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mercredi 30 mars 2016

NOTE DE LECTURE N°14 : VOYAGER DANS LE TEMPS - La physique moderne et la temporalité., MARC LACHIÈZE-REY, éditions du SEUIL, octobre 2013

Malgré son titre, ce livre n'est pas un ouvrage de science-fiction. Il s'agit d'un ouvrage scientifique écrit par Marc Lachièze-Rey, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la physique théorique fondamentale. Pour cet article, j'ai également utilisé la conférence que l'auteur a donnée à Montpellier (à une date que j'ignore) et que l'on peut écouter ici. Toutefois cette conférence de vulgarisation est très loin d'être aussi détaillée que l'ouvrage.


Source de l'illustration :ici

Voyager dans le temps ? Chacun de nous le fait au cours de sa vie. De la naissance (ou un peu avant) jusqu'à notre mort, le temps, tel que nous l'entendons intuitivement, nous embarque dans un voyage bien particulier. Nous sommes dans un train qui avance dans une seule direction que nous appelons le futur, sans aucun arrêt ni marche arrière, sans pouvoir accélérer ou ralentir et sans que nous ne puissions en sortir. Une prison temporelle en quelque sorte. Ce temps est notre « temps propre », celui que nous ressentons individuellement par ses effets, par la chronologie des séries causales (une cause induit un effet dans un ordre chronologique bien défini), etc. C’est la conception du temps qu’avait Newton, un temps absolu, qui reste identique en tous points de l'espace et pour tous types de mouvements. En d'autres termes, pour Newton, nous vivons dans un espace dit « euclidien » à trois dimensions (les trois dimensions spatiales communément appelées longueur, largeur et hauteur et généralement notées x, y et z). Et "ailleurs", totalement déconnecté de cet espace, existe le temps newtonien, immuable dans sa progression vers le futur. Nous avons fermement, mais intuitivement, l’impression que notre temps propre est aussi celui de notre voisin, que celui-ci habite à 100 m de chez nous, aux antipodes ou même sur la lune. Cette théorie du temps et de l’espace a été, et reste, extraordinairement féconde. Elle a permis d’expliquer les mouvements du système solaire, de concevoir des machines, de produire certaines formes d’énergie. En fait, il faut des conditions expérimentales bien particulières pour s’apercevoir qu’il ne s’agit que d’une approximation.

Il s’agit d’une approximation car la physique moderne, en particulier et surtout grâce à Einstein, a montré qu’il ne faut pas raisonner sur la base d’une entité euclidienne sur laquelle se greffe la flèche immuable du temps, mais dans une entité dans laquelle les trois dimensions spatiales et le temps sont intimement liés, un espace spatio-temporel que l'on appellera ici Espace-temps. Il me semble que la définition la plus claire que l'on puisse donner de l'espace-temps est celle de Marc Lachièze-Rey dans le lexique annexé à son ouvrage : "Ensemble de tous les événements réels ou virtuels de l'univers (sans distinction de passé, présent, futur) vu de manière géométrique : le cadre des théories einsteiniennes". Un événement est un point de l'espace temps. Il peut être réel (il s'y passe quelque chose de particulier) ou virtuel (il ne s'y passe rien de particulier mais on singularise un point de l'espace-temps).

Notons qu’Einstein a d’abord élaboré la théorie de la relativité restreinte, puis celle de la relativité générale. J'emploierai l'expression "théorie de la relativité" sans autre complément lorsqu'il n'importe pas qu'elle soit relative ou générale. Dans les autres cas je préciserai de laquelle des deux théories il s'agit.

Avec le temps de Newton, toutes les horloges, où qu'elles soient, sont et restent synchrones (à leur précision prés), toutes les durées sont égales entre deux instants données et on peut facilement définir la simultanéité de deux événements comme étant le fait qu'ils ont lieu au même instant t. Il s’agit d’une conséquence de la déconnexion totale entre l’espace euclidien et le temps.

