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lundi 9 mai 2016

QUELLE LANGUE PARLAIENT ADAM ET ÈVE ?

Le titre de cet article ne doit pas être pris au pied de la lettre. Aujourd'hui la majorité des chrétiens pensent que l'Ancien Testament doit être lu dans son contexte historique et culturel et que son contenu est largement allégorique. Les croyants juifs insistent sur la nécessaire exégèse permanente de la Torah (cf. à ce sujet l'ouvrage de Catherine Chalier : Lire la Torah, ed. Seuil, 2014). Quant à la troisième religion monothéiste, la religion musulmane, je la connais trop mal  pour écrire quoi que soit de sérieux à son sujet et me contenterai de quelques citations du Coran, issues de l'édition de D. Masson (Folio, 2000).

L'objet de cet article n'est donc pas vraiment (disons même pas du tout) de savoir quelle langue parlaient Adam et Ève, mais de rechercher ce qui est dit de la langue dans la Genèse (Bereshit pour la Torah). Pourquoi ? Uniquement par curiosité. En tous cas, sans prétention d'aboutir à des conclusions théologiques ou philosophiques, et encore moins scientifiques ou linguistiques. D'ailleurs j'aborderai d'autres thèmes que m'ont inspiré les textes, et pas uniquement ceux relatifs au langage.



La Tour de Babel. Source de l'illustration

Trois textes de la Genèse sont utilisés :

  • Le Bereshit de la Torah, dans la traduction de André Chouraqui  (en ligne ici).
  • La Genèse dans la Bible de Jérusalem (inspiration catholique, en ligne ici ).
  • La Genèse dans la traduction de Louis Segond (inspiration protestante, en ligne ici).
Ces trois textes seront référencés respectivement AC, BJ et LS, suivis du numéro de chapitre, puis du numéro du ou des versets.

Une remarque préliminaire : les lecteurs habitués aux versions chrétiennes de la Bible seront peut-être déroutés par la traduction d'André Chouraqui qui reste toujours au plus prés de l’hébreux. 
    Les premières paroles de Dieu interviennent au cours de chacun des six jours de la création.

    Premier jour
    • AC I, 3-5 : "Elohîms dit: « Une lumière sera. »Et c’est une lumière. Elohîms voit la lumière: quel bien ! Elohîms sépare la lumière de la ténèbre. Elohîms crie à la lumière: « Jour. ». À la ténèbre il avait crié: « Nuit. » Et c’est un soir et c’est un matin: jour un."
    • BJ I, 3-5 : "Dieu dit: "Que la lumière soit" et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière "jour" et les ténèbres "nuit." Il y eut un soir et il y eut un matin: premier jour."
    • LS I, 3-5 : "Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres.  Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier jour."

    Pour ce qui nous intéresse ici les deux versions chrétiennes sont très semblables avec l'emploi des verbes "dire" et "appeler". Pour Chouraqui par contre, les verbes employés sont "dire " et "crier".

    Examinons le verbe "dire" commun aux trois versions. Il ne qualifie pas un dialogue ni un monologue.  Ce n'est pas un ordre, car à qui Dieu s'adresserait-il ? C'est en quelque sorte une parole silencieuse qui ne s'adresse à personne mais qui est la manière biblique de dire "Dieu veut". 

    Mais cela pose un important problème. Dieu est par définition un être infiniment parfait. S’il veut quelque chose, s’il a à exprimer sa volonté, c’est qu’il a un manque, donc qu’il n’est pas absolument parfait. La création de l’univers répondait-elle à un manque ?
    Cette objection n’a pas échappé à Thomas d’Aquin, Saint Thomas d'Aquin pour les catholiques. À l’objection (Somme théologique, question 19, article 1) : « La volonté est une faculté de désir. Or le désir, relatif à ce qu’on n’a pas, marque une imperfection qui ne convient pas à Dieu. », il répond : « La volonté appartient en nous à la partie appétitive. Celle-ci, bien qu’elle tire son nom du désir, n’a pas pour acte unique de désirer ce qu’elle n’a pas, mais aussi d’aimer ce qu’elle a et d’en jouir. Et c’est sous cet aspect que la volonté est attribuée à Dieu, car elle a toujours le bien qui est son objet puisqu’il ne diffère pas de Dieu selon l’essence ». 
    En d’autres termes, pour Thomas : on dit que Dieu « veut » car il veut le bien. Mais ce « vouloir » n’est pas mû par un désir puisque le bien appartient à l’essence de Dieu. Par analogie, on pourrait dire que je pense non pas parce que je veux ou désire penser, mais parce que penser fait partie de l’essence de l’homme.

    Venons-en maintenant au verbe "appeler", qui n'est employé que dans les versions chrétiennes de la Genèse. Il soulève un problème très intéressant : le verbe « appeler » a deux significations en français :

    1. « Catherine a eu une fille et l’a appelée Marie ». En d’autres termes elle lui a donné un nom. Il en est de même pour les noms communs ; par exemple : « j’appelle « triangle » un polygone plan qui a 3 côtés. »
    2. « Charles est dans la cour et sa mère l’appelle pour qu’il vienne faire ses devoirs ». Il ne s’agit pas de donner un nom mais de donner un ordre ou, au minimum, d’attirer l’attention, comme dans : « j’appelle au secours ». 

    Les versions chrétiennes ont clairement choisi la première option. Dieu donne le nom « jour » à la partie de la journée recevant la lumière, et « nuit » à l’autre partie. En quelque sorte, Dieu aurait créé les deux premiers mots de la langue, alors qu’il n’a pas encore créé le langage ? C’est peu plausible. 

    Je préfère la version de Chouraqui qui dit : « Elohîms crie à la lumière: « Jour. ». À la ténèbre il avait crié: « Nuit. » En effet, Dieu a préalablement séparé la lumière des ténèbres ; les deux existent potentiellement, mais ne sont pas révélées. Dans le langage scolastique du moyen-âge, on dirait qu’elles ne sont pas « en acte ». Le fait que Dieu appelle la lumière et les ténèbres correspond au deuxième sens du verbe appeler : il exprime la volonté qu’elles apparaissent. Il donne un ordre, il crie. Et « crier » n’a pas le même sens que « dire ». Quand Dieu dit « la lumière sera », ou « que la lumière soit », il fait un acte créateur. Quand il crie à la lumière « Jour ! » il fait un acte révélateur.

    Remarque : il n’y a pas lieu de s’étonner que Chouraqui utilise le singulier « la ténèbre ». C’est une forme très rare mais qui est autorisée en français pour désigner quelque chose de plus absolu que les ténèbres de la nuit, généralement dans un contexte poétique ou religieux.

