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lundi 27 février 2017

NOTE DE LECTURE N° 25 : LE CONCEPT D'ÊTRE DANS "LES PENSÉES MÉTAPHYSIQUES" DE SPINOZA

« Les pensées métaphysiques » de Spinoza constituent un appendice à son œuvre « De la philosophie de Descartes". Il a été écrit en latin en 1663 et comporte deux parties, contenant respectivement 6 et 11 chapitres. Mon commentaire portera sur le concept d'Être dans cet oeuvre. Mon ouvrage de référence est : « Spinoza - Œuvres complètes – La Pléiade-1967) ». Toutes les citations de Spinoza figurent, sauf exception signalée, entre guillemets.

Des conceptions de l’Être


La définition que donne Spinoza de l’Être est la suivante  :

« Tout ce que, dans une perception claire et distincte, nous trouvons exister nécessairement ou au moins pouvoir exister ».

Mais il met en garde contre le fait qu’une chimère, un Être de fiction ou un Être de raison ne sont pas des Êtres. En effet :

  • Une chimère est, par définition, quelque chose qui ne peut pas exister.
  • L’Être de fiction n’est pas un Être car son existence ne résulte pas d’une perception claire et distincte, mais uniquement du libre arbitre de l’homme qui le conçoit. Il ne s’agit pas d’une erreur commise par ignorance, mais d’un choix délibéré.
  • L’Être de raison n’est qu’un mode de penser permettant de retenir, expliquer et imaginer des choses déjà comprises. Nous retenons les choses par analogie avec d’autres choses plus familières. Pour expliquer les choses nous les comparons à d’autres concepts connus ; Spinoza cite le temps, le nombre et la mesure. Mais peut-être, dit-il, y en a-t-il d’autres. Enfin, concernant l’imagination, nous pouvons facilement considérer comme des êtres, des non-êtres. Car imaginer « n’est rien d’autre que sentir les traces laissées dans le cerveau par le mouvement des esprits, excité lui-même dans les sens par les objets. Il ne peut donc s’agir que d’une sensation confuse, c'est-à-dire ne correspondant pas à la définition de l'Être (lequel doit résulter d'une conception claire).
Il est clair que, dans ce qui précède, l'Être de raison tient une place particulière en raison de toutes les erreurs qui ont été énoncées à son sujet.

Concepts équivoques concernant l'Être de Raison


« Pourquoi les êtres de Raison ne sont pas des idée de choses et sont cependant considérés comme telles ? »

Il résulte de la définition d’un Être de Raison qu’il n’est corrélé avec aucune chose réelle. Il ne peut donc pas être une idée de cette chose. Mais la difficulté réside dans le fait que les modes de penser les choses qui ceux de l’Être de Raison viennent de manière si spontanée à l’esprit que l’on a tendance à les considérer comme des représentations mentales des choses. On retrouve ici, de manière incomplète et différente, la distinction que fera Kant entre « phénomène » et « chose en soi ».

Peut-on diviser l’Être entre Être réel et Être de Raison ?

Il est clair, d’après ce qui vient d’être dit, qu’une telle hypothèse serait complètement erronée car elle consisterait à diviser l’Être entre Être réel et Être de Raison, c’est-à-dire entre Être réel et Non-Être. 

Un Être de Raison peut-il être un pur Néant ?

Il faut bien distinguer de quoi l’on parle.
  • Si l’on parle de ce que peut être un être de Raison hors de l’entendement, la conclusion est claire et les motifs en ont déjà été donnés : c’est un Non-Être, donc un pur néant.
  • Mais si l’on parle de ce qu’est réellement un Être de raison, c’est-à-dire un mode de penser, alors on parle d’Êtres réels. Contradiction ? Non. Car un mode de penser est quelque chose qui s’entend clairement. La restriction est qu’il ne s’agit pas, nous l’avons dit plus haut, d’une idée des choses. Ainsi, par exemple, l’espèce est un Être de Raison. Mais l’espèce a le statut d’Être car il s’agit d’un mode de penser qui s’entend clairement et distinctement : « Quand je demande en effet ce qu’et une espèce, je ne demande rien d’autre que la nature de ce mode de penser », qui se distingue de tous les autres. Spinoza éclaire ce point d’une manière particulièrement édifiante : » Ainsi Platon, en disant que l’homme est un bipède sans plumes, n’a pas commis une plus grande erreur que ceux qui ont dit que l’homme est un animal raisonnable  […] car Platon a rangé l’homme dans une classe déterminée pour pouvoir, quand il voudrait penser à l’homme, rencontrer aussitôt la pensée de l’homme en recourant à cette classe qu’il pouvait se rappeler aisément ». 