En relativité il n'en est pas de même. Les durées entre deux événements dépendent de la façon dont les objets concernés se sont déplacés (ou pas) et la notion de simultanéité n'a plus de sens.
Avant de poursuivre, je dois d'abord définir une expression qui sera fréquemment utilisée : les lignes d'univers. Il s'agit, pour un objet quelconque, de l'ensemble des événements de son passé, de son présent ou de son futur. On pourrait dire qu'il s'agit d'une trace de la "vie" d'un objet dans l'espace-temps.

La version la plus connue des expériences de pensée concernant les différences de durée est connue sous le nom de « paradoxe de Langevin » ou « paradoxe des jumeaux » :

A et B sont deux jumeaux qui vivent ensemble jusqu’à l’âge de 18 ans. Chacun possède une montre munie d’un calendrier. Ces deux montres identiques ont toujours été synchrones et ont montré le temps propre commun des deux jumeaux. À 18 ans B part en voyage dans une fusée très puissante qui lui permet de fortes accélérations.  Il voyage puis décide de faire demi-tour grâce à une séquence d’accélérations et décélérations. Il revient exactement à son point de départ où il retrouve son jumeau A qui, lui, n’a pas voyagé, et ils comparent leurs montres. La montre de A montre qu’il s’est écoulé 20 ans entre les événements départ et arrivée de B. Par contre la montre de B (qu’il portait sur lui pendant son voyage) indique une durée de 5 ans. En d’autres termes, lorsqu’ils se retrouvent A a 38 ans et B a 23 ans. Il ne s’agit nullement d’une anomalie de la montre. Chacun des deux jumeaux a effectivement vécu une temporalité normale. Remarque : pourquoi 20 ans et 5 ans ? Ce ne sont que des valeurs à titre d'exemples, pour montrer que les durées seront différentes. Si un tel voyage était effectivement réalisé la différence de durée dépendrait des accélérations subies par A, donc des vitesses qu'il pourrait atteindre. mais quoi qu'il en soit, le décalage est réel. Comme le dit Marc Lachièze-Rey (p.143) :

 « A a vécu 20 ans, dans tous les sens que l’on peut donner au terme. B a vécu 5 ans, dans tous les sens que l’on peut donner au terme, également […] Il n’y aurait aucun sens à dire qu’une des durées est « contractée » ou « dilatée » par rapport à l’autre  […] Une durée propre s’est écoulée pour A ; une autre durée propre s’est écoulée pour B. Aucune n’est la contraction ou la dilatation de l’autre. » Sur la figure ci-dessous sont indiquées les lignes d'univers des deux jumeaux :
Séparation et retrouvailles des jumeaux. Fig.5.5, p. 144


Ce paradoxe (qui en fait n'a rien de paradoxal en relativité) nous apprend principalement deux choses :

  • La première est que le temps universel n'existe pas.
  • La seconde que le voyage dans le futur est théoriquement possible puisque c'est bien ce qu'a réalisé le jumeau B. Quand il est parti le calendrier terrestre indiquait, par exemple, que l'on était en l'an 3500 (je prends de la marge !). Il fait un voyage qui a duré 5 ans et quand il revient, le calendrier terrestre ne marque pas 3505 mais 3520. Son voyage a été un voyage dans l'espace mais aussi dans le futur.
 Malheureusement, nous sommes très loin de pouvoir faire de tels voyages car il faut des accélérations qui permettent d'accéder à des vitesses proches de celle de la lumière. Or, à l'heure actuelle, les vitesses maximales que l'on peut atteindre représentent quelques millionièmes de cette vitesse.

