Pages

dimanche 5 juin 2016

À VOIR OU À REVOIR : LE FILM DE JEAN-LUC GODARD "LA CHINOISE" (1967)

Le film "La chinoise" est un film extraordinaire. Un film qui s'écoute plus qu'il ne se voit. Il a reçu le Prix spécial du jury à Venise en 1967. À mes yeux c'est le film le plus abouti de Godard, en ce sens qu'il met complètement à nu sa conception du cinéma à une certaine époque, selon laquelle les images sont à la fois un arrière plan qui sert de support à la parole, mais aussi ce qui est le plus directement compréhensible. C'est peut-être une des clés pour comprendre le dernier film du cinéaste "Adieu au langage", film totalement hermétique et dans lequel un des principaux personnages ne parle pas, puisque c'est un chien (cf. un article sur mon blog, ici).
Source : image du film



Un mot d'abord sur les acteurs.

Les deux actrices principales sont Anne Wiazemsky (dans le rôle de Véronique) et Juliet Berto (dans le rôle de Yvonne). Je pense que la préférence du spectateur ira à Juliet Berto (à droite sur la photo) qui est la seule actrice à avoir un jeu "naturel". Pourtant, le jeu stéréotypé d'Anne Wiazemsky est entièrement conforme à son rôle dans le film et, à ce titre, elle effectue une véritable performance. Pour l'anecdote Anne Wiazemsky est la petite-fille de François Mauriac et a été mariée avec Godard entre 1967 et 1970. Elle a effectivement fait des études de philosophie, comme le personnage Véronique du film.

Rien à dire sur les acteurs masculins, si ce n'est que Jean-Pierre Léaud est égal à lui-même, c'est-à-dire totalement exaspérant !

Mais une mention particulière doit être faite à deux acteurs qui jouent leur propre rôle :
  • Omar Blondin Diop (1946-1973), mort en prison sur l'île de Gorée au Sénégal. C'était un intellectuel, militant politique sénégalais, membre actif du Mouvement des jeunes marxistes-léninistes du Sénégal et figure emblématique du mouvement de contestation post-68.
  • Francis Jeanson (1922-2009) est un philosophe français, notamment connu pour son engagement en faveur du FLN pendant la guerre d'Algérie. À partir de 1957 il crée le Réseau Jeanson chargé de transporter des fonds à destination du FLN, réseau clandestin démantelé en 1960. En fuite à l'étranger, Francis Jeanson sera jugé par contumace, reconnu coupable de haute trahison, et condamné en octobre 1960 à dix ans de prison. La conversation, dans un train de banlieue, entre Jeanson et Anne Wiazemsky est un moment très fort du film et également un moment où le film bascule..
Le synopsis est simple à déchiffrer : cinq jeunes gens passent l'été 1966 (ou 1967 ?) dans un appartement qu'on leur a prêté. Ils créent une cellule maoïste, étudient sans interruption le marxisme-léninisme et préparent une action terroriste contre un ambassadeur soviétique de passage à Paris. Car, outre l'impérialisme américain (ce qui va de soi !), leurs cibles principales sont l'URSS et le Parti Communiste Français, coupables à leur yeux de révisionnisme. Leur objectif est de s'inspirer de la révolution culturelle chinoise et en particulier (c'est l'obsession de Véronique) de fermer les universités et d'envoyer les étudiants travailler dans les champs.

Contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là, ce n'est absolument pas un film maoïste militant mais un film sur les illusions de jeunes gens de la génération de 1968. En fait c'est plutôt le PCF qui sort indemne de cette affaire, en particulier grâce aux propos de Francis Jeanson et du personnage Henri (Michel Semeniako), exclu de la cellule pour tendances "pro-PCF". Ce personnage, dans l'interview qu'il est censé donner dans film, éclaire à merveille l'argument principal de l'oeuvre.

Un film passionnant.


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Vous pouvez ajouter des commentaires.