    Rappelons enfin que pour les non-croyants l'hypothèse la plus crédible est celle du Big Bang : un agglomérat extraordinairement dense et extraordinairement chaud de particules, qui a connu une expansion et un refroidissement conduisant à l'univers que nous connaissons. Quant à savoir ce qu'il y avait avant le Big Bang, et pourquoi il y avait quelque chose quelque part, c'est une question sans réponse. Il faudra certainement trouver de nouvelles lois physique pour avancer sur cette question (cf. un article de mon blog sur le sujet).

    Deuxième jour

    • AC I, 6-8 : « Elohîms dit: « Un plafond sera au milieu des eaux: il est pour séparer entre les eaux et entre les eaux. ». Elohîms fait le plafond. Il sépare les eaux sous le plafond des eaux sur le plafond. Et c’est ainsi. Elohîms crie au plafond: « Ciels. ».Et c’est un soir et c’est un matin: jour deuxième. »
    • BJ I, 6-8 : « Dieu dit: "Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux" et il en fut ainsi. Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous le firmament d'avec les eaux qui sont au dessus du firmament, et Dieu appela le firmament "ciel." Il y eut un soir et il y eut un matin: deuxième jour.
    • BS I, 6-8 : Dieu dit: Qu'il y ait une étendue entre les eaux, et qu'elle sépare les eaux d'avec les eaux. Et Dieu fit l'étendue, et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l'étendue d'avec les eaux qui sont au-dessus de l'étendue. Et cela fut ainsi. Dieu appela l'étendue ciel. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le second jour.
    Le raisonnement concernant les verbes désignant la parole est strictement identique à celui concernant le premier jour, si ce n'est qu'il s'agit de créer et de révéler, non pas la lumière et les ténèbres, mais le ciel.

    Remarque : je n’aime pas trop le mot « firmament » de la Bible de Jérusalem car il désigne usuellement le ciel étoilé. Or Dieu n’a pas encore créé ni le Soleil, ni la Lune, ni les étoiles. Je n’aime pas trop le « plafond » de Chouraqui car le mot est maintenant très connoté (le plafond d’une pièce de la maison). Le mot « étendue » utilisé par Segond  est critiquable car il n’évoque pas la notion de « surface supérieure », mais c’est quand même mon meilleur choix car il est expliqué par le contexte.


    Troisième jour


    • AC I, 9-13 : « Elohîms dit: « Les eaux s’aligneront sous les ciels vers un lieu unique, le sec sera vu. ». Et c’est ainsi. Elohîms crie au sec: « Terre. » À l’alignement des eaux, il avait crié: « Mers. ».Elohîms voit: quel bien ! Elohîms dit: « La terre gazonnera du gazon, herbe semant semence, arbre-fruit faisant fruit pour son espèce, dont la semence est en lui sur la terre." Et c’est ainsi. La terre fait sortir le gazon, herbe semant semence, pour son espèce et arbre faisant fruit, dont la semence est en lui, pour son espèce. Elohîms voit: quel bien ! Et c’est un soir et c’est un matin: jour troisième.
    • BI, 9-13 : « Dieu dit: "Que les eaux qui sont sous le ciel s'amassent en une seule masse et qu'apparaisse le continent" et il en fut ainsi. Dieu appela le continent "terre" et la masse des eaux "mers », et Dieu vit que cela était bon. Dieu dit: "Que la terre verdisse de verdure: des herbes portant semence et des arbres fruitiers donnant sur la terre selon leur espèce des fruits contenant leur semence" et il en fut ainsi. La terre produisit de la verdure: des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence », et Dieu vit que cela était  bon. Il y eut un soir et il y eut un matin: troisième jour. »
    • LS 9-13 : Dieu dit: Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu, et que le sec paraisse. Et cela fut ainsi. Dieu appela le sec terre, et il appela l'amas des eaux mers. Dieu vit que cela était bon.Puis Dieu dit: Que la terre produise de la verdure, de l'herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Et cela fut ainsi. La terre produisit de la verdure, de l'herbe portant de la semence selon son espèce, et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le troisième jour.

    Chouraqui emploie le verbe "dire" comme exprimant une volonté de Dieu : Dieu veut que la terre ferme et les mers soient. Il les crée. Par contre il crie "terre" et "mer" pour transformer la potentialité en acte, comme nous l'avons déjà vu. En ce qui concerne les végétaux le "dire" de création n'est pas suivi d'une révélation. Ce qui semble dire que, pour Chouraqui, la terre (le sec) sera le vecteur de révélation. Le sec contient déjà dans son essence le processus de croissance des plantes. En d'autres termes : Dieu crée la terre (au sens de "le sec"), non seulement comme matière mais aussi comme créatrice de vie. 

    Remarque : pour désigner la terre ferme on a les mots « le sec » chez AC et LS et « le continent » dans BJ. Pour des raisons purement formelles je n’aime pas « continent » qui est aujourd’hui connoté comme un espace géographique.

    Quatrième jour

    AC I, 14-19 : « Elohîms dit: « Des lustres seront au plafond des ciels, pour séparer le jour de la nuit. Ils sont pour les signes, les rendez-vous, les jours et les ans. Ce sont des lustres au plafond des ciels pour illuminer sur la terre. ». Et c’est ainsi. Elohîms fait les deux grands lustres, le grand lustre pour le gouvernement du jour, le petit lustre pour le gouvernement de la nuit et les étoiles. Elohîms les donne au plafond des ciels pour illuminer sur la terre,     pour gouverner le jour et la nuit, et pour séparer la lumière de la ténèbre. Elohîms voit: quel bien ! Et c’est un soir et c’est un matin: jour quatrième. »
    BJ I, 14-19 : Dieu dit: "Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit; qu'ils servent de signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années, qu'ils soient des luminaires au firmament du ciel pour éclairer la terre" et il en fut ainsi. Dieu fit les deux luminaires majeurs: le grand luminaire comme puissance du jour et le petit luminaire comme puissance de la nuit, et les étoiles. Dieu les plaça au firmament du ciel pour éclairer la terre, pour commander au jour et à la nuit, pour séparer la lumière et les ténèbres, et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir et il y eut un matin: quatrième jour. »
    LS I, 9-14 : Dieu dit: Qu'il y ait des luminaires dans l'étendue du ciel, pour séparer le jour d'avec la nuit; que ce soient des signes pour marquer les époques, les jours et les années; et qu'ils servent de luminaires dans l'étendue du ciel, pour éclairer la terre. Et cela fut ainsi. Dieu fit les deux grands luminaires, le plus grand luminaire pour présider au jour, et le plus petit luminaire pour présider à la nuit; il fit aussi les étoiles. Dieu les plaça dans l'étendue du ciel, pour éclairer la terre, pour présider au jour et à la nuit, et pour séparer la lumière d'avec les ténèbres. Dieu vit que cela était bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le quatrième jour. »

    Les trois versions sont très similaires pour ce jour de création du Soleil, de la Lune et des étoiles. Mais contrairement aux jours précédents, c’est Dieu lui-même qui place ces créations là où elles doivent être. Plus exactement il les crée en fonction de leur usage (éclairer la terre, gouverner le jour et la nuit, etc.) et cet usage implique un lieu particulier : le ciel.

