Ce commentaire est issu de la première partie, §2, de la première section « De l’espace » de « La Critique de la Raison Pure » de Kant.
Pour comprendre ce que Kant appelle "exposition métaphysique du concept", il faut retenir deux points importants :
- Le premier est que Kant réfute l’idée réaliste selon laquelle c’est l’objet qui affecte le sujet, en d’autres termes qu’il y a une déconnexion entre la perception et l’entendement.
- Le second est qu’il réfute également l’idéalisme qui voudrait que toute réalité n’existe qu’à travers le sujet, ce qui met en doute la possibilité même de la réalité.
En fait Kant va tenter de dépouiller la métaphysique de ses oripeaux, et lui donner le statut d’une conciliation entre la perception (ce que nous savons et recevons du monde réel) et la possibilité de connaissances a priori, c’est-à-dire qui ne se déduisent pas synthétiquement d’autres concepts.
Enfin, il est utile de rappeler que s’il est indubitable, que toute notre connaissance commence par les sens, on doit s'interroger sur le fait qu'il n'en résulte pas obligatoirement que les sens soient l'unique source de notre connaissance. Tel est un des problèmes fondamentaux traités par Kant : est-il possible qu'il existe, dans le processus d'acquisition d'une connaissance, des composantes a priori (qui n'ont pas leur source dans l'expérience) ?
Or, pour Kant, il existe deux principes de la connaissance a priori : l’espace et le temps.
Nous traiterons ici de l’espace.
L'espace est un sens externe qui nous permet de situer les objets, c'est-à-dire de les associer, de les dissocier, de déterminer leur figure et leur grandeur, etc.
Mais l'espace est-il un être réel ou n'est-il (la même question se pose pour le temps) qu'une détermination qui cesserait d'exister si les choses cessaient d'exister
En d’autres termes, l’espace n’est-il qu’une forme de notre intuition, constitutive de notre esprit, un prédicat qui ne pourrait être attribué à aucune autre chose que cette constitution subjective ?
Kant discute cet aspect selon cinq points :
- L’espace n’est pas un concept empirique issu d’une expérience externe. Il ne m’est aucunement possible d’avoir une intuition qui me soit extérieure. La représentation de l’espace doit être posée comme fondement. Elle ne peut être issue des relations constatées entre les choses. C’est au contraire cette relation qui permet leur intuition.
- L’espace est un concept nécessaire a priori. Il est tout à fait impossible de percevoir et encore moins de comprendre, une quelconque réalité sans ce concept. L’espace est la condition de la possibilité des phénomènes.
- L’espace est la condition de toute connaissance de type géométrique. Si l’espace ne nous était pas donné a priori, toute la géométrie serait relative. Nus pourrions considérer, par expérience, que par deux points il ne passe qu’une seule droite, mais, comme toute expérience, il ne s’agirait pas d’une connaissance. Ou tout au plus d’une connaissance basée sur la généralisation de faits mainte fois constatés.
- L’espace n’est pas un concept général mais un produit de l’intuition (ce n’est pas un concept discursif)
- L’espace est donné comme une grandeur infinie.
Exposition transcendantale du concept du concept
Kant : " J'entends par exposition transcendantale l'explication d'un concept considéré comme un principe [souligné par moi] capable d'expliquer la possibilité d'autres connaissances synthétiques a priori".
Il faut bien comprendre ce que signifie, pour Kant le mot "transcendantal" et ce qu'est la philosophie transcendantale. Il en donne d'ailleurs une définition claire "J'appelle transcendantale, toute connaissance qui, en général, s'occupe moins des objets que de nos concepts a priori des objets".
Le lecteur doit absolument écarter dans ce concept toute connotation ésotérique ou religieuse. Le concept de transcendance, chez Kant, a une connotation tout à fait scientifique et ce qu'il appelle philosophie transcendantale n'est autre que tous les concepts et jugements qui résultent des concepts a priori des objets.
Cette philosophie est d'une importance cruciale puisqu'elle est la méthode qui permet de construire un canon de la raison pure (rappelons que Kanon en grec signifie règle).
