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vendredi 10 août 2018

QUE DISENT LES EVANGILES DE MARIE, MERE DE JESUS ?

Marie, mère de Jésus, a une place particulière dans les religions catholiques et orthodoxes. Elle est considérée non pas comme un personnage divin mais comme un être humain qui a reçu de Dieu la grâce de mettre au monde le Christ, dans des conditions sur lesquelles nous reviendrons. Le but de cet article n'est nullement de mettre en cause cette tradition dogmatique, ni d'entamer à ce sujet aucune polémique. Il s'agit de rechercher, dans les quatre Evangiles (c'est-à-dire dans les textes qui ont été écrits le plus tôt possible après la mort du Christ, à l'exception peut-être des Actes des Apôtres, mais les spécialistes inclinent à penser qu'il s'agit de la suite de l'Evangile de Luc) ce qui est véritablement dit au sujet de Marie. Nous nous limiterons aux textes du Nouveau Testament car ils font partie du corpus accepté par l'Eglise catholique. Nous n'ignorons pas qu'il existe des textes apocryphes qui suggèrent diverses interprétations mais, n'étant ni théologien ni historien, nous n'avons pas la compétence nécessaire pour les discuter. Notre texte de référence est la traduction de la Bible proposée par l'Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones (AELF).


Par ordre d'ancienneté les chercheurs pensent que les quatre Evangiles ont été écrit dans l'ordre suivant : d'abord Marc, puis Mathieu, Luc et Jean. Le tout dans une période qui se situe entre les années 70 et 110 de notre ère. Il est probable qu'aucun de ces rédacteurs n'a pu connaître personnellement Jésus. Il est vraisemblable (opinion personnelle) qu'il a existé antérieurement des textes oraux ou écrits sur lesquels s'est appuyé Marc puis les autres rédacteurs. 

L'Evangile de Marc

Marc ne dit absolument rien de la naissance et de la jeunesse de Jésus. La première apparition de Jésus dans le texte de cet Evangile a lieu lorsqu'il vient rencontrer Jean-Baptiste : 

"En ces jours-là, Jésus vint de Nazareth, ville de Galilée, et il fut baptisé par Jean  (NdR :Jean-Baptiste) dans le Jourdain." (Marc, I-9)

La deuxième mention de la mère de Jésus a lieu  en III-31 :

"Une foule était assise autour de lui ; et on lui dit : « Voici que ta mère et tes frères sont là dehors : ils te cherchent. »

La réponse de Jésus est singulière :

"Mais il leur répond : Qui est ma mère ? qui sont mes frères. Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »

Jésus semble ainsi négliger toute filiation terrestre. Par contre le texte indique qu'il avait des frères (et nous verrons aussi plus bas qu'il avait également des soeurs). Dans l'évangile de Marc, Marie est présentée comme ayant une vie de mère "ordinaire".

La mention suivante se trouve en VI-1 et c'est le témoignage indirect de ceux qui connaissent la famille de Jésus :

"Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison»

Renseignements précieux : la filiation est affirmée ; les frères de Jésus sont nommés et l'existence de soeurs est attestée. Ce qui est plus curieux est qu'il ne soit pas fait mention de Joseph, son père. Jésus est désigné comme "fils de Marie" et non comme "fils de Joseph". Jésus précise également qu'un prophète est méprisé dans sa parenté. Est-ce un indice de certaines dissensions avec sa famille?

Lors de la mort de Jésus sur la Croix, Marc ne fait pas mention de la présence de sa mère (XV-40) :

 "Il y avait aussi des femmes, qui observaient de loin, et parmi elles, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, qui suivaient Jésus et le servaient quand il était en Galilée, et encore beaucoup d’autres, qui étaient montées avec lui à Jérusalem".

Et ce sont ces mêmes femmes qui seront les premières à constater l'ouverture du tombeau et la disparition du corps.


