- l'absence de souffrance physique,
- la satisfaction de ses besoins naturels, éventuellement de manière superfétatoire (le "plaisir"),
- l'acquisition d'une expérience qui maximalise sa durée de vie.
Cette définition peut-elle s'appliquer à l'animal particulier appelé "homme" ?
Ce qui différencie l'animal humain de ses congénères animaux, c'est qu'il est doué de raison et de conscience. Ses deux attributs nécessitent à eux seuls une révision des critères.
Il faut donc souligner que si le bonheur humain est, comme chez l'animal, un état dénué de souffrance physique, il doit l'être également de douleurs "morales". Lorsque deux chiens vivent ensemble sous le même toit et que l'un des deux meurt, l'autre peut montrer quelque perplexité passagère mais ne montre rien que l'on puisse assimiler à de la "tristesse". L'être humain tout au contraire est violemment agressé par la perte d'un être qui lui est cher, ou même, à un degré moindre, par celle d'un être qui lui était simplement familier, voire même inconnu. Dans ces derniers cas il compatit, c'est-à-dire qu'il souffre avec ceux qui sont touchés au plus haut niveau. Cette reconnaissance de l'autre, non pas simplement comme objet mais comme sujet, inaccessible en son essence, mais dans lequel je reconnais un autre "moi", n'est possible que par l'auto-conscience de son être, qui est une faculté proprement humaine. La mort est inconnue à l'animal. Seul l'homme sait que la mort est "un sommeil éternel" (cf. Lucrèce) donc une absence éternelle, et seul l'homme peut souffrir d'une absence. L'animal domestique n'en souffrira que par besoins interposés : quelqu'un doit remplacer son maître pour le nourrir, l'héberger, etc. L'animal sauvage, autant qu'on puisse le savoir, ne souffre pas de l'absence d'un être de son espèce même s'il l'a longtemps côtoyé. La mort n'est d'ailleurs pas la seule source de détresse morale pour l'homme ; on peut citer sans être exhaustif : le regret, la honte, la culpabilité, la souffrance causée par le malheur d'autrui, la jalousie, le désir amoureux insatisfait, la déception, la peur de la mort, la crainte pour autrui, et même la mélancolie, qui peut être une souffrance redoutable. La phrase attribuée (sans doute à tort) à Oscar Wilde dans le film Jules et Jim de François Truffaut: "Mon Dieu, épargnez-moi les douleurs morales, les douleurs physiques je m'en charge ..." n'est pas dénuée de fondements. L'absence de douleur morale semble être une condition nécessaire (non suffisante) au bonheur humain. Mais on ne peut, généralement, ni la prévenir, ni l'empêcher. On doit "vivre avec" et traîner son boulet de la manière la plus adéquate possible, c'est-à-dire mettre en oeuvre une "économie de la douleur", ce qui en fait n'est autre que le fameux "conatus" de Spinoza, la persévérance dans l'être. Ainsi Laurent Bove, philosophe français spécialiste de Spinoza écrit (in Laurent Bove, La stratégie du conatus, Affirmation et résistance chez Spinoza, Vrin, Paris, 1996, p. 121) :
« [...] dans la mélancolie, lorsque c’est la dépression qui est elle-même équilibrée, puisque toutes les parties de notre corps sont pareillement affectées de tristesse, plus rien ne nous permet alors de résister de manière interne. Tout le système de défense est neutralisé et mis au service de la dépression : c’est une véritable dynamique du suicide. Sauf le cas où une cause extérieure viendrait déséquilibrer cette dépression globale au profit d’un affect joyeux à partir duquel le conatus d’une des partie de notre corps pourrait de nouveau résister à l’ensemble des autres en dépression, sauf cette intervention extérieure donc, dans le cas de figure qu’est la mélancolie, l’individu, logiquement et inéluctablement, est voué à la destruction ».
Nous avons donc montré que le bonheur de l'homme doit s'accompagner d'une économie de la souffrance morale inéluctable, ce qui nous conduit à une première définition provisoire :
« [...] dans la mélancolie, lorsque c’est la dépression qui est elle-même équilibrée, puisque toutes les parties de notre corps sont pareillement affectées de tristesse, plus rien ne nous permet alors de résister de manière interne. Tout le système de défense est neutralisé et mis au service de la dépression : c’est une véritable dynamique du suicide. Sauf le cas où une cause extérieure viendrait déséquilibrer cette dépression globale au profit d’un affect joyeux à partir duquel le conatus d’une des partie de notre corps pourrait de nouveau résister à l’ensemble des autres en dépression, sauf cette intervention extérieure donc, dans le cas de figure qu’est la mélancolie, l’individu, logiquement et inéluctablement, est voué à la destruction ».
Nous avons donc montré que le bonheur de l'homme doit s'accompagner d'une économie de la souffrance morale inéluctable, ce qui nous conduit à une première définition provisoire :
- absence de souffrance physique,
- économie (gestion) de la souffrance morale,
- satisfaction de ses besoins naturels, éventuellement de manière superfétatoire (le "plaisir"),
- l'acquisition d'une expérience qui maximalise la durée de vie.
Nous verrons, dans un prochain chapitre de cet article, ce qu'il en est du plaisir et de la jouissance pour l'homme.
À suivre ...
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