Là encore, précisons le vocabulaire. Kant donne l'exemple suivant : imaginons qu'un homme ait pour projet de détruire les fondations de sa maison. Cet homme sait que sa maison va s'écrouler car elle ne reposera que sur du sable. S'agissant d'un projet, on pourrait en déduire qu'il a une connaissance a priori de ce futur événement puisqu'aucune expérience ne lui en a été donnée (c'est la première fois qu'il démolit sa maison et il n'a jamais vu quelqu'un le faire !). Mais en fait, il ne s'agit pas véritablement d'une connaissance a priori car elle est déduite par l'expérience d'une connaissance qu'il a souvent expérimentée : le fait qu'un corps pesant demande une assise résistante pour être stable. Pour éviter cette ambiguïté, Kant parle parfois, de connaissance a priori, pure, le mot "pure signifiant donc : qui n'a absolument aucun rapport avec l'expérience. Remarquons que, à mon avis, la virgule est nécessaire "a priori, pure" ; l'expression "a priori pure" a un tout autre sens, et même aucun sens dans la philosophie kantienne. Cette distinction entre "a priori" et "a priori, pure" est importante. Kant donne l'exemple suivant : "Tout changement a une cause". Cette affirmation est une affirmation a priori puisque le concept de "cause" est une création de notre intellect dès lors que nous observons un effet. Mais elle n'est pas pure car la notion de changement est déduite de l'expérience : il faut que notre intuition sensible nous ait fait constater un premier état, puis un second différent du premier pour que nous puissions parler d'un changement. Est "pur", au sens kantien du terme, tout ce qui résulte d'un jugement synthétique a priori, c’est-à-dire le prédicat qu’on peut extraire d’un sujet qui ne contient pas ce prédicat et que l’on ne peut pas extraire empiriquement.
Les connaissances géométriques sont toutes apodictiques, c’est-à-dire qu’elles sont toutes universelles et absolument nécessaires. Elles impliquent la conscience de leur nécessité. Nous pourrions être face au vide absolu ( je ne parle pas ici du néant) mais nous aurions ce concept d’espace, ne serait-ce que parce que nous y trouvons le vide comme présence négative. Par exemple le fait que l’espace usuel (de la géométrie euclidienne) n’a que trois dimensions ne peut être une proposition empirique (obtenue par l’expérience ou l’observation), ni en dériver.
Une courte parenthèse : pourquoi Kant insiste-il autant sur la géométrie ? Tout simplement parce que la géométrie est la science de l’espace, ensemble de connaissances qu’il traite dans cette section.
Conclusions
L’espace n’est d’aucune manière une représentation des choses ou de leurs positions respectives. L’espace nous est donné comme intuition a priori avant l’existence des choses. C’est la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c’est-à-dire notre possibilité d’une sensibilité (action des sens) qui autorise la perception.
Il en résulte un point qui est important : nous ne pouvons parler d’espace, qu’en nous référant à l’homme. Si nous sortons de cette condition humaine subjective, nous ne recevrions aucune intuition spatiale et n’aurions aucune connaissance des choses. Car il nous serait totalement impossible de le intuitionner en dehors de nous-mêmes.
Il en résulte également un point qui peut dérouter le lecteur inattentif : en même temps qu’il affirme la réalité empirique de l’espace, Kant affirme aussi son idéalité transcendantale, ce qui signifie que l’espace n’est rien si nous oublions qu’il est la condition de toute expérience et si, au contraire, nous supposons qu’il est quelque chose qui sert de fondement aux choses en soi.
En conclusion (je cite Kant) : « Au contraire, le concept transcendantal des phénomènes dans l’espace est un avertissement critique qu’en général rien de ce qui est intuition dans l’espace n’est une chose en soi, et que l’espace n’est pas une forme des choses, forme qui leur serait propre en quelque chose en soi, mais que les objets ne sont pas du tout connus en eux-mêmes, et que ce que nous nommons objets extérieurs n’est pas autre chose que de simples représentations de notre sensibilité dont la forme est l’espace, et dont le véritable corrélatif, c’est-à-dire la chose en soi, n’est pas du tout connu et ne peut pas être connu par là. ».
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