Quant au passé, avant d’envisager d’y voyager (c’est un point que nous verrons plus loin), il est toujours possible de le regarder. C’est même une expérience que nous faisons tous les jours quand nous regardons à l’œil nu ou avec des instruments des étoiles ou galaxies qui sont situées à des dizaines, des centaines, ou des milliers d’années lumière. Nous les voyons tels qu’elles étaient il y a des dizaines, des centaines ou des milliers d’années puisque c’est le temps que met la lumière émise par ces astres pour nous parvenir. En fait on pourrait dire que plus on regarde loin, plus on remonte dans le temps.
On peut aussi utiliser des miroirs, soit artificiels, soit naturels (lentilles gravitationnelles) : imaginons que nous mettions un miroir sur la Lune de manière à ce qu’il puisse recevoir mon image et me la renvoyer. Je me verrai tel que j’étais deux secondes avant (temps de l’aller-retour de la lumière de la Terre à la Lune). J’ai reçu une image de mon passé, un passé très proche, certes, mais qui est quand même mon passé et qui fait partie de ma ligne d’univers.

Notons que le même raisonnent ne peut pas s’appliquer pour le futur : pour qu’une image renvoyée par un miroir me « rattrape » dans mon futur, il faudrait qu'entre l’instant où elle est émise et l’instant où je la reçois je me sois déplacé à une vitesse supérieure à celle de la lumière, ce qui est impossible.

Une précision qui sera nécessaire plus loin, avant de poursuivre :

Dans un espace relativiste un segment de courbe peut être de trois types (ou genres) : il est dit du « genre espace » si on peut lui assigner une longueur propre, du « genre temps » si on peut lui assigner une durée propre et du « genre lumière » si sa longueur propre et sa durée propre sont nulles. On ne peut associer, pour former des courbes que des segments du même genre ce qui conduit à considérer des courbes spatiales, temporelles ou de lumière (les deux dernières sont dites courbes causales). 

Revenons à la possibilité d’un voyage dans le passé. Il est évidemment exclu dans le cadre de la physique newtonienne. Mais il l'est aussi dans le cadre de la relativité restreinteEn effet, un éventuel voyage dans le passé  ferait partie de ma ligne d’univers. Dans le cadre de la relativité restreinte, l’auteur montre que toutes les lignes d’univers possibles qui me concernent sont situées à l’intérieur de deux cônes qui n’ont qu’une seule intersection : le point de l’espace-temps représentant mon présent, comme indiqué sur la figure qui suit :


fig. 4.3, page 100
Pour que je puisse me retrouver dans mon propre passé, il faudrait que mon futur puisse avoir une intersection avec mon passé (autre que mon présent) ce qui n'est pas le cas.

Une remarque sur la figure qui précède : l'auteur emploie les expressions "futur causal" et "passé causal" pour désigner les deux cônes. De quoi s'agit-il ? Le futur causal désigne l'ensemble de tous les événements sur lesquels je peux avoir une influence dans le futur ; le passé causal l'ensemble de tous ceux qui ont pu avoir une influence sur moi.

Les droites qui forment les frontières de cônes sont du genre lumière. Pour tout événement hors de ces cônes, je suis totalement déconnecté (aucune interaction n'est possible). L'événement n'a eu aucune interaction avec un événement de mon passé et je n'aurai aucune interaction avec lui dans mon futur. Notons aussi que je dois parler de mon présent et non pas du présent en général, car il n'existe plus de frontière commune continue entre présent et passé de toutes les lignes d'univers, comme c'était le cas dans la physique de Newton :


Extrait de la figure 4.6, page 107



La possibilité d'un voyage dans le passé n'est pas à exclure si l'on raisonne dans le cadre de la théorie de la relativité générale. En effet cette théorie implique un espace-temps doté d'une courbure et n'exclut pas (mais ne prouve pas non plus) que mon passé dans l'espace-temps ait, en quelque sorte, une intersection avec mon futur (autre que mon présent).