    Remarque : la Bible de Jérusalem est fortement critiquable, me semble-t-il, quand elle indique que les luminaires servent, entre autres choses, de signes pour marquer les fêtes. La notion de « fête » n’a pas de sens puisque l’homme n’a pas encore été créé. Et Dieu, dans sa perfection absolue, n’a certainement pas besoin de fêtes pour lui-même ! Le traducteur, influencé par la datation astronomique de beaucoup de fêtes des futures religions monothéiste, a commis un vilain contre-sens. Chouraqui peut être également critiqué pour l’emploi de l’expression « rendez-vous ». Mais il a une circonstance atténuante : l’expression « rendez-vous » est tellement moderne, qu’elle ne peut pas avoir le sens qu’elle a aujourd’hui (rencontre entre deux personnes à un jour et en un lieu donnés). Il est vraisemblable que « rendez-vous » désigne le signe d’événements lisibles dans le ciel pour tout ce qui a déjà été créé. Par exemple, il est de notoriété publique que le premier lever de l’étoile Sirius marque l’époque où le blé est mûr en Égypte, ou que l’équinoxe de  printemps marque à peu prés le début de la floraison, que le solstice d'été marque le début de la décroissance des jours, etc.
    Sur cet aspect, la traduction LS est parfaite : « que [les luminaires] soient des signes pour marquer les époques, les jours et les années ».

    Cinquième jour

    Le cinquième jour, Dieu crée la première forme de vie.
    Rappelons que pour les non-croyants la vie est apparue grâce à la combinaison de facteurs particuliers (sur lesquels les biologistes ne sont pas tous d'accord) qui ont permis d'abord la création de l"ARN, puis de l'ADN puis ont permis la formation de molécules et de combinaison de molécules aptes à se multiplier. La sélection de type darwinienne a fait le reste (je simplifie outrageusement ; je ne suis pas spécialiste du sujet).
    • AC I, 20-23 : « Elohîms dit: « Les eaux foisonneront d’une foison d’êtres vivants, le volatile volera sur la terre, sur les faces du plafond des ciels. ». Elohîms crée les grands crocodiles, tous les êtres vivants, rampants, dont ont foisonné les eaux pour leurs espèces, et tout volatile ailé pour son espèce. Elohîms voit: quel bien ! Elohîms les bénit pour dire : « Fructifiez, multipliez, emplissez les eaux dans les mers, le volatile se multipliera sur terre. ». Et c’est un soir et c’est un matin: jour cinquième. “
    • BJ I, 20-23 : « Dieu dit: "Que les eaux grouillent d'un grouillement d'êtres vivants et que des oiseaux volent au-dessus de la terre contre le firmament du ciel" et il en fut ainsi. Dieu créa les grands serpents de mer et tous les êtres vivants qui glissent et qui grouillent dans les eaux selon leur espèce, et toute la gent ailée selon son espèce, et Dieu vit que cela était bon. Dieu les bénit et dit: "Soyez féconds, multipliez, emplissez l’eau des mers, et que les oiseaux multiplient sur la terre". Il y eut un soir et il y eut un matin: cinquième jour »
    • LS I, 20-23 : Dieu dit: Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants, et que des oiseaux volent sur la terre vers l'étendue du ciel. Dieu créa les grands poissons et tous les animaux vivants qui se meuvent, et que les eaux produisirent en abondance selon leur espèce; il créa aussi tout oiseau ailé selon son espèce. Dieu vit que cela était bon. Dieu les bénit, en disant: Soyez féconds, multipliez, et remplissez les eaux des mers; et que les oiseaux multiplient sur la terre.  Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le cinquième jour. »

    Comme le quatrième jour, Dieu crée sans autre adjonction (chez Chouaqui il ne crie pas "oiseaux !" ou "poissons !" ). Et là encore, c'est parce que sa création est immédiatement localisée. Il crée les oiseaux du ciel et les poissons et reptiles des eaux. Le verbe "dire" a le sens déjà rencontré pour les autres jours, de "vouloir". 

    Mais il y a une originalité : Dieu "bénit" les animaux qu'il a créés en leur enjoignant (en leur ordonnant par sa volonté, son "dire") d'être féconds, comme il bénira ses créations du sixième jour. Pourquoi Dieu n'a-t-il pas béni les végétaux le quatrième jour ? 

    Il me semble qu’il y a deux types de réponses possibles  à cette question. L’une prosaïque, l’autre théologique.

    Réponse prosaïque : La plante est « naturellement » nourrie par le milieu dans lequel elle se développe. Si ce milieu ne lui fournit pas ce dont elle a besoin elle disparaîtra ou (Darwin) seuls les individus dotés de certaines caractéristiques rares (interprétation moderne post-darwinienne : des mutations chromosomiques) pourront s’adapter. Par contre l’animal ne reçoit pas sa nourriture, il doit aller la chercher, faire un acte volontaire ou, plus exactement un acte qui est mû par l’instinct de survie. Il en est de même pour la reproduction : Les plantes possèdent en elle –mêmes leurs processus de croissance et de reproduction. On ne peut pas empêcher « naturellement » la graine d’un fruit de produire un arbre fruitier, qui produira des fleurs etc. Par contre les animaux ne se reproduisent pas « naturellement ». Ils ont besoin de s’accoupler et cet accouplement n’est pas automatique ; il ne fait pas partie de leur essence. Pour qu’ils s’accouplent il faut quelque chose qui les dépasse et ce quelque chose est l’instinct de reproduction. On ne doit pas oublier le sens du verbe « bénir » qui, s’agissant d’une bénédiction donnée par Dieu, ou en son nom, signifie « doter la créature de perfections qui la singularise ». En bénissant les animaux, Dieu leur donne l’instinct. Pourquoi Dieu a-t-il créé simultanément la forme et les caractéristiques des végétaux ? Parce que ces caractéristique ne sont pas intrinsèques, mais sont distribuées par l’intermédiaire d’un média déjà existant : la terre (au sens de matière).
    Réponse théologique : elle nous est donnée par Thomas d’Aquin (Somme théologique, question 47, article 2). Je cite : « […] dans les choses naturelles, les espèces semblent être ordonnées par degrés, les corps mixtes sont plus parfaits que les éléments simples, les plantes que les minéraux, les animaux que les plantes, les hommes que les autres animaux. Et dans chacun de ces ordres de créatures une espèce est plus parfaite que les autres. Donc, de même que la sagesse divine est cause de la distinction entre les choses, pour la perfection de l’univers, ainsi est-elle cause de leur inégalité. Car l’univers ne serait point parfait si l’on ne trouvait dans les êtres qu’un seul degré de bonté. ».

