pas le tuer ?
Quelle est la nature des documents que vous citez, concernant les rencontres officielles ? 
Ce sont les minutes, rédigées par l’un des plus proches conseillers du premier ministre, au moment de ces rencontres. Ils sont très secrets. On nous les a montrés. Ils ne sont pas publics. Ce genre de document était scellé, selon la loi, pour cinquante ans. Il y a cinq ans, je me suis adressé à la Cour suprême pour obtenir la publication de toutes les archives confidentielles antérieures à cinquante ans. Le gouvernement a fait savoir à la Cour que le délai était dorénavant porté de cinquante à soixante-dix ans.
Vous citez une rencontre, le 4 octobre 1965, entre le premier ministre et Meïr Amit, le directeur du Mossad, qui dit : « Le roi Hassan a donné l’ordre de tuer Ben Barka ».
Amit comprend qu’ils veulent le tuer. Mais ça laisse une question en suspens : pourquoi ne pas assassiner Ben Barka en pleine rue à Paris ? Ça serait bien plus simple que de le conduire dans un appartement, de le torturer, si ce n’est pour leur plaisir personnel. Les Marocains avaient donc peut-être d’autres objectifs, même s’ils envisageaient de le tuer à la fin.Amit et peut-être le premier ministre avaient l’impression que l’opération n’aurait pas lieu, que les Marocains laisseraient les choses en l’état. Amit pensait pouvoir recueillir le bénéfice de la coopération, en apparaissant comme un bon partenaire, sans être impliqué dans un assassinat. Il ne ment pas quand il rapporte au premier ministre que le Mossad n’est pas impliqué directement dans l’assassinat de Ben Barka. Ce ne sont pas des mains israéliennes qui ont serré le cou, le Mossad n’était pas présent au moment des faits et n’a pas autorisé sa mise à mort. Mais il minimise le rôle joué par le service.
Quelle a été l’implication logistique du Mossad ? On sait que, dans la phase initiale, ils avaient aidé à repérer Ben Barka en Suisse, à Genève…
Ils ont ensuite aidé en fournissant de faux documents pour louer des voitures et ils ont donné des passeports aux Marocains et aux mercenaires français pour pouvoir prendre rapidement la fuite après les faits. Il est clair aussi que le Mossad a fourni un appartement, une cache aux Marocains, mais on’est pas certain que ce fut celui où Ben Barka a été conduit.
Et le corps de Ben Barka ? 
Quelques minutes après le drame, Ahmed Dlimi [adjoint du ministre de l’intérieur, Mohammed Oufkir] a appelé le Mossad de l’appartement en disant : « Je ne voulais pas, il est mort. » Selon certains témoignages de premier ordre dont nous disposons, le Mossad s’est chargé d’évacuer le corps de l’appartement, puis de s’en débarrasser. Les agents connaissaient une forêt près de Paris, très prisée pour les pique-niques familiaux. Le service a eu l’idée de dissoudre le corps avant de l’enterrer avec de l’acide, à base de produits chimiques achetés dans plusieurs pharmacies. Cette nuit-là, il a plu. La pluie a accéléré le processus. C’est l’aspect le plus visuel, le plus dramatique de l’implication du Mossad. Le service était très réticent à l’idée d’être impliqué dans l’opération. Au début des années 1960, Ben Barka avait été en contact avec les Israéliens, notamment les services, qui n’avaient aucune hostilité contre lui. Mais ils avaient une énorme dette envers les Marocains.
Quel a été le rôle d’Issa Harel, figure mythique de la communauté du renseignement israélienne, dans la crise politique qui s’est nouée après l’assassinat, en Israël même ? 
Il faut rappeler le contexte. Harel avait dû démissionner comme directeur du Mossad deux ans plus tôt. Il y avait eu une dispute très sévère entre lui et David Ben Gourion [alors premier ministre]. Il pensait que Ben Gourion ne pourrait gérer le Mossad sans lui. Mais Ben Gourion a accepté sa démission et a nommé le chef du renseignement militaire, Meïr Amit, à la tête du service. Harel était convaincu que le Mossad, c’était lui, et qu’Israël, c’était le Mossad.Par la suite, il y a eu un clash interne au sein du camp travailliste, pour capter l’héritage de Ben Gourion, entre Eshkol, Golda Meir et d’autres. Harel, lui, voulait se venger et prouver que son successeur était incompétent. Il a alors entendu parler de l’affaire Ben Berka. Nommé conseiller du premier ministre Eshkol, il lui a dit qu’il devait virer Amit. Eshkol a refusé. Harel lui a dit alors : vous devez démissionner vous-même ! Il menaçait, dans le cas contraire, de tout dire en public et de causer un énorme tourbillon.
Est-il possible d’imaginer que le premier ministre n’ait pas été au courant de l’opération Ben Barka ? 
Je ne suis pas sûr qu’il était courant de tout. Quand on compare ce que savaient les acteurs sur le terrain et ce que Amit rapportait à Eshkol, il y a une grande différence. Cela concerne le degré d’implication du Mossad, ses contacts directs avec les Marocains avant et après l’assassinat de Ben Barka, les informations fournies aux Marocains pour pouvoir localiser Ben Barka, le fait que le Mossad était derrière le piège destiné à attirer Ben Barka à Paris (un projet de documentaire sur lui). Je n’ai trouvé aucun rapport d’Amit au premier ministre détaillant le niveau d’implication du Mossad. Eshkol a fini par demander l’ouverture d’une enquête sur cette affaire, une enquête extrêmement superficielle. Deux feuilles manuscrites, après un travail de trois jours.