Extrait de la figure 4.6, page 107


J'ai dit que la théorie n'exclut pas mais ne prouve pas. Qu'est-ce que cela signifie ? Les solutions de l'équation de base d'Einstein, dans le cadre de la relativité générale, sont des structures possibles  d'un espace-temps. Chaque solution dépend de la quantité et de la répartition de la matière et de l'énergie que l'on suppose exister dans l'univers. Une solution théoriquement possible n'a pas obligatoirement une existence réelle dans l'univers réel. Tout ce que l'on peut dire est qu'elle n'est pas contradictoire avec ce qu'on sait actuellement des lois de la physique.

J'ai parlé également plus haut de la courbure d'un espace-temps . C'est une notion complexe, et difficile (à mon avis) à comprendre intuitivement, d'autant plus qu'il faut lui associer la notion de métrique, tout aussi difficile à comprendre. Disons pour simplifier, que la gravité "déforme" l'espace-temps. Une des premières vérifications expérimentales de cet effet de la gravité (peut-être la première ?) a été que l'on s'est aperçu que la planète Mercure n'était pas exactement là où la physique newtonienne prévoyait qu'elle aurait dû être et que cette perturbation de trajectoire ne pouvait être expliquée que dans le cadre de la relativité générale.


Pour que je puisse physiquement revenir dans mon passé, il faut que ma ligne d’univers forme une boucle qui la ramène vers un point de mon passé. Une telle boucle est appelée boucle temporelle.

Imaginons un objet décrivant une boucle temporelle : il ne peut en échapper ! En effet la boucle le ramènera une infinité de fois à l’événement que constitue son voyage vers le passé ; il recommencera ce voyage une infinité de fois. Mais, point très important à comprendre, tout événement de cette boucle temporelle n’est vécu une infinité de fois que par l’objet lui-même. Pour tous les autres objets de l’univers il ne se produira qu’une fois. Pour reprendre un exemple de Marc Lachièze-Rey, si l’évènement en question est l’émission d’un signal vers un autre objet, cet autre objet ne le percevra qu’une seule fois, alors que l’objet qui parcourt la boucle émettra le signal une infinité de fois. Paradoxe ? Non. La réception du signal fait partie du passé causal du récepteur (qui est supposé avoir une ligne d’univers « orthodoxe »). Pour lui, c’est un point et un seul de sa ligne d’univers.

Autre point très important qui a de lourdes conséquences : chaque fois que l’objet repasse par l’événement qui constitue le début de son voyage temporel, il se retrouve sur un point de sa ligne d’univers qu’il a déjà franchi et doit donc se retrouver dans le même état physique que la première fois qu’il y est passé (puisque c’est le même point, le même événement). Mais le temps propre de cet objet a continué à s’écouler « normalement », en d’autres termes il a vieilli. Puisqu’il doit être exactement identique à ce qu’il était, mais que, pourtant, il a été transformé par son vieillissement, il y a une contradiction qui interdit à un être humain (ou à tout objet dont on peut imaginer que son temps propre le transforme irréversiblement) de parcourir une boucle temporelle stricte, c’est-à-dire une boucle effectivement fermée. Il ne peut parcourir qu'une boucle temporelle "presque fermée", c'est à dire une boucle ouverte (qui n'est donc pas véritablement une boucle). Une particule élémentaire, par contre, ne vieillit pas et il n’y a pas d’objection à ce qu’elle puisse parcourir une boucle temporelle strictement fermée ad aeternam.

Mais pour ce qui est d'un corps composé de milliards de particules, et à fortiori pour un être vivant (et encore plus pour l'être vivant doté de libre arbitre qu'est l'homme), il existe une série de paradoxes à surmonter que Marc Lachièze-Rey examine dans les pages  186 à 193 de son livre. Je citerai le plus célèbre d'entre eux, le paradoxe du grand-parricide.

