La première, la moins probable car elle a été démentie par l’Histoire des hommes, serait que le Christ, en se sacrifiant aurait enlevé aux hommes la possibilité de pécher. Elle signifierait, que les générations ultérieures auraient été, en quelque sorte, « saintes ». Cette hypothèse est évidemment insoutenable puisque, avant comme après la mort du Christ, l’Histoire est jalonnée de turpitudes, de meurtres, d’insanités diverses. Notre monde n’est pas devenue subitement «le monde des anges ».
La seconde hypothèse , qui nous semble également peu crédible, est que le sacrifice de Jésus aurait délivré les hommes du jugement dernier, quel que soit leur comportement terrestre. Cette hypothèse n’est pas justifiable. Ni du point de vue de la morale (car si le jugement dernier n’existe pas, tout est permis) ; ni du point de vue de la foi chrétienne car elle est en contradiction à la fois avec l’Ancien Testament et le Nouveau. Certes « les voies de Dieu sont impénétrables » mais elles sont interprétables avec le peu de clarté que nous donne notre raison humaine. Et cette petite lueur nous vient uniquement de ce que nous pouvons comprendre des Écritures qui ont toujours souligné le respect de la Loi, pour les juifs et le respect des commandement du Christ pour les chrétiens ? En fait cette hypothèse signifierait, comme l’a dit Nietzche (et d’autres) « la mort de Dieu » ? la phrase de Nietzche ne signifie pas que Dieu a existé puis est mort. Elle signifie que le concept de Dieu a toujours été « humain, trop humain » et que, selon lui, le temps est venu de retrouver « une généalogie de la morale », indépendante de la théologie. Toute cette discussion, qui renvoie évidemment à Kant, consiste à savoir s’il existe, au plus profond de l’être humain, une conscience morale. Il est certain que cette conscience existe. D’ou vient-elle ? De la terreur du châtiment que peut infliger la loi humaine ? De la croyance religieuse, ou plus simplement du respect que chaque être humai doit à son semble ? Mais dans ce cas, d’où nous vient ce sentiment ? Est-ce uniquement en vertu du dicton qui dit « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te fasse ? » ? Quelle tristesse dans ce cas ! A quoi ont servi tant de sacrifices pour la cause humaine ? Les sacrifices des révolutionnaires intègres, de Jean Moulin, de tous ceux qui sont morts dans les prisons nazies ou soviétiques. S’il existe un sentiment moral véridique, indépendant de toutes contraintes ou craintes, seul Dieu peut nous l’avoir donné. Ou le libre arbitre qui nous conduit parfois à défier les contraintes de l’opinion et du sentiment commun ? Mais pourquoi cette clairvoyance dans les valeurs humaines est-elle réservée à certains et non à tous ? Est-ce qu’il existe des caractéristiques génétiques qui inclinent vers le bien ou le mal ? Question ouverte ! Mais quoi qu’il en soit cette deuxième hypothèse n’est pas justifiable. Elle suggérerait que nous sommes revenus, par intervention divine, à « l’état de Nature » qu’a imaginé Jean-Jacques Rousseau mais que cet état est régulé uniquement par la loi des hommes. La mort ne serait alors, comme l’a écrit Lucrèce (le « grand Lucrèce ») qu’un sommeil apaisé et éternel. Triste perspective qu’un tel sommeil aussi bien pour le scélérat que pour le Juste, pour l’immonde et pour le Saint ! Dieu ne peut avoir donné à l’Homme cet état de servitude uniquement laïque qui le dédouane de toute responsabilité !
La troisième hypothèse serait que le Christ, lorsque Dieu lui a demandé de se sacrifier, lui a demandé de le faire comme homme véritable, c’est à dire comme pécheur. En d’autre termes Dieu aurait demandé à Jésus, son incarnation humaine, une incarnation totale. Dieu, par l’intermédiaire du Christ serait devenu « à l’image des hommes » et non « l’homme à l’image de Dieu ». Cela ne signifie évidemment pas que Dieu serait devenu pécheur (hypothèse absurde) mais que le sacrifice du Christ a été celui d’un pécheur et que, s’étant humanisé jusqu’à un point extrême il a pris en charge le devenir de hommes d’une manière absolue garantissant ainsi le Jugement Dernier.