    Pour Thomas, Dieu a créé une hiérarchie entre les êtres qui est la suivante dans l’ordre du "vouloir" :
    • Au végétaux est donnée la nécessité indépendante du vouloir.
    • Aux animaux est donné l’instinct, indépendant du vouloir mais non intrinsèque à la créature.
    • Aux hommes est donné le libre-arbitre. C’est une des raisons, à mon avis, pour lesquelles on dira lors du sixième jour que « Dieu crée l’homme à son image ». La réfutation athée de cette affirmation est que l’homme a créé Dieu à son image. Mais c’est une discussion qui nous entraînerait trop loin de notre sujet (cf. l’article de mon blog qui aborde ce point).

    Sixième jour

    C'est le grand jour : la création de l'homme, l'être raisonnable et pensant, le seul être vivant capable de s'interroger sur son être !


    • AC I, 24-31 : « Elohîms dit: « La terre fera sortir l’être vivant pour son espèce, bête, reptile, le vivant de la terre pour son espèce. ». Et c’est ainsi. Elohîms fait le vivant de la terre pour son espèce,la bête pour son espèce et tout reptile de la glèbe pour son espèce..Elohîms voit: quel bien ! Elohîms dit: « Nous ferons Adâm ­ le Glébeux ­à notre réplique, selon notre ressemblance. Ils assujettiront le poisson de la mer, le volatile des ciels, la bête, toute la terre, tout reptile qui rampe sur la terre.».Elohîms crée le glébeux à sa réplique, à la réplique d’Elohîms, il le crée, mâle et femelle, il les crée. Elohîms les bénit. Elohîms leur dit : « Fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-la. Assujettissez le poisson de la mer, le volatile des ciels, tout vivant qui rampe sur la terre. » Elohîms dit: « Voici, je vous ai donné toute l’herbe semant semence, sur les faces de toute la terre, et tout l’arbre avec en lui fruit d’arbre, semant semence: pour vous il sera à manger. Pour tout vivant de la terre, pour tout volatile des ciels, pour tout reptile sur la terre, avec en lui être vivant, toute verdure d’herbe sera à manger. » Et c’est ainsi. Elohîms voit tout ce qu’il avait fait, et voici: un bien intense. Et c’est un soir et c’est un matin: jour sixième. »
    • BJ I, 24-31 : Dieu dit: "Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce: bestiaux, bestioles, bêtes sauvages selon leur espèce" et il en fut ainsi. Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les bestioles du sol selon leur espèce, et Dieu vit que cela était bon. Dieu dit: "Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu'ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre." Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et leur dit: "Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre." Dieu dit: "Je vous donne toutes les herbes portant semence, qui sont sur toute la surface de la terre, et tous les arbres qui ont des fruits portant semence: ce sera votre nourriture. A toutes les bêtes sauvages, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui rampe sur la terre et qui est animé de vie, je donne pour nourriture toute la verdure des plantes" et il en fut ainsi. Dieu vit tout ce qu'il avait fait: cela était très bon. Il y eut un soir et il y eut un matin: sixième jour. »
    • LS, I, 24-31 : Dieu dit: Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail, des reptiles et des animaux terrestres, selon leur espèce. Et cela fut ainsi. Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon. Puis Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. Et Dieu dit: Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d'arbre et portant de la semence: ce sera votre nourriture. Et à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui se meut sur la terre, ayant en soi un souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Et cela fut ainsi. Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voici, cela était très bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le sixième jour. »


    Concernant l’emploi des verbes exprimant une parole ou une volonté, la nouveauté est que pour la première fois, dans les trois versions, ils désignent un dialogue. Un dialogue entre Dieu et l’homme et  la femme qu’il a créés. Comment un tel dialogue est-il linguistiquement possible ? La question vaut pour toutes les occasions, dans l’Ancien Testament, où Dieu s’adresse à un humain, par exemple lorsqu’il donnera la Loi à Moïse. Il est en effet tout-à-fait invraisemblable que Dieu « parle » au sens où nous entendons ce mot. Tout l’Ancien Testament fourmille évidemment d’anthropomorphismes de ce type (cf. l’ouvrage de Catherine Chalier cité plus haut pour approfondir la question). On doit admettre qu’il s’agit d’une conversation spirituelle. En effet, Adam et Éve sont vraisemblablement dotés par Dieu de tous leurs organes, y compris ceux qui leur permettent de parler. Mais la langue est une convention et il n’est dit nulle part, pour le moment, que soit Dieu, soit Adam ou Ève ont créé un langage.

    Quelques remarques au sujet des récits du sixième jour :
    • Quand les versions chrétiennes parlent de la création de l’homme et de la femme, Chouraqui parle de la création de « Adam-le glébeux ». Le mot Adam a pour origine le mot hébreux Adama qui signifie « poussière de la terre ». Il faudrait consulter le texte hébreux (ce que je ne suis pas capable de faire) pour savoir si la répétition « Adam + le glébeux » est présente dans le texte ou si elle est une volonté de Chouraqui d’expliciter le mot Adam.
    • Dieu crée l’homme « mâle et femelle », dans les trois versions. J’ai lu quelques commentaires ésotériques et peu sérieux  qui laissent entendre que Dieu a créé un hermaphrodite. C’est une hypothèse tout à fait farfelue puisque, dans les trois versions les paroles de Dieu sont transcrites à la deuxième personne du pluriel : « Fructifiez, multipliez, etc. ». Les trois  textes sont parfaitement clairs à ce sujet et évoquent bien la création de l’homme et de la femme. Quand il est dit que Dieu crée l’homme mâle et femelle, le « et » signifie : Dieu créa l’espèce humaine en créant un mâle et une femelle. Cette remarque n’est pas sans importance aujourd’hui quand on sait que les discriminations entre hommes et femmes sont parfois justifiées par les textes saints. Aucune mention d’une différence quelconque entre l’homme et la femme n’est présente dans le premier chapitre de la Genèse.
    • Le sixième jour, Dieu crée également des animaux, autres que ceux qu’il a créé le cinquième jour et qu’il avait bénis. Pourquoi ne bénit-il pas également les animaux du sixième jour ?  Pourquoi a-t-il d'abord créé séparément les oiseaux et les poissons ? Sur ces points les desseins de Dieu sont impénétrables !
    • Le sixième jour marque la fin de la création et les trois textes soulignent la complétude par un superlatif : « très bon » ou « bien intense ».
    Septième jour
    • AC II, 1-3: « Ils sont achevés, les ciels, la terre et toute leur milice. Elohîms achève au jour septième son ouvrage qu’il avait fait. Il chôme, le jour septième, de tout son ouvrage qu’il avait fait. Elohîms bénit le jour septième, il le consacre: oui, en lui il chôme de tout son ouvrage qu’Elohîms crée pour faire. »
    • BJ II 1-3 : « Ainsi furent achevés le ciel et la terre, avec toute leur armée. Dieu conclut au septième jour l'ouvrage qu'il avait fait et, au septième jour, il chôma, après tout l'ouvrage qu'il avait fait. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car il avait chômé après tout son ouvrage de création »
    • LS II, 1-3 :« Ainsi furent achevés les cieux et la terre, et toute leur armée. Dieu acheva au septième jour son oeuvre, qu'il avait faite: et il se reposa au septième jour de toute son oeuvre, qu'il avait faite. Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu'en ce jour il se reposa de toute son œuvre qu'il avait créée en la faisant. »