Supposons que je voyage dans le passé et que je tue mon grand-père avant qu’il n’ait engendré mon père. Mon père ne naîtra pas, donc moins non plus. Pourtant j’existe puisqu’avant mon départ pour le passé, ma ligne d’univers comportait une infinité d’événements. Je devrais donc tout à la fois être et ne pas être. Il devrait donc y avoir une loi physique qui empêche cette contradiction"shakspearienne", c’est-à-dire qui limite mon libre arbitre lorsque je suis dans mon passé. Les choses sont d’ailleurs encore plus complexes car un autre paradoxe du même type, que je ne développerai pas ici (le paradoxe des balles, cf. page 188), fait intervenir non pas des hommes mais des objets composés (c'est-à-dire qui ne sont pas des particules), en l'occurrence des balles (petites sphères)  et élimine de ce fait la question philosophique du libre arbitre. Aucune réponse satisfaisante n’a été donnée, pour le moment, à ces paradoxes si ce n'est d'envisager d'éliminer certaines solutions de l'équation d'Einstein au nom d'un principe de cohérence, c'est-à-dire d'un principe qui interdit de contredire la logique (cf. plus bas).

Mais les corps composés posent un autre problème, d’une forte acuité car, s’il n’est pas résolu, il est à même d’interdire à ces corps des voyages temporels, à fortiori si ce sont des humains. Un corps composé est formé de milliards de particules, lesquelles structurent ce corps en divers composants. Ce qui fait l’identité d’une chose, son essence en quelque sorte, ce sont toutes les relations qui existent entre ces composants. Un corps ne restera ce qu’il est que si ces relations sont conservées. Par analogie, si je tape avec un marteau sur une pierre je vais la transformer en sable, c’est-à-dire en autre chose que ce qu’elle était car j’ai détruit certaines relations qui faisaient son identité. Or ce que nous indique Marc Lachèze-Rey c’est que l’existence d’une boucle temporelle (fût-elle presque fermée) nécessite l’existence de situations gravitationnelles très particulières, des champs magnétiques intenses et intensément variables qui, inévitablement, provoqueront la dispersion des lignes d’univers, c’est-à-dire la désintégration du corps structuré. Il faut pourtant conserver la cohérence structurale de ces lignes d’univers qui doivent pouvoir constituer un tube d’univers. Pour surmonter cette difficulté il faudrait (il faudra !) étudier au cas par cas chacun des espace-temps dans lesquels des boucles temporelles sont théoriquement envisageables et voir sous quelles conditions ces solutions peuvent exister.
Ces paradoxes nécessitent donc de nouvelles avancées en physique relativiste ou, pensent certains, une nouvelle physique.

Rappelons que les solutions possibles en relativité générale dépendent de la quantité et de la répartition de matière et d’énergie que l’on suppose présentes dans l’univers. Par exemple, dans la figure ci-dessous l’espace dit de Minkowski est un espace « plat » (sans courbure donc issu de la relativité restreinte), irréaliste car il suppose l’absence de gravitation, donc de matière :


Extrait de la figure 4.5, page 107



Une condition importante pour qu’un espace-temps contienne des boucles temporelles est qu'il ne doit pas posséder  de fonction temporelle globale. Qu’est-ce qu’une fonction temporelle ? C’est tout simplement une datation, une fonction qui permet d’attribuer un nombre (une date) à un événement. Pourquoi est-ce incompatible avec un voyage temporel ? Parce qu’une fonction temporelle globale (qui l’on pourrait appliquer à tous les événements de l’espace-temps) jouerait en quelque sorte le rôle du temps. Or le voyage temporel est incompatible avec la notion de temps. Marc Lachèze-Rey souligne  à plusieurs reprises que la notion de temps, dans l’état actuel de la physique n’a pas de sens, hormis le temps propre que chacun vit et qui correspond à une ligne d’univers unique. Une fonction temporelle globale serait (c’est mon interprétation ; elle n’engage pas l’auteur) l’équivalent d’un temps propre commun à tous les objets de l’univers, ce qui est absurde car contradictoire avec la notion même de temps propre.