Marc, écrivant le début de son évangile (enluminure)
L'Evangile de Marc ne nous apprend donc pratiquement rien sur Marie, mère de Jésus. Elle n'est qu'un personnage anonyme cité trois fois. Il est étonnant qu'un texte, dont on estime qu'il est le récit le plus proche dans le temps de la mort du Christ, ne fasse aucune allusion au caractère miraculeux de la naissance de Jésus, à la virginité de Marie, à son père Joseph. Comme on le verra l'Evangile de Jean présente, de ce point de vue, des caractéristiques similaires avec quelques ajouts ou différences.

L'évangile de Jean


Le manuscrit P52 de la bibliothèque Ryland, daté d'environ 125 est le plus ancien fragment de l’Évangile selon Jean.

Comme on le sait l'évangile de Jean n'est pas un évangile appelé "synoptique", dans la mesure où il n'est pas simplement un récit mais une oeuvre théologique qui est à la base du dogme chrétien. Cet aspect mériterait de larges commentaires que nous ne développons pas ici car, comme nous l'avons dit en introduction, notre but dans cet article est uniquement de trouver dans les Evangiles ce que l'on peut connaître de Marie, dont le culte a pris une énorme importance dans certaines religions chrétiennes.

Jean, comme Marc, ne dit rien de l'enfance de Jésus ni de sa conception miraculeuse. Rappelons-nous que ces deux Evangiles sont respectivement le dernier et le premier du corpus. Entre les deux se sont intercalés les Evangiles de Mathieu et Luc qui donnent une foule de détails sur l'enfance du Christ. Jean a-t-il eu connaissance de ces textes ? Si oui, son silence veut-il dire qu'il ne les tient pas pour authentiques, lui qui revendique fermement la véracité de qu'il rapporte ? Si non, comment est-il possible qu'il n'ait pas eu connaissance d'une conception miraculeuse, alors qu'il laisse entendre (ce qui est toutefois peu vraisemblable) qu'il se trouvait au pied de la Croix avec la mère de Jésus lors de la crucifixion ?

Quoi qu'il en soit, et comme chez Marc, Jean ne fait apparaître Jésus dans son Evangile, qu'au moment de son baptême par Jean-Baptiste.

Mais dès le deuxième chapitre la mère de Jésus apparaît lors de l'épisode célèbre des noces de Cana (Jean, II-1) :

"Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin». Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue». Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »


Les Noces de Cana, enluminure duxve siècle
Extraite des Grandes heures de Jean de Berry (1409)
Jésus s'adresse à sa mère avec une certaine rudesse qui a été relevée par beaucoup de commentateurs, et a donné lieu à des interprétations controversées. Il est exact que, dans le texte original le mot grec traduit par "femme" désigne la femme par opposition à l'homme et ne saurait être traduit par "mère". En d'autres occasions Jésus s'adressera d'ailleurs à d'autres femmes de la même manière lorsqu'il s'agit de personnes inconnues ou n'appartenant pas à sa famille. En soi le mot "femme" n'est pas péjoratif, mais le moins que l'on puisse dire, dans le cadre de ce dialogue, est qu'il n'est pas empreint d'un amour filial excessif !

Dans le même chapitre (verset 12), il est toutefois relevé que la famille de Jésus l'accompagne dans son périple :

"Après cela, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils demeurèrent là-bas quelques jours".

En (VI-41) on retrouve, de la part de ses interlocuteurs, des paroles similaires à celles que l'on a trouvée chez Marc :

"Les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. » Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : “Je suis descendu du ciel” ? ».

La filiation paternelle et maternelle de Jésus est donc bien établie et le fait de dire "Comment peut-il dire maintenant : “Je suis descendu du ciel” ? » semble montrer que le peuple, et même les personnes proches qui connaissaient sa famille ignoraient l'Annonciation faite à Marie par l'ange Gabriel.

Au chapitre VII (versets 3 et suivants) il est également relevé que les frères de Jésus ne croyaient pas en lui, ce qui corrobore ce qui est dit plus haut : même ses proches immédiats semblent ignorer le rôle qui lui a assigné le messager divin : soit parce que les circonstances de sa naissance leur ont été cachées ; soit parce qu'elles ne sont pas avérées pour Jean.