    Deux remarques seulement au sujet de ces versets :


    • La première est que le verbe « chômer » utilisé par AC et BJ me semble préférable à "se reposer" que l’on trouve chez LS. Chômer est à comprendre ici comme « ne pas créer » ce qui est conforme au calendrier de la création. Par contre la traduction LS laisse supposer que Dieu avait besoin de se reposer, ce qui n’est pas concevable et malencontreusement anthropomorphique. Augustin (Saint Augustin pour les catholiques) avait souligné ce point dans son ouvrage La Genèse au sens littéral (ouvrage inachevé, commencé en 383) dans lequel on lit au chapitre VIII : « L'Écriture nous apprend que Dieu se reposa le septième jour de toutes ses œuvres, et qu'à ce titre il le bénit et le sanctifia. Si nous voulons comprendre ce mystérieux repos, selon la portée de notre intelligence soutenue par la grâce divine, commençons par bannir de notre esprit toute idée charnelle. Peut-on sans impiété se figurer et dire que la création a coûté quelque travail à Dieu, quand nous voyons les choses sortir du néant à sa parole ? Que l'exécution suive le commandement, ce n'est plus une fatigue, même pour l'homme. Sans doute, la parole exigeant qu'on frappe l'air, finit par devenir une fatigue : mais, quand il s'agit de prononcer quelques mots, comme ceux que Dieu fait entendre dans l'Écriture : fiat lux, fiat firmamentum, et ainsi de suite, jusqu'à l'achèvement de la création au septième jour, il y aurait une extravagance par trop ridicule a soutenir qu'elles lassent, je ne dis pas Dieu, mais un homme. ». Je reviendrai plus loin sur cet ouvrage d’Augustin.
    • La seconde remarque est que Dieu bénit et sanctifie le septième jour, mais que ce jour ne fera pas l’objet d’une prescription pour Adam et Ève. Ce n’est que bien plus tard que, s’adressant à Moïse (Exode,  XXXI, 16-17) il prescrira : « Les enfants d'Israël observeront le sabbat, en le célébrant, eux et leurs descendants, comme une alliance perpétuelle. Ce sera entre moi et les enfants d'Israël un signe qui devra durer à perpétuité »
    Pourquoi la création a-t-elle duré six jours ?



    Je ne résiste pas à la tentation de fournir l'explication qu'en donne Augustin dans l'ouvrage cité plus haut.

    Augustin explique que le choix d'une création en  six jours résulte du fait que 6 est le premier nombre parfait. En arithmétique, un nombre parfait est un nombre qui est égal à la somme de ses diviseurs stricts, c'est-à-dire des diviseurs autres que lui-même. Et en effet 6 = 1 + 2 + 3 (le nombre parfait suivant est 28 = 1+2+4+7+14, qui est la durée moyenne du cycle menstruel de la femme. L'arithmétique est surprenante !).

    Et Augustin ajoute aussi (chapitre II du même ouvrage) : "Mon attention redouble pour le nombre 6, quand je viens à considérer la suite des créations divines. Les parties aliquotes du nombre 6 forment une série qui se termine au triangle : ce sont 1, 2, 3, en d'autres termes le sixième, le tiers, la moitié aucun autre nombre ne les sépare et n'interrompt leur suite. Eh bien ! la lumière a été faite en un jour; les deux suivants ont été consacrés à former l'immense machine de l'univers […] Les trois jours suivants, il a créé tous les êtres visibles qui devaient se mouvoir, selon les lois de leur nature, dans l'espace que renferme l'univers visible, avec tous les éléments; le premier jour, il a placé dans le firmament créé le premier, les luminaires; les deux jours suivants, il a créé les animaux, d'abord ceux des eaux, puis ceux de la terre, comme l'ordre le demandait. Est-ce à dire que Dieu, s'il l'avait voulu, aurait été incapable de créer le monde en un jour, ou d'employer deux jours, l'un à former les corps, l'autre à former les esprits, ou même de créer dans un jour le ciel avec les êtres qu'il contient, et dans l'autre, la terre avec les êtres qui lui sont propres? Qui serait assez insensé pour soutenir une telle opinion ? Qui oserait dire que la volonté de Dieu rencontre des obstacles ?".

    J'adore Augustin. Il est surprenant ! C'est un original.



    Le deuxième récit de la création



    Tout ce que nous venons d'analyser au chapitre I de la Genèse constitue le premier récit de la création. Mais il en existe un second au chapitre II. Du point de vue la langue nos trois versions sont très semblables. Je me contente de citer la version la plus connue, celle de la Bible de Jérusalem (BJ, 4-24) :



    « Telle fut l'histoire du ciel et de la terre, quand ils furent créés. Au temps où Yahvé Dieu fit la terre et le ciel, il n'y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n'avait encore poussé, car Yahvé Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n'y avait pas d’homme pour cultiver le sol. Toutefois, un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol. Alors Yahvé Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint un être vivant. Yahvé Dieu planta un jardin en Eden, à l'orient, et il y mit l’homme qu'il avait modelé. Yahvé Dieu fit pousser du sol toute espèce d'arbres séduisants à voir et bons à manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. […] Yahvé Dieu prit l'homme et l'établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. Et Yahvé Dieu fit à l'homme ce commandement: "Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort." Yahvé Dieu dit: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie." Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait: chacun devait porter le nom que l'homme lui aurait donné. L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas l'aide qui lui fût assortie. Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria: "Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée "femme", car elle fut tirée de l'homme, celle-ci!" C’est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. »



    Deux remarques  au sujet de ces versets :