La revue Tel Quel reprend cette information et fournit des précisions issues de l'article en Anglais du journal iNetmagazine :
Dans son édition du 20 mars, le quotidien israélien Yediot Aharonot  a publié un dossier consacré à l’implication des services secrets israéliens, le Mossad, dans l’enlèvement de l’homme politique marocain Mehdi Ben Barka le 29 octobre 1965 devant la brasserie Lipp à Paris.  Les deux auteurs de l’article, Ronen Bergman et Shlomo Nakdmon, ont accordé une interview au quotidien français Le Monde dans laquelle ils dévoilent l’implication des services secrets israéliens dans la disparition du leader de l’opposition de Hassan II.

Des informations notamment tirées de documents officiels israéliens secrets, que les journalistes ont réussi à consulter. En particulier les minutes, « rédigées par l’un des plus proches conseillers du premier ministre » lors des rencontres entre le chef du Mossad, Meir Amit, et le premier ministre israélien Levi Eshkol.

Ainsi, le Mossad ne souhaitait pas être impliqué dans l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, selon les journalistes de Yediot Aharonot, qui indiquent que cette volonté apparaissait « clairement dans les documents et les rencontre entre les dirigeants de l’époque ». Mais, les hauts dignitaires de l’état hébreu considéraient les relations secrètes avec le Maroc comme « stratégiques » et avait réussi à créer des intérêts communs avec le roi Hassan II en le convainquant notamment « de laisser les juifs de son pays émigrer vers Israël ».

D’après les documents consultés par les journalistes, l’état israélien fournissait « une aide militaire et en matière de renseignement au Maroc » tandis que les services du royaume transmettaient des informations à leurs homologues israéliens.  Un échange de bons procédés qui a pris une toute autre dimension lorsque « les Marocains ont fourni au Mossad des documents » décrivant les délibérations du sommet de Ligue arabe organisé en septembre 1965 à Casablanca. Ces documents montraient que les pays arabes n’étaient pas prêts à entrer en guerre contre Israël et qui « ont été une des bases de la confiance en eux des chefs militaires israéliens, au moment de la guerre des Six jours, en 1967 ».  Un conflit qui s’était soldé par une victoire éclatante de l’armée israélienne au détriment des armées égyptiennes, syriennes, et jordaniennes.