Dans le chapitre 7 divers modèles sont examinés. Aucun n’est entièrement satisfaisant, soit parce qu’il ne correspond pas à ce que l’on connaît avec certitude de la structure de l’univers, soit parce qu’il suppose des entités peu probables. Un modèle séduisant est celui des cordes cosmiques. L’idée est, très grossièrement, la suivante : dans l’univers primordial, la physique était unifiée, c’est-à-dire que toute la matière y était régie par un même type d’interaction. Au cours du refroidissement qui a suivi cet état, des interactions diverses sont apparues pour devenir ce qu’elles sont aujourd’hui. Mais le point important est que ces transformations (que les physiciens appellent brisures de symétrie) auraient eu lieu simultanément mais pas partout de la même manière. On aurait donc dans l’univers de grandes zones homogènes du point de vue des brisures de symétrie, mais aussi, entre elles, des interfaces, les cordes cosmiques, qui contiennent des quantités d’énergie tellement gigantesques qu’ont peut les considérer comme de la matière. Les cordes cosmiques sont compatibles avec l’équation d’Einstein, dont elles sont des solutions découvertes par les physiciens Alex Vilenkin et Richard Gott.  Mais Gott est allé plus loin car il a montré que dans certaines configurations très particulières (qui impliquent deux cordes cosmiques) il peut y avoir une boucle temporelle  permettant un voyage dans le passé et le retour au point de départ. Cette possibilité théoriquement possible se heurte à un obstacle de taille qui est de savoir si de telles cordes cosmique, dans une telle configuration très particulière peuvent exister. Gott reconnaît que la probabilité pour que de telles cordes se soient formées naturellement, est quasiment nulle mais il suggère de les créer artificiellement. La méthode pratique proposée est hors de portée de nos moyens technologiques et Gott admet que c’est une future civilisation qui pourra éventuellement la mettre en œuvre.

Exit donc, au moins pour notre civilisation, les cordes cosmiques. Par contre des possibilités plus intéressantes semblent offertes par les trous noirs et les trous de ver.

Qu’est-ce qu’un trou noir ? Pour pouvoir se libérer de l’attraction terrestre un objet doit acquérir une vitesse de 11m/s, appelée vitesse de libération. Imaginons qu’il ne s’agisse pas de la terre mais d’un astre plus massif : la vitesse de libération va augmenter. Imaginons maintenant des astres de plus en plus massifs : il arrivera un moment où la force d’attraction deviendra tellement forte que pour s’en libérer un objet devrait se déplacer à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière, ce qui est impossible. De tels objets, extraordinairement massifs sont appelés des trous noirs. Ce sont des zones de l’univers dont rien ne peut s’échapper, pas même la lumière. Compatibles avec l’équation d’Einstein, l’existence des trous noirs est maintenant admise par les physiciens compte-tenu de l’observation de phénomènes qui peuvent leur être imputés. Dans le cadre d’un éventuel voyage temporel, ces trous noirs sont intéressants car ils provoquent de telles distorsions dans l’espace-temps qu’aucune fonction temporelle ne peut exister.


Les trous de ver sont, pour reprendre une expression imagée de Marc Lachièze-Rey, des poignées dans l’espace temps ou des tunnels. La figure ci-dessous montre qu’un objet, pour aller de A vers B, peut emprunter un chemin raccourci en empruntant le tunnel, si un trou de ver existe :
Fig 8.2, p 223

La possibilité de voyages temporels utilisant des trous de ver a principalement été étudiée par les physiciens soviétiques Frolov et Novikov et l’américain Thorne. Ce dernier a montré que, pour qu’un trou de ver existe, il faut supposer l’existence d’une matière exotique n’obéissant pas aux lois connues de la physique, une région où l’énergie serait négative (la conséquence étant que la matière n’exerce pas une force d’attraction mais de répulsion !). Cette entorse importante au paradigme, suppose certainement que soit élaborée une théorie quantique qui prenne en compte la gravité. Ce n’est pas le cas actuellement mais ce n’est pas très grave pour nos besoins pratiques actuels car les effets quantiques s’appliquent à des particules pour lesquelles l’effet gravitationnel est négligeable. Mais certains physiciens sont convaincus de l’existence d’une telle substance exotique, parfois qualifiée énergie sombre.