    • Premier point important : c’est l’homme qui donne un nom à tous les animaux. Adam crée donc en quelque sorte un premier lexique. Pourquoi aux animaux et pas aux végétaux et aux minéraux ? Je n’ai aucune hypothèse à avancer. 
    • Deuxième point : ce deuxième récit insiste sur la création séparée de l’homme et de la femme. La femme est créée pour que l’homme ne soit pas seul de son espèce. Elle est créée à partir de la chair d’Adam. La femme est décrite comme un « sous-produit » de l’homme. C’est ce récit qui est à la base des arguments théologiques justifiant la domination de l’homme sur la femme.  Cette domination sera exacerbée par le fait que, plus loin, c’est la femme qui sera rendu responsable du péché originel. L’mage de la femme restera longtemps celle d’une tentatrice d'un rang inférieur à l'homme. Spinoza, pourtant généralement si lucide, écrit : « il est permis d’affirmer, sans hésitation, que les femmes ne jouissent pas naturellement d’un droit égal à celui des hommes, mais qu’elles leur sont naturellement inférieures » (Traité de l’autorité politique, Chapitre XI, §4). Honte à toi Baruch. Si tu rôtis en enfer j'espère que ce sont des femmes qui attisent le feu ! Encore peut-on avancer une circonstance atténuante puisque Dieu lui-même, dit à la femme (BJ III,16) :" Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi"
    L'arbre de vie
      Avant de poursuivre il faut revenir sur un point. Tout le monde connaît plus ou moins l'arbre fameux de la connaissance du bien et du mal dont les fruits sont interdits à l'homme et qui sera la cause du pêché originel, via un serpent pernicieux (qui parle, notons le en passant, la même langue qu'Adam et Ève). Au moins pour les chrétiens, car les croyants juifs rejettent cette notion de pêché originel. Dans le Coran le récit est le même avec une nuance qui est que Dieu fait sortir Adam et Ève du paradis mais leur accorde son pardon. Par exemple dans la Sourate II, v. 37 : « Adam accueillit les paroles de son seigneur et revint à lui repentant. Dieu est, en vérité, celui qui revient sans cesse vers le pécheur repentant ; il est miséricordieux ».
        Mais ce qu'on oublie souvent, c'est que Dieu a planté un deuxième arbre au milieu du jardin d'Eden, l'arbre de vie :

          • AC, II, 9 : " IHVH-Adonaï Elohîms fait germer de la glèbe tout arbre convoitable pour la vue et bien à manger, l’arbre de la vie, au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance du bien et du mal".
          • BJ, II, 9 : "Yahvé Dieu fit pousser du sol toute espèce d'arbres séduisants à voir et bons à manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal."
          • LS, II, 9 : Idem que BJ.

                Cet arbre est considéré par les chrétiens comme l'arbre de l'immortalité. J'ignore quelle signification lui donnent les croyants juifs. Quand au Coran, le récit qu'il donne dans la Sourate XX, v.120 est troublant car il semble qu'il y ait une confusion entre les deux arbres (l'arbre de vie et l'arbre de la connaissance du bien et du mal) : "Le démon le tenta en disant : "Ô Adam! T'indiquerai-je l'Arbre de l'immortalité et d'un royaume impérissable"".
                  Dans les textes chrétiens et juifs la situation est d'autant plus obscure qu'il y a une contradiction qui n'a pas échappé à Augustin : 
                    L'homme semble avoir été créé immortel puisque ce n'est qu'après la chute que Dieu prononcera la parole devenu célèbre (et qui ne manque pas de poésie) : "Tu es poussière et tu retourneras à la poussière". Mais si l'homme est originellement créé immortel, pourquoi faut-il qu'il mange ? Augustin lui-même est perplexe. Dans l'ouvrage cité plus haut il écrit au chapitre XXI :" Par quel mystère l'homme a-t-il été créé immortel et tout ensemble a-t-il reçu l'ordre de se nourrir, comme les autres animaux, d'herbes portant semence, d'arbres fruitiers, de végétaux ?" mais il n'apporte pas de réponse claire car, dit-il :"...il y aurait trop de hardiesse à prétendre qu'un organisme peut avoir besoin d'aliments pour se réparer sans être condamné à périr". Ce qui ne manque pas de bon sens. Mon opinion personnelle est que, sur ce point, il faut suivre le Coran et la conclusion qui découle de la Sourate citée plus haut : en fait Dieu n'a planté qu'un seul arbre qui est à la fois celui de la connaissance du bien et du mal et celui de l'immortalité. L'homme est immortel tant qu'il n'a pas accès à la connaissnce du Bien et du Mal. C'est d'ailleurs confirmé par la réponse que donne Ève au serpent dans BJ III,2 : "La femme répondit au serpent: "Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort." 

                    Augustin pointe également une autre difficulté : si Adam et Ève sont immortels et au Paradis, ils auraient un statut intermédiaire entre Dieu et les anges. Pourquoi auraient-ils besoin de procréer (chacun sait que les anges n'ont pas de sexe) ? La réponse d'Augustin est la suivante : "On pourrait encore remarquer que l'ordre de croître, de se multiplier et de remplir la terre, ne pouvait guère s'exécuter que par l'union de l'homme et de la femme, et que cette union supposait des corps mortels. Cependant il n'y aurait aucune invraisemblance à dire que des corps immortels pouvaient se reproduire par un pur sentiment de pieuse tendresse, en dehors de la corruption de la concupiscence, sans que les enfants dussent remplacer leur parents morts ou mourir eux-mêmes; qu'ainsi la terre se serait remplie d'hommes immortels, et qu'elle aurait vu naître un peuple de saints et de justes, semblable à celui qui, selon la foi, paraîtra après la résurrection".
                      D'ailleurs pourquoi Dieu n'interdit-il les fruits que d'un seul arbre et pas des deux ? La confusion devient totale, puisqu'on lit dans BJ III,22 : " Puis Yahvé Dieu dit: "Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous, pour connaître le bien et le mal! Qu'il n'étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l'arbre de vie, n'en mange et ne vive pour toujours!". Verset que je lis de la manière suivante : ""Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous, pour connaître le bien et le mal  et pour vivre éternellement!". Il faut donc le chasser du jardin d'Eden pour qu'il connaisse la finitude, car c'est au jardin d'Eden que nous connaissons l'immortalité. Je souligne le pluriel "nous", qui n'est certainement pas un pluriel de majesté. Les chrétiens y voient sans doute le symbole de la trinité qui deviendra un dogme (totalement et définitivement mystérieux et incompréhensible). À moins que le pluriel ne désigne l'ensemble des êtres qui peuplent les cieux bibliques : Dieu, les anges, le démon, ...
                        Le principal "souci" de Dieu est bien l'arbre de vie, puisqu'on lit dans BJ III,24 : " Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie."
                          Il faudrait pouvoir consulter le texte hébreux (ce que je suis incapable de faire) pour savoir s'il contient explicitement et indubitablement la coordination "et" dans le verset cité plus haut : " l’arbre de la vie, au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance du bien et du mal". Si ce n'est pas le cas on pourrait lire AC II,9 de la manière suivante :"IHVH-Adonaï Elohîms fait germer de la glèbe tout arbre convoitable pour la vue et bien à manger. Au milieu du jardin il fit germer l’arbre de la vie, qui est l'arbre de la connaissance du bien et du mal". Mais comme il est peu probable que Chouraqui ait pu faire une erreur, mon hypothèse est sans doute fragile !
                            Le Déluge
                              Comme chacun le sait, Dieu n'apprécia guère le comportement des descendants d'Adam et Ève, qui avaient peuplé la terre, et il les fit tous périr dans les eaux du déluge à l'exception de huit personnes : Noé, sa femme, ses trois fils et ses trois belle-fille. Plus un couple de chaque espèce d'animal.
                                Une remarque à ce sujet : quid des poissons et autres mollusques ou crustacés aquatiques ? Ils ont dû échapper au massacre puisque l'eau douce ou mélangée à l'eau des océans est leur élément ? Les textes sont d'ailleurs clairs sur ce point et même assez poétiques :