Néanmoins la transmission de ces informations par les services secrets marocains avait un prix.  Selon les journalistes d’Yediot Aharonot, les services marocains ont demandé de l’aide à leurs homologues israéliens afin de « localiser et […] tuer Ben Barka ».
Ainsi, suite à cette demande, le Mossad a aidé à repérer Ben Barka à Genève et a ensuite fourni de « faux documents pour louer des voitures et ils (le Mossad, ndlr) ont donné des passeports aux Marocains et aux mercenaires français pour pouvoir prendre rapidement la fuite après les faits ». Les services secrets israéliens ont également fourni un logement ayant servi de cache aux services marocains. Toutefois il n’est pas certain que ce logement « fut celui où Ben Barka a été conduit », précisent les deux journalistes.
 Ronen Bergman et Shlomo Nakdmon ajoutent que « le Mossad n’était pas présent au moment des faits et n’a pas autorisé sa mise à mort » mais selon eux, «quelques minutes après le drame, Ahmed Dlimi [adjoint de Mohammed Oufkir] a appelé le Mossad de l’appartement en disant : ‘Je ne voulais pas, il est mort’». Le Mossad a ensuite évacué le corps de l’homme politique. Le service a ainsi eu l’idée de « dissoudre le corps [...]avec de l’acide». Les restes ont ensuite été enterrés dans « une forêt près de Paris [St germain, selon l'enquête publiée parYediot Aharonot, ndlr], très prisée pour les pique-niques familiaux ».  A ce jour, l’ « affaire Ben Barka » n’a toujours pas été élucidée par la justice marocaine.
Ces révélations, qui apparaissent 50 ans après les faits sont crédibles pour plusieurs raisons :

  • Elle sont faites par des journalistes israéliens réputés.
  • Elles sont exclusivement issues de sources israéliennes.
  • Les motivations du Mossad sont conformes à ce que l'on sait de l'état des relations internationales en 1965.
  • Elles sont cohérentes avec les témoignages ou aveux d'autres protagonistes.
  • Elles sont cohérentes avec des révélations, de source israéliennes faites en 1966.

Récapitulatif 

Ce récapitulatif me semble être, au vu de l'ensemble des informations rendues publiques, un scénario vraisemblable bien que certains éléments soient discutables et encore discutés.



Le 29 octobre 1965, Medhi Ben Barka tombe dans le piège que lui a tendu Georges Figon et se rend à un pseudo rendez-vous de travail sur la terrasse de la brasserie Lipp, 151 boulevard Saint-Germain.

À 12 h 30, il est interpellé par deux hommes qui présentent des cartes de police et le font monter dans une 403 banalisée qui disparaît dans la circulation. Quatre personnes étaient dans la 403 Antoine Lopez, un agent du SDECE, deux policiers français, Louis Souchon (chef du groupe des stupéfiants à la Brigade mondaine) et son adjoint Roger Voitot, et Le Ny, un repris de justice.

Lopez a organisé l'enlèvement à la demande d'un agent des services secrets marocains, Larbi Chtouki. L'affaire a été orchestrée directement par le roi Hassan II et son ministre Oufkir. avec l'aide logistique du Mossad. Le Mossad n'a aucun intérêt direct dans l'enlèvement de Medhi Ben Barka, mais sa collaboration logistique est le prix qu'il doit payer pour d'importants services que lui ont rendu les services secrets marocains. Deux autres truands supervisaient l'opération : Jean Palisse et Pierre Dubail, eux-même employés par Georges Boucheseiche, un ancien gangster qui a collaboré jadis avec la Gestapo.

La hiérarchie du SDECE a été informée de l'initiative de Lopez. 

Lopez informe Oufkir que Ben Barka est séquestré à Fontenay-le-Vicomte. Oufkir arrive le lendemain à Paris, ainsi que  le commandant Dlimi, directeur de la sûreté marocaine en compagnie d'un policier marocain nommé El Houssaini. 