Cette hypothèse peut s’appuyer sur le fait que Jésus a été saisi de peur (ou de doutes), la veille de sa mort, lorsqu’il s’est isolé sur le Mont des Oliviers : « Père, si tu voulais éloigner cette coupe de moi ! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne. Alors un ange apparut du ciel pour le fortifier » (Luc, 22, 42). Et plus tard sur la Croix, il a prononcé cette phrase énigmatique : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc, 15, 34).
Car en effet, jésus, fils de Dieu ne peut avoir eu peur de la mort ni de la souffrance. Son destin était scellé dès son incarnation humaine. Par contre on peut suggérer que ce pourquoi il avait besoin d’être réconforté était de mourir comme un pécheur. Celui qui a donné aux Hommes une loi nouvelle, avec un horizon de sainteté, a douté parce que, étant devenu un « homme intégral », il a été saisi par le doute, comme le sont la majorité des hommes.
Cette hypothèse a l’avantage de combler un « vide ». Si Dieu s’est fait homme par l’intermédiaire de son fils, pourquoi ne s’est-il pas réincarné en homme véritable, c’est-à-dire en pécheur ? Sans doute car le Christ n’était pas un prophète au sens usuel du terme, un de ces prophètes qui tous, à des degrés divers, ont été de pécheurs. Non en raison de leurs actes, mais parce qu’ils n’étaient que des hommes. Le Christ aurait donc été, pour cette raison, le dernier prophète.
La faiblesse de l’hypothèse (mais encore une fois : que sommes-nous capables de savoir à ce sujet ? ») est que l’on ne comprend pas très bien cette nécessité d’humanisation intégrale. Le message du Christ aurait été le même et aurait eu la même portée s’il était mort en tant que Dieu incarné et non pas en tant que pécheur. Mais dans ce cas, pourquoi Jésus a-t-il douté ?
La quatrième hypothèse qui est, je crois, celle que retient l’Église Catholique (et d’autres Églises chrétiennes) est que le Christ a enlevé les péchés du monde mais ne les a pas effacés. Il a en quelque sorte évité aux hommes un second Déluge. Il leur a donné la possibilité de se racheter en suivant les commandements qu’il leur a donnés. Le Christ, par sa mort, a pris sur lui la malédiction de la Genèse qui fait de chaque homme, dès sa naissance, un pécheur. Il n’a pas débarrassé le monde du péché, ni donné une absolution anticipée à quiconque. En termes moderne, on peut dire qu’il a donné à l’homme « un libre arbitre » ou, ce qui revient au même, « une volonté libre ». La voie a été tracée. Chacun est libre de la suivre ou pas et chacun sait que viendra le temps où le bon grain sera séparé de l’ivraie.
Mais cette voie est très difficile à suivre. Qui peut prétendre disposer réellement de son libre arbitre ? Qui peut prétendre avoir une volonté libre ?
En fait il y a deux sortes de maux qui nous frappent :
• Le mal que nous nous faisons à nous-mêmes en succombant à des tentations « malsaines » (je n’emploie pas ici le terme « malsain » dans un sens médical mais moral). Dans un tel cas notre volonté n’est pas libre, car elle est en conflit avec notre raison. Il ne s’agit pas ici du « conatus spinoziste » au sens strict et nous sommes plus proches de Kant que de Spinoza.
• Le mal que l’homme fait à l’homme : les horreurs sont innombrables. Rappelons-nous à titre d’exemples emblématique le génocide des juifs, ou celui des Tutsis au Rwanda. Ce mal correspond à une perte totale de son libre arbitre (car qui, hormis des psychopathes, peut avoir des volontés telles ?). La volonté libre s’est effritée sous le butoir de la persuasion, du mensonge, etc.
Si le Christ a été véritablement l’incarnation terrestre de Dieu, il nous a tracé un chemin semé d’embûches. Comment s’étonner qu’il y ait si peu de véritables chrétiens ?
Nous sommes donc aux prises avec une phrase"Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde" qui est un pilier de la foi chrétienne mais que nous ne savons pas correctement interpréter (me semble-t-il). Quel est le sens profond, réel, divin de "enlever" ? Et pourquoi le Christ a-il douté dans ses derniers moments ? Quelle est la relation entre ses doutes et la charge de nos péchés ? Autant de questions séculaires que les Eglises, à mon avis, devraient trancher plus clairement. Mais il est exact que je ne suis pas un théologien. Je ne suis qu'un homme qui s'interroge. D'autres, plus doctes, pourraient peut-être (et je les en remercie par avance) m'éclairer.
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