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mercredi 15 juin 2016

"ELI, ELI, LAMA SABACHHTANI"

J'ai lu ou entendu beaucoup de choses de la part de chrétiens ou non-chrétiens, au sujet de la parole du Christ sur la croix : " Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" (Eli, Eli, lama sabachthani en arménien), rapportée par les évangiles de Marc et Mathieu. Et, de mon point de vue, j'ai surtout lu ou entendu beaucoup d'hypothèses fragiles.

Source de l'illustration


Pour certains chrétiens, il y a parfois ce que je pense être une sur-estimation du sens.

Par exemple dans La Croix : "Ne peut-on pas penser que Jésus, pour s’approcher de nous, pour prendre notre condition d’homme jusqu’au bout, en soit venu à ressentir, pour un court moment, l’éloignement du Père ? Un peu comme si la Trinité s’ouvrait tout à coup pour laisser l’humanité s’engouffrer, à la suite de Jésus, en son sein ? Du coup ce cri est l’ultime acte d’amour de Jésus pour l’homme. Celui où, Dieu lui-même, il quitte sa condition divine pour nous entraîner à sa suite. Et il n’est pas étonnant que ce cri soit à la limite du blasphème : il renferme tous nos cris, toutes nos souffrances, toutes nos révoltes".

Pour les non-chrétiens (je pense ici aux musulmans et aux athées), c'est souvent le caractère contradictoire de cette parole qui est  mise avant, pour démontrer que Jésus n'a pas eu la mission divine que lui attribuent les évangiles, puisqu'il a douté de Dieu dans ses ultimes moments. Certains mettent d'ailleurs en opposition ce qu'a dit le Christ avec ce passage de Paul (Philippins 2,5-8) :

« Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en  devenant semblable aux hommes; (2-7) et ayant paru comme un simple homme, (2-8) il s’est humilié lui-même,  se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix ». Contradiction puisque, au moins en paroles, Jésus n'a pas été obéissant jusqu'à la mort.

De mon point de vue, la réponse est beaucoup plus simple et beaucoup moins radicale. Jésus était juif et cette parole qu'il prononce sur la croix n'est autre que le début du Psaume 22. Quoi de plus normal qu'un juif érudit, qui connaît parfaitement la Torah cite au moment de mourir un psaume dans lequel il voit beaucoup de similitudes avec sa situation actuelle ? Est-ce qu'au moment de mourir un chrétien ne réciterait pas le "Notre Père ?".

Dans la traduction de André Chouraqui, le Psaume 22 est le suivant :


Éli, Éli, pourquoi m’as-tu abandonné, loin de mon salut
et des paroles de mon rugissement ?
3.     Elohaï, je crie de jour, tu ne réponds pas;
la nuit, pas de silence en moi !
4.     Mais toi, sacré, tu habites les louanges d’Israël.
5.     En toi, nos pères se fièrent; ils se fièrent, et tu les délivras.
6.     Vers toi ils clamèrent, et s’échappèrent;
en toi ils se fièrent, et ne blêmirent pas.
7.     Mais moi-même, un ver, pas un homme !
La flétrissure de l’humain, le rebut du peuple !
8.     Tous mes voyeurs se moquent de moi;
ils grimacent de la lèvre, ils remuent de la tête:
9.     « Roule vers IHVH-Adonaï ! Qu’il le fasse évader !
Qu’il le secoure, puisqu’il le désire ! »
10.     Oui, toi, mon évacuateur du ventre,
mon assurance sur les seins de ma mère !
11.     Contre toi j’ai été jeté dès la matrice; dès le ventre de ma mère, Éli, toi.
12.     Ne t’éloigne pas de moi: oui, la détresse m’approche, et pas d’aide !
13.     Ils m’entourent, les nombreux taureaux,
les aurochs de Bashân m’encerclent.
14.     Ils fendent contre moi leur gueule, un lion qui lacère et rugit.
15.     Je me répands comme de l’eau; tous mes os se disloquent.
Mon cœur, comme de la cire, fond dans mes viscères.
16.     Ma force sèche comme du grès, ma langue colle à mes gencives,
à poussière de mort tu me réduis.
17.     Oui, les chiens m’entourent, une bande de malfaiteurs; ils m’encerclent !
Comme un lion ! Mes mains, mes pieds !
18.     Je compte tous mes os ! Ils me regardent, ils me voient, eux.
19.     Ils se partagent mes habits;
pour mes vêtements, ils font tomber le sort.
20.     Toi, IHVH-Adonaï, ne t’éloigne pas ! Ma divine force, à mon aide ! Hâte-toi !
21.     Secours mon être de l’épée, de la griffe du chien, mon unité !
22.     Sauve-moi de la gueule du lion, des cornes des aurochs. Tu me réponds !
23.     Je raconte ton nom à mes frères;
au milieu de l’assemblée, je te louange.
24.     Frémissants de IHVH-Adonaï, louangez-le;
toute la semence de Ia‘acob, glorifiez-le;
mais tremblez de lui, toute la semence d’Israël.
25.     Non, il ne méprise pas, il ne repousse pas l’humiliation de l’humilié.
Il ne voile pas ses faces loin de lui;
à son appel vers lui, il entend.
26.     Ma louange est de toi dans l’assemblée nombreuse;
je paie mes vœux devant ses frémissants.
27.     Les humbles mangent et se rassasient;
ils louangent IHVH-Adonaï, ses consulteurs.
Vive votre cœur à jamais !
28.     Ils se souviennent et retournent vers IHVH-Adonaï, tous les confins de la terre;
ils se prosternent en face de toi, tous les clans des nations.
29.     Oui, la royauté est à IHVH-Adonaï, le gouverneur des nations.
30.     Ils mangent et se prosternent, tous les repus de la terre;
ils ploient en face de lui, tous les gisants de la poussière,
l’être par lui vivifié.
31.     Une semence le sert, Adonaï est raconté à l’âge.
32.   Ils viennent rapporter sa justice au peuple naissant; oui, ce qu’il a fait.



Il est clair qu'il y a deux parties dans ce Psaume 22 :

la  première partie (jusqu'au v.19 inclus) traduit le doute et le désarroi. C'est effectivement la teneur du verset que le Christ a prononcé sur la croix.
mais à partir du verset 20, la tonalité s'inverse : ce qui prévaut, c’est la confiance, la reconnaissance :" ils ploient en lui, tous les gisants de la poussière, l'être par lui vivifié".
En conséquence, ce qu'il faut retenir, à mon sens, ce n'est pas "Eli, Eli, lama sabachthani" mais le fait que sur la croix Jésus a fait référence au Psaume 22 ( et non pas à son premier verset). Et cette conclusion est valable que Jésus soit, ou ne soit pas, le fils de Dieu.

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