Medhi Ben Barka a d'abord été convenablement traité par ses ravisseurs qui entretiennent l'illusion d'une rencontre pacifique avec un personnage important. Mais l'attente et longue ; il se rebiffe, il est frappé et se défend. Oufkir et Dlimi arrivent. Oufkir perd patience, se saisit d'un poignard qu'il a trouvé sur place et assassine Ben Barka.

Quelques minutes plus tard Oufkir contacte le Mossad qui emmène le corps et l'enterre dans un bois après l'avoir dissous dans de l'acide. Le lieu présumé est actuellement situé sous une autoroute construite ultérieurement. Oufkir et Dlimi repartent le lendemain pour le Maroc.

la justice française est saisie : 


  • Les policiers Souchon et Voitot sont inculpés le 14 novembre et écroués à la Santé.
  • Boucheseiche et ses acolytes se sont enfuis au Maroc. Un mandat d'arrêt international est lancé contre eux, qui restera sans effet : on ne les reverra plus jamais en France. 
  • Le 22 janvier, le juge Zollinger délivre trois mandats d'arrêt internationaux contre le général Oufkir, le commandant Dlimi et Larbi Chtouki. 
  • Le 4 novembre, un mandat d'arrêt avait été lancé contre Georges Figon qui est en fuite. Il y est retrouvé mort par des policiers, qui concluent à un suicide. La thèse du suicide a immédiatement été jugée très suspecte, mais on n'en saura pas plus.
  • Le procès s'ouvre le 5 septembre 1966 devant la cour d'assise de la Seine. Antoine Lopez, Philippe Bernier (le journaliste qui projetait de réaliser un film documentaire avec Ben Barka), Louis Souchon, Roger Voitot et El Ghali El Mahi comparaissent détenus. Marcel Leroy-Finville comparait libre (le colonel Le Roy-Finville est un ancien membre du SDECE). Les autres inculpés sont en fuite : Boucheseiche, Palisse, Le Ny, Dubail, "Chtouki", Dlimi et Oufkir. 
  • Antoine Lopez est condamné à 8 ans de réclusion criminelle et Souchon à 6 ans pour arrestation illégale. Les autres inculpés sont acquittés. Oufkir, Chtouki, Boucheseiche, Palisse, Le Ny et Dubail sont condamnés par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité.
  • Le roi Hassan II refusera toujours d'appliquer les condamnations ou d'extrader les condamnés.
En France l'émotion est vive. De Gaulle s'exprime longuement lors d'une conférence de presse, de manière convaincante. Il fixe ainsi ce qui deviendra, en France la version officielle de l'affaire Ben Barka :
  • le gouvernement marocain (ou au moins Oufkir) a organisé l'enlèvement de Medhi Ben Barka,
  • l'enlèvement a été perpétré avec la complicité de membres de la police et des services secrets français,
  • mais la police et les services secrets, en tant qu'entités, ne sont pas concernés ; il s'agit de fautes individuelles,
  • tout a été fait pour élucider l'affaire et essayer de retrouver Medhi Ben Baka.
Le ministre de l'intérieur Roger Frey est beaucoup moins convaincant. Les explications qu'il donne à l'assemblée nationale, en réponse aux questions pertinentes des journalistes sont floues et n'apportent aucun éclaircissement.

Conclusion

L'enlèment de Medhi Ben Barka est une affaire d'État, et une affaire qui implique plusieurs états : Maroc, France, Israël.

Au Maroc le successeur de Hassan II, son fils Mohamed VI, a ordonné l'ouverture d'une instruction ... il y a 15 ans !
En Israël l'implication du Mossad a été confirmée tout récemment.
En France aucun élément nouveau n'a été mis à jour depuis l'époque des faits.

L'enlèvement de Medhi Ben Barka restera une tache indélébile.



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