À ce stade, la discussion devient hautement spéculative et quasiment philosophique. Il est admis que la possibilité de voyages temporels utilisant des trous de ver, si elle est avérée, est réservée à de futures civilisations dont les connaissances et les technologies seraient sans commune mesure avec les nôtres. Le débat se déplace alors sur la question suivante posée par Thorne : « Que permettent les lois de la physique à une civilisation excessivement avancée, et que lui interdisent-elles ? »

Il y a deux types de réponse à cette question : la première est de conserver le cadre de la relativité générale, mais de modifier l’équation d’Einstein (théories dites de gravité modifiée). La seconde est celle évoquée plus haut : le développement de théories quantiques de la gravité. Certains pensent d’ailleurs que les théories du premier type seront des étapes provisoires vers le second. Tout le monde semble d’accord pour dire que la relativité générale telle que nous la connaissons devra évoluer vers autre chose. Mais aucune avancée significative ne permet encore de qualifier cet autre chose.

Pourtant s’il y a une chose dont on est sûr et qui est indépendante des lois de la physique, c’est que le passé est écrit et ne peut être modifié. C’est la base du principe de cohérence énoncé par Novikov : un observateur capable de visiter son passé ne peut en aucun cas le modifier. Est-ce une atteinte à notre libre arbitre ? Pas plus que les lois physiques actuelles qui nous empêchent de faire n’importe quoi ! Comme l’écrit Marc Lachièze-Rey (p. 237) : « Dans le cas d’un voyage temporel la connaissance du futur « réel » nous permettrait de concevoir un futur « modifié » mais pas de réaliser ». Je peux envisager de tuer mon grand-père, mais je ne peux pas le tuer lors d’un voyage dans le passé.

En résumé : la relativité générale autorise les boucles temporelles, et les boucles temporelles autorisent un voyage temporel pour une particule. Pour un organisme complexe comme l’homme (et en particulier en raison de la nécessité, évoquée plus haut, de conserver la cohérence d’un faisceau de boucles temporelles), l’auteur est beaucoup plus dubitatif. Il va même jusqu’à proposer, dans le cadre de la relativité générale (je souligne car nous venons de voir que ce cadre devra immanquablement  être modifié), la conjecture suivante (p. 240) : « Même si des boucles temporelles existent, le voyage temporel serait impossible pour un système muni d’un minimum de complexité ».

Ce que la relativité nous apprend clairement (et c’est la conclusion de l’ouvrage) c’est que (je cite, p. 250) : «  La notion de temps ne peut pas faire partie d’une ontologie compatible avec notre connaissance de la nature ». En d’autres termes le temps ne peut pas être au même titre que sont les autres choses de la nature. On peut développer une physique, avec nos connaissances actuelles, qui se dispense de l’être du temps. Ce serait un bouleversement complet de nos habitudes mais une telle physique serait parfaitement opérationnelle et certainement souhaitable. Or ce message de l’impossibilité relativiste du temps n’est pas encore bien reçu, y compris chez certains physiciens.

Conclusion 


L’ouvrage de Marc Lachièze-Rey est passionnant. On y trouvera beaucoup de réponses mais aussi beaucoup de questions, car l’histoire de la physique post-newtonienne ne fait que commencer. Les qualités pédagogiques de l’auteur rendent sa lecture largement accessible. Certains chapitres sont plus complexes que d’autres, mais ce qui est toujours requis c’est que le lecteur, surtout s’il n’est pas un scientifique, oublie toutes les conceptions intuitives qu’il a de l’univers et du temps. S’il y arrive il ira beaucoup plus loin dans la compréhension de ce grand mystère qui intriguait déjà Aristote et Augustin et qu'a pensé résoudre Kant : qu’est-ce que le temps ?







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