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mardi 17 mai 2016

À PROPOS DU FILM DE LIONEL ROGOSIN "ON THE BOWERY"

Il me semble étrange que le film de Lionel Rogosin "On the Bowery", sorti en 1957, mais récemment restauré (en noir et blanc) dans une version techniquement parfaite, n'ait pas une plus grande notoriété. Peut-être parce que c'est c'est ce qu'on appelle un "docu-fiction", une fiction qui sert de trame à un documentaire (ou l'inverse !) et que ce mélange n'est plus au goût du public. Dans le même genre, mais sur un tout autre sujet, je le comparerais volontiers au film de Pierre Schoenderffer "La section Anderson" (1967). "On the Bowery" a reçu le Lion d'Or du documentaire à Venise en 1957 malgré l'intervention de l'ambassadrice américaine qui a tenté de faire retirer le film de la sélection officielle.


Ray Salyer (à gauche) et Gorman Hendricks. Image extraite du film

The Bowery est un quartier de New-York jadis huppé qui, à partir des années 50, est devenu le quartier de prédilection de tous ceux que la dépression économique a rejeté de l'humanité. Un monde hors du monde où la seule obsession est de survivre, de trouver un toit pour la nuit, un travail pour la journée, un peu d'argent pour pour manger et pour boire. À partir des années 2000 le quartier a été réhabilité.

Sur le versant « fiction » il y a peu à dire : Ray Salyer, un travailleur saisonnier des chemins de fer, arrive à Bowery avec un peu d’argent en poche. Il le dépensera rapidement, aidé par un groupe d’alcoolique et le film retrace sa survie pendant trois jours. Un ami (Gorman Hendricks) lui permettra d’échapper (provisoirement ?) à cet enfer. Ces deux personnages, qui sont les protagonistes principaux du film, portent leur vrai nom. Ce ne sont pas des acteurs professionnels mais de véritables habitants de Bowery. Gorman Hendricks mourra d’une cirrhose peu de temps après la fin du tournage. Quant à Ray Salyer, il faut retenir son nom : c’est un acteur fabuleux qui n’aura joué qu’un seul rôle. Hollywood lui a  offert un contrat qu’il a refusé ; il est resté à Bowery et on ne sait pas ce qu’il est devenu. Une étoile filante au destin certainement tragique : il est extraordinaire, et presque inconcevable, qu’un amateur puisse avoir un tel talent, aussi bien dans son jeu que dans les dialogues, une diction parfaite toute en nuances (il faut absolument voir le film en version originale), une élégance instinctive qui aurait certainement fait de lui un très grand acteur s’il avait accepté de poursuivre une carrière cinématographique.

Ray Salyer. Image du film


L’aspect documentaire est une immersion dans un monde glauque et sordide, peuplé de chômeurs, d’alcooliques et de malades mentaux.  La violence est toujours sous-jacente, bien qu’elle ne soit pratiquement jamais filmée. Le réalisateur Lionel Rogosin a passé plusieurs mois dans Bowery, avant de filmer, guidé par Gorman Hendricks.

Ce film impitoyable fait voler en éclat l’image d’une Amérique prospère et unie autour de ses idéaux démocratiques.  Il montre qu’il existe aussi une classe de sous-hommes, enfermés dans un enfer sans échappatoire.

Une remarque pour terminer : on peut s’interroger sur l’absence totale de personnages noirs, surtout quand on sait que le réalisateur a été un militant fervent de la lutte contre le racisme et l’apartheid (cf. son film « Come back, Africa »). Sans doute a-t-il jugé qu’il était trop difficile de traiter en profondeur et simultanément deux problèmes liés : celui du racisme et celui de la misère.

Un très beau film à voir ou à revoir.





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