                                  • AC VII, 20-24 : "Les eaux forcissent de quinze coudées par en haut. Elles recouvrent les montagnes. Toute chair rampant sur la terre agonise, volatile, bête, vivant, toute foison foisonnant sur la terre et tout glébeux,  tout ce qui a haleine, souffle de vie en ses narines, tout ce qui était sur l’assèchement, tous mouraient. Il efface toute existence sur les faces de la glèbe, du glébeux jusqu’à la bête, jusqu’au reptile, jusqu’au volatile des ciels: ils sont effacés de la terre. Reste seulement Noah et ce qui est avec lui dans la caisse. Les eaux forcissent sur la terre cent cinquante jours.".
                                  • BJ VII, 20-24 : Les eaux montèrent quinze coudées plus haut, recouvrant les montagnes. Alors périt toute chair qui se meut sur la terre: oiseaux, bestiaux, bêtes sauvages, tout ce qui grouille sur la terre, et tous les hommes. Tout ce qui avait une haleine de vie dans les narines, c'est-à-dire tout ce qui était sur la terre ferme, mourut.  Ainsi disparurent tous les êtres qui étaient à la surface du sol, depuis l'homme jusqu'aux bêtes, aux bestioles et aux oiseaux du ciel: ils furent effacés de la terre et il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l'arche. La crue des eaux sur la terre dura 150 jours".
                                  • LS VII, 20-24 : Les eaux s'élevèrent de quinze coudées au-dessus des montagnes, qui furent couvertes. Tout ce qui se mouvait sur la terre périt, tant les oiseaux que le bétail et les animaux, tout ce qui rampait sur la terre, et tous les hommes. Tout ce qui avait respiration, souffle de vie dans ses narines, et qui était sur la terre sèche, mourut. Tous les êtres qui étaient sur la face de la terre furent exterminés, depuis l'homme jusqu'au bétail, aux reptiles et aux oiseaux du ciel: ils furent exterminés de la terre. Il ne resta que Noé, et ce qui était avec lui dans l'arche. Les eaux furent grosses sur la terre pendant cent cinquante jours". 
                                      Dans les trois textes, seuls les animaux qui vivent sur la terre sèche et dans les airs sont détruits. Pourquoi ? Comme on le sait aujourd'hui, c'est dans l'eau qu'a été créée la vie, et c'est à partir des animaux aquatiques qu'ont évolué les différentes espèces terrestres. Une hypothèse séduisante est que des peuples anciens, parmi lesquels certains rédacteurs ou conteurs de la Genèse aient eu la prémonition de ce rôle vital de l'eau. Dans ce cas, Noé et son arche ne seraient qu'une image. En quelque sorte une "photo" de ce que Dieu veut voir évoluer (au sens darwinien du terme).
                                        Remarquons d'ailleurs que si l'on suit le texte biblique, nous (les humains) sommes tous cousins depuis la nuit des temps, ce qui pose de sérieux problèmes de consanguinité !
                                          Pour en finir avec le Déluge, notons que le Coran présente une version très différente : il s'agirait d'une catastrophe naturelle parmi d'autres, une très grosse inondation, et l'arche de Noé ne serait qu'un radeau. Sourate 54, v.13-15 :
                                            "Nous avons porté Noé sur un assemblage de planches et de feuilles de palmiers. Il vogua sous nos yeux : ce fut une récompense pour celui qui avait été renié. Nous l'avons laissé comme un Signe. Y-a-t-il quelqu'un pour s'en souvenir ?"
                                              La Tour de Babel
                                                Les fils de Noé ont procréé et peuplé la terre. Le chapitre 10 de le Genèse présente les différents peuples qui sont issus des descendants de Noé.
                                                  Or, un fait étrange et contradictoire avec ce qui suivra doit être noté : tous ces peuples ne parlent pas la même langue. Par exemple, on lit dans AC X, 5 : "De ceux-là se sont séparées les îles des nations, en leurs terres, l’homme pour sa langue, pour leurs clans, en leurs nations". Idem en AC X, 20 et AC X, 31. Même traduction dans BJ X,5 et LS X, 5 et dans les versets analogues.
                                                    La contradiction vient du premier verset par lequel est introduit le récit de la Tour de Babel :

                                                      • AC XI, 1 : « Et c’est toute la terre, une seule lèvre, des paroles unies ».
                                                      • BJ XI, 1 : « Tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots».
                                                      • LS XI, 1 : «  Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots ».

                                                            Cette contradiction semble pouvoir s'expliquer par un ajout ultérieur du chapitre XI par un scribe ou un conteur peu attentif. Le très catholique et très vénérable Dictionnaire de la Bible de André-Marie Gérard (ed. Robert Laffont, 1983) qui dispose du Nihil Obstat et de l'Imprimatur évoque une volonté délibérée (p.120) : " Sans doute les adaptateurs, à qui nous devons le texte définitif, ont-ils estimé que ce récit fournissait une explication, fût-elle tardive, sur l'origine des langues et la disssemblance des peuples issus d'une même souche ; la diversité des unes ayant entraîné la dissemblance des autres". Nonobstant le Nihil Obstat-Imprimatur je m'interroge sur cette notion d'"adaptateur". Qu'il y ait des exégètes, et des commentateurs est pertinent. Mais des adaptateurs du texte sacré ! Fermons la parenthèse.
                                                              Autre remarque concernant le verser AC X, 1 : l'emploi du mot "lèvre" pour désigner la langue peut surprendre car c'est bien le mot "langue" qu'emploie Chouraqui dans les versets X, 5, X 20 et X 31 déjà mentionnés. En soi, cela n'a rien de choquant. Nous employons pour désigner notre manière de parler un mot (la langue) qui désigne un composant anatomique et les lèvres sont des composants aussi nécessaire que la langue pour la parole. Ce qui est plus étrange (mais peut-être explicable par la lexicologie hébraïque) est la mixité des deux termes dans deux chapitres successifs dont nous avons vu qu'ils ne sont peut-être pas du même auteur.
                                                                Voici le récit de la Tour de Babel dans nos trois versions de référence :

