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dimanche 3 avril 2016

À PROPOS DU FILM DE JACQUES RIVETTE "NOROÎT" (1976)

Jacques Rivette est mort récemment : le 29 janvier 2016. Il a été un réalisateur très original qui a toujours cherché des chemins cinématographiques expérimentaux. Â titre d'exemple son film Out 1 : Noli me tangere durait 12h 40min. Il n'a (je crois) été projeté qu'une seule fois et n'a pas trouvé de distributeur.
In Memoriam, j'ai choisi de parler ici du film Noroît,  réalisé en 1976 qui n'a jamais été projeté en salle, si ce n'est une fois dans un ciné-club. Ce n'est certainement pas le plus connu des films de Jacques Rivette, mais c'est peut-être un des plus inspirés. C'est un film que l'on peut, légitimement, détester en raison de la complexité de l'intrigue, de l'absence volontaire d'explication de certaines scènes, du "sur-jeu" des acteurs, de la psychologie difficile à cerner de certains personnages, etc.
J'ai pourtant aimé ce film et je vais essayer d'expliquer pourquoi ici.

source de l'illustration
En fait il m'a fallu une bonne demi-heure pour comprendre qu'il ne s'agissait pas d'un film, au sens usuel du terme, mais d'une chorégraphie filmée d'une manière théâtrale.

Les acteurs ne se déplacent pas : ils glissent, virevoltent, s'immobilisent, s'écroulent, s'étreignent, comme dans un ballet. L'aspect chorégraphique est accentué par la présence quasi-permanente de trois musiciens qui ne participent pas à l'action mais improvisent ou jouent en toile de fond.  Il l'est aussi par de nombreuses séquences de combats au sabre (il ne s'agit pas de vrais combats mais de séances d'entraînement) au cours de laquelle les protagonistes semblent rechercher davantage la beauté du geste que l'efficacité.


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Mais ce n'est pas un ballet, loin de là. C'est d'ailleurs la distance qu'il y a entre l'intrigue proprement dite et la façon dont elle est mise en scène qui est une des originalités du film. Car l'intrigue, si on la résume comme je vais le faire (et c'est bien cette intrigue qui est la trame du film) peut laisser penser qu'il s'agit d'un film d'action :

Une île, que l'on devine être une île anglo-normande, est le refuge de pirates modernes (les bateaux sont des bateaux à moteur), une bande essentiellement composée de femmes dont le rôle du chef est joué par Bernadette Laffont (Gulia dans le film). Le frère du personnage joué par Géraldine Chaplin a été tué par ces pirates et Géraldine Chaplin (Morag dans le film) s'introduit dans leur château pour le venger. Elle s'y fait des alliées qui deviendront des ennemies et, au terme de diverses péripéties les deux femmes, Giulia et Morag, s'entretuent. On peut trouver un synopsis détaillé du film ici. À mon avis il vaut mieux lire ce synopsis avant de voir le film (ce que je n'avais pas fait !). Il n'est pas important que soit déflorée l'intrigue, car ce n'est vraiment pas un film à "suspens" et l'action proprement dite n'est que secondaire.

Le film est découpé en actes et scènes, comme la pièce dont il s'inspire : La tragédie du vengeur de Cyrill Tourneur, dramaturge anglais, écrite en 1607. Les séquences sont relativement courtes, ce qui accentue le côté théâtral de l'oeuvre. Une des premières scènes du film rappelle immanquablement une tragédie grecque (Morag pleurant sur le corps de son frère). Il y a d'ailleurs une pièce dans le film, tellement imbriquée avec le reste qu'on ne comprend pas tout de suite (en tous cas, en ce qui me concerne) que c'est une représentation théâtrale et pas un moment de l'action. En fait, les seules séquences réellement cinématographiques sont les séquences en noir et blanc de quelques secondes (peut-être une minute au total) qui révèlent, en particulier, la mystérieuse beauté de Géraldine Chaplin.


source de l'illustration
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J'ajoute enfin que le film a été tourné en Bretagne et que les plans extérieurs sont magnifiques.


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J'ai conscience que les commentaires que je viens de faire sont dissuasifs. C'est effectivement ce que l'on appelle "un film difficile" car on n'y retrouve pas les canons cinématographiques habituels. Il faut se laisser entraîner par le film, par les images et par la musique et ne pas se focaliser sur l'intrigue qui se dévoile peu à peu.
Un film qui illustre bien ce que pensait Rivette du cinéma : le cinéma est une expérimentation.


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