Une fois de plus, notons l'importance de ce doute : c'est toute une grande partie de l'édifice du dogme catholique qui est ébranlé si l'on s'en tient aux Evangiles de Marc et Jean.

Contrairement au récit de Marc la mère de Jésus était présente au pied de la Croix :

"Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. ». Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui."

Il s'agit là de la dernière mention faite par Jean au sujet de la mère de Jésus. la conclusion est la même que pour Marc : on ne sait à peu près rien de Marie grâce à cet Evangile, si ce n'est qu'elle a été présente pendant une grande partie de l'enseignement du Christ et qu'elle l' a vu mourir.

Jean l'évangéliste. Tableau du Greco
Les Evangiles de Mathieu et Luc

Ce sont ces deux Evangiles qui ont donné naissance au culte marial, basé sur le concept d'Immaculée conception ou de "Nouvelle Eve". Les deux textes incluent une généalogie de Joseph qui montre une filiation depuis Abraham.

La conception de Jésus est décrite ainsi par Mathieu (I-18) :

"Or, voici comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »

Par contre, dans le récit de Luc c'est à Marie qu'est apparu l'ange Gabriel et c'est dans cette version que s'est perpétuée la tradition catholique (Luc, I-26) :

"Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une jeune fille vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie. L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation. L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. ». Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? ». L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. Car rien n’est impossible à Dieu. ». Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » Alors l’ange la quitta."

Le récit de Luc est donc beaucoup plus détaillé que celui de Mathieu ; il inclut en particulier l'épisode d'Élisabeth qui est, en quelque sorte, un miracle parallèle.

Le texte de Luc ne contient pas d'autres épisodes concernant Marie que certains de ceux ceux cités par Marc et Jean. Il en est de même pour l'Evangile de Mathieu.

Mathieu
Conclusion

Si l'on s'en tient aux quatre Evangiles, qui sont les textes les plus proches de la vie réelle de Jésus, on peut estimer que le culte marial et tous les épisodes, connus par tous, de la naissance du Christ dans une étable, de la fuite en Egypte, etc. sont essentiellement issus de l'Evangile de Luc et corroborés par Mathieu.

Quelques remarques en guise de conclusion :

Ce qui nous surprend le plus, en tant que chrétien non catholique, c'est la place très réduite qui est accordée à Marie dans les Evangiles. Tout se passe comme si elle avait été "un intermédiaire" (ce mot n'a rien de péjoratif) dans les volontés divines. Rien ne sous-entend (dans les Evangiles) qu'un culte particulier doive lui être rendu. C'est sans doute pour cette raison que le culte marial constitue un point de clivage entre les religions catholiques et orthodoxes d'une part, et les religions "réformées" d'autre part.

Le second point qui nous semble surprenant est que Jésus, nous l'avons vu, semble "au-dessus" de sa filiation terrestre. Certes, dans Jean, il recommande sa mère à son "disciple bien aimé", mais il ne demande pour elle aucune vénération particulière. Pourtant Marie a reçu directement, un message divin et une mission divine. A ce titre elle est plus proche du Père que ne le sont tous ces disciples.

Comme nous l'avons dit, nous ne sommes ni théologien ni historien. Il est vraisemblable que les réflexions qui font l'objet de cet article doivent sembler bien "naïves" aux spécialistes qui connaissent l'ensemble des sources et sont capables de les comparer et de les analyser avec finesse. Nous n'avons exposé ici que les réactions intuitives d'un lecteur qui connaît assez bien la Bible.

Enfin, et surtout, il nous semble que la véracité historique est un thème différent de la foi. Au final il importe assez peu de savoir si le culte marial est fondé "en vérité". Ce qui importe c'est que, au-delà de ce culte et parfois grâce à ce culte, a surgi chez certains des hommes une foi sincère dans le message du Christ.

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