                                                                  • AC XI 1-9 : "Et c’est toute la terre, une seule lèvre, des paroles unies. Et c’est à leur départ du Levant, ils trouvent une faille en terre de Shin‘ar et y habitent. Ils disent l’homme à son compagnon: « Offrons, briquetons des briques ! Flambons-les à la flambée ! ». La brique est pour eux pierre, le bitume est pour eux argile. Ils disent: « Offrons, bâtissons-nous une ville et une tour, sa tête aux ciels, faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur les faces de toute la terre». IHVH-Adonaï descend pour voir la ville et la tour qu’avaient bâties les fils du glébeux. IHVH-Adonaï dit: « Voici, un seul peuple, une seule lèvre pour tous ! Cela, ils commencent à le faire. Maintenant rien n’empêchera pour eux tout ce qu’ils préméditeront de faire ! Offrons, descendons et mêlons là leur lèvre afin que l’homme n’entende plus la lèvre de son compagnon. » IHVH-Adonaï les disperse de là sur les faces de toute la terre: ils cessent de bâtir la ville. Sur quoi, il crie son nom: Babèl, Oui, là, IHVH-Adonaï a mêlé la lèvre de toute la terre, et de là IHVH-Adonaï les a dispersés sur les faces de toute la terre."
                                                                  • BJ XI, 1-9 : "Tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots. Comme les hommes se déplaçaient à l'orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s'y établirent. Ils se dirent l'un à l'autre: "Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu!" La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. Ils dirent: "Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux! Faisons nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre!" Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit: "Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons! Descendons! Et là, confondons leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres." Yahvé les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi la nomma-t-on Babel, car c'est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c'est de là qu'il les dispersa sur toute la face de la terre".
                                                                  • LS XI, 1-9 : "Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. Comme ils étaient partis de l'orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y habitèrent.  Ils se dirent l'un à l'autre: Allons! faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment. Ils dirent encore: Allons! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre. L'Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes.  Et l'Éternel dit: Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c'est là ce qu'ils ont entrepris; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu'ils auraient projeté.  Allons! descendons, et là confondons leur langage, afin qu'ils n'entendent plus la langue, les uns des autres. Et l'Éternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre; et ils cessèrent de bâtir la ville. C'est pourquoi on l'appela du nom de Babel, car c'est là que l'Éternel confondit le langage de toute la terre, et c'est de là que l'Éternel les dispersa sur la face de toute la terre".
                                                                  Quelle faute ont commis les hommes, pourquoi Dieu veut-il les disperser ? Ils ont reçu l’ordre divin de croître et de prospérer. Créer une ville, travailler en commun à sa construction, y vivre en commun est indéniablement un excellent moyen de socialisation, de partage des talents de progrès et de prospérité. Mais il y a le problème de la tour ! Les hommes veulent que son sommet touche le ciel. La tradition chrétienne a interprété cela comme la volonté de rejoindre et d’égaler Dieu. Mais il y a, à mon avis, deux objections à cette interprétation.
                                                                  La première est que le texte ne parle nullement d’une volonté de rejoindre Dieu. L’assimilation entre Dieu et le ciel est une allégorie anachronique. Il semble plus raisonnable de penser que les hommes voulaient bâtir une tour qui soit la plus haute possible et accéder ainsi à une renommée qui « leur donne un nom ».
                                                                  La seconde est que Dieu, que l’on a connu plus coléreux, ne met pas en avant une telle tentation. Il dit seulement que l’unité des hommes leur donne une force, qu’il trouve trop impérieuse, dans leurs entreprises.
                                                                  Nous en resterons là en ce qui concerne la Tour de Babel, écrit qui, bien que faisant partie des canons bibliques, aurait certainement dû être considéré comme apocryphe.
                                                                  Conclusion
                                                                  Si on en revient au titre de cet article, on peut dire que l’on n’a rien appris sur la langue d’Adam et Eve, de leurs nièces et neveux et de toute leur descendance.
                                                                  Le fait est que l’origine des langues est un problème à la fois trivial (car on comprend fort bien que des peuples qui communiquaient peu aient pu construire des lexiques différents) et complexe car l’origine des signes linguistiques restera sans doute à jamais un mystère.
                                                                  À défaut de connaître les langues primitives, on peut imaginer leur structure. C’est ce qu’a fait Jean-Jacques Rousseau dans son « Essai sur l’origine des langues », dont je livre ici, en guise de conclusion un large extrait (ouvrage en ligne ici) :

                                                                  « Je ne doute point qu'indépendamment du vocabulaire et de la syntaxe, la première langue, si elle existait encore, n'eût gardé des caractères originaux qui la distingueraient de toutes les autres. Non-seulement tous les tours de cette langue devaient être en images, en sentiments, en figures ; mais dans sa partie mécanique elle devrait répondre à son premier objet, et présenter aux sens, ainsi qu'à l'entendement, les impressions presque inévitables de la passion qui cherche à se communiquer. Comme les voix naturelles sont inarticulées, les mots auraient peu d'articulations ; quelques consonnes interposées, effaçant l'hiatus des voyelles, suffiraient pour les rendre coulantes et faciles à prononcer. En revanche les sons seraient très-variés, et la diversité des accents multiplierait les mêmes voix ; la quantité le rythme, seraient de nouvelles sources de combinaisons ; en sorte que les voix, les sons, l'accent, le nombre, qui sont de la nature, laissant peu de chose à faire aux articulations, qui sont de convention, l'on chanterait au lieu de parler ; la plupart des mots radicaux seraient des sons imitatifs ou de l'accent des passions, ou de l'effet des objets sensibles : l'onomatopée s'y ferait sentir continuellement. Cette langue aurait beaucoup de synonymes pour exprimer le même être par ses différends rapports  elles aurait peu d'adverbes et de mots abstraits pour exprimer ces mêmes rapports. Elle aurait beaucoup d'augmentatifs, de diminutifs, de mots composés, de particules explétives pour donner de la cadence aux périodes et de la rondeur aux phrases ; elle aurait beaucoup d'irrégularités et d'anomalies ; elle négligerait l'analogie grammaticale pour s'attacher à l'euphonie, au nombre, à l'harmonie, et à la beauté des sons. Au lieu d'arguments elle aurait des sentences ; elle persuaderait sans convaincre, et peindrait sans raisonner ; elle ressemblerait à la langue chinoise à certains égards ; à la grecque, à d'autres ; à l'arabe, à d'autres ».


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