Le 3 mars 2015, devant la cour d'appel de Rennes, l'avocat général a demandé la confirmation du non-lieu dans l'affaire du naufrage du chalutier breton Bugaled Breizh. La décision a été mise en délibéré le 13 mai 2015. Le Bugaled Breizh (Enfants de Bretagne) a sombré le 15 janvier 2004 au sud-ouest de l'Angleterre. Cinq marins sont morts. Pour la justice les causes de ce naufrage sont réputées inconnues ; les familles des victimes estiment quant à elles que le chalutier a été envoyé par le fond par un sous-marin qui aurait crocheté un des câbles du chalut, et dénoncent une enquête partiale. Le même jour, dans la zone où Bugaled Breizh pêchait, se préparaient des manoeuvres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord impliquant plusieurs sous-marins, et des manoeuvres de la Royal Navy étaient en cours.
L'épave du Bugaled Breizh remorquée vers le port de Brest |
Close le 3 juillet 2013, l'instruction du dossier, qui s'est, à plusieurs reprises, heurtée au secret-défense, n'a pas validé la thèse du sous-marin, qu'il soit américain ou britannique.
Ce type d'accident ne relève pourtant pas du fantasme. Ainsi dans les années 1980, le bateau de pêche Shéralga a coulé en mer d'Irlande : la marine britannique a d'abord affirmé n'avoir aucun sous-marin dans le secteur, puis a reconnu sa faute et a indemnisé les familles.
La thèse est d'autant plus crédible que le jugement du 31 juillet 2008 du Tribunal de Quimper (juges Folzer et Corre) avait été net. Il avait en effet clairement établi l'implication d'un sous-marin.
Les juges [...] ont appliqué le principe cher à Conan Doyle : "once you eliminate the impossible, whatever remains, no matter how improbable, must be the truth." (une fois que vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, même si cela parait improbable, c'est la vérité). Ils ont donc examiné minutieusement : météo, vague scélérate, mauvais état du bateau, faute de l'équipage, croche du chalut sur le fond, accrochage d'un câble sous-marin... Leur conclusion n'en retint finalement qu'une seule, celle "d'une force exogène", seule capable d'entraîner le chalutier au fond, c'est à dire un sous-marin. Ainsi au milieu de l'année 2008, la cause du naufrage était établie, restait à identifier le sous-marin responsable. Hélas, devant l'attitude des autorités refusant de répondre à leurs questions, ils informèrent les familles qu'ils leur était impossible de poursuivre leur mission et qu'ils étaient contraints de prononcer le non-lieu. référence
L'hypothèse du sous-marin. Source ici. |
D'une part les affirmations du Ministre de la défense de l'époque, Michèle Alliot-Marie, qui a déclaré à l'assemblée nationale le 4 mai 2005 :
« En ce qui concerne l'exercice interallié qui mettait en cause trois sous-marins, les autorités britanniques ont communiqué les positions des sous-marins britanniques et néerlandais et les autorités françaises ont communiqué celles du sous-marin français dès que cela a été demandé. À la demande de la préfecture maritime de l'Atlantique, les autorités britanniques ont également été amenées à communiquer les positions de tous les navires et de tous les sous-marins à la mer le 15 janvier dans les zones concernées, y compris ceux qui participaient à un exercice naval britannique, et donc indépendant de l'exercice interallié. Comme l'ont réaffirmé les autorités britanniques, si elles n'ont pas communiqué la position d'un autre sous-marin que vous avez cité, le Turbulent, c'est parce que celui-ci n'était pas à la mer le 15 janvier. Il n'est parti que le 16 au matin pour rentrer le soir du même jour à la suite d'incidents techniques. »D'autre part le rapport remis par le BEA (Bureau Enquêtes Accident) le 27 novembre 2006 qui rejette catégoriquement l'hypothèse du sous-marin et conclut que « l'hypothèse de l'enfouissement du train de pêche est celle qui paraît le plus en adéquation avec les constatations matérielles ». Le procureur, Anne Kayanakis retiendra la thèse de l'accident de pêche.
Voilà ce qu'écrit à ce sujet la quotidien Le Télégramme dans on édition du 31 juillet 2008 :
Le BEA Mer, qui dépend du ministère des Transports, conclut à un accident de pêche. Déjà vive, la suspicion des familles envers les services de l'État se trouve, ce jour-là, définitivement confortée. Le tollé est général dans le monde des pêcheurs mais le rapport marque l'opinion publique. Après tout, la mer a englouti bien des navires et des marins... L'affaire disparaît des médias nationaux. Au lendemain de ce 27 novembre 2006, les familles portent alors leur « espoir » sur l'action des juges Foltzer et Corre. « Ils sont indépendants. Ce sont les seuls en qui on a encore confiance. » Les juges pensent « sous-marin », la Procureure dit « accident de pêche » Et c'est lors de la table ronde organisée le 12 avril dernier par Le Télégramme et le Festival Livre et Mer de Concarneau que le dossier Bugaled-Breizh rebondit. Les conclusions du duo Foltzer-Corre y sont révélées : après quatre années d'enquête, les juges font officiellement de la croche avec un sous-marin l'hypothèse « la plus sérieuse » du drame. Parmi leurs documents d'appui : le rapport des experts indépendants George et Théré (Ifremer) qui ont mis au jour l'action d'une force exogène sur le câble bâbord du chalut entre 40 m et 60 m de profondeur, un frottement fort sur cette fûne où, plus tard, des traces de titane comme en utilisent certains sous-marins seront aussi détectées... Et leurs conclusions, les juges Foltzer et Corre les ont étayées ces dernières semaines d'avis complémentaires de l'expert sous-marinier Dominique Salles, indépendant lui aussi, qu'ils ont nommé en août 2007. « À la question : l'implication d'un sous-marin dans ce naufrage est-elle possible ? Ce dernier répond "oui" », avance Christian Bergot, avocat des familles des victimes. Source ici.
En résumé
Les juges et les experts indépendants défendent l'hypothèse du sous-marin ; les services de l'état défendent la thèse de l'accident de pêche. Il est légitime de se demander si c'est simplement une divergence d'opinion ou un moyen pour la France d'éviter des problèmes diplomatiques avec ses alliés ?
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