"Dans l'investigation sur les choses, les Êtres réels ne doivent pas être confondus avec les Êtres de Raison"

S’attacher, dans l’investigation sur les choses (c’est-à-dire dans les sciences et la philosophie) à l’ Être de Raison signifie étudier les modes qui nous font percevoir les choses. Cette investigation n’a rien à voir avec une recherche sur la nature des choses. Une 
investigation sur la nature de choses est une investigation sur l’Être non pas, comme le dira Kant beaucoup plus tard, sur « la chose en soi ». J’ouvre une courte parenthèse à ce sujet : on trouve chez Spinoza des questions dont il estime la résolution impossible. Par exemple la conciliation entre le libre arbitre et la prédestination de Dieu. Mais on y trouve pas, ce que Kant appelle des antinomies de la raison, c’est-à-dire des questions que l’on peut argumenter d’une manière positive ou négative. Ceci résulte, à mon avis du fait  que Kant n’a pas estimé possible de démontrer par la raison pure l’existence de Dieu, mais qu’il l’a en quelque sorte « rencontrée » dans la « Critique de la Raison pratique ».

« Comment se distinguent l’Être de raison et l’Être de fiction ? »

La question peut être posée car, puisque l’Être de raison et l’Être de fiction n’ont pas de consistance hors de l’entendement , il est possible que certains confondent les deux concepts. Mais la réponse est simple et ne nécessite pas beaucoup d’explications si l’on a assimilé les définitions données par Spinoza et rappelées plus haut. L’Être de fiction est une association de concepts qui ne résulte que de notre propre volonté. Il ne peut être vrai que « par accident », c’est-à-dire, dans notre langage moderne, par hasard ou par exception. L’Être de raison ne résulte aucunement de notre volonté. Il est phénoménal. Il traduit la perception que nos sens, ou l’expérience donnent aux choses réelles, que nous le voulions ou pas. Spinoza revient, un peu plus loin dans le texte, sur ce qu'il appelle "accident" et donne un exemple limpide :

« Quand je dis qu’un triangle est mû, le mouvement n’est pas un un mode du triangle, mais bien du corps qui est mû ; à l’égard du triangle le mouvement est un accident, mais à l’égard du corps le mouvement est un être réel ou un mode ; on ne peut en effet concevoir ce mouvement sans le corps, mais on le peut parfaitement sans le triangle ».


***

Dans le premier chapitre de la première partie des « Pensées métaphysiques », Spinoza a essentiellement discute de ce que signifie « Être «  et des concepts qui prétendent Être mais ne le sont pas. Il va maintenant revenir à l’Être stricto sensu et introduire une division de l’Être » en quatre concepts :

  • Être de l’essence.
  • Être de l’existence.
  • Être de l’idée.
  • Être de la puissance.

Mais, précise Spinoza, cette distinction ne peut se comprendre (ne peut être acceptée par l'entendement) que si l’on comprend ce que nous savons de la substance incréée, c’est-à-dire de Dieu :

  • «  Dieu se connaît lui même et connaît toutes choses, c’est-à-dire qu’il a aussi en lui toutes choses objectivement »
  • « Dieu est cause de toutes choses et il opère par la volonté absolue de sa liberté ».


L’Être en essence est ce par quoi l’Être participe aux attributs de Dieu. Or seul Dieu, conformément à l’enseignement scolastique, possède infiniment, et de manière infiniment parfaite les attributs qui le caractérisent. En conséquence, parler de l’Être de l’essence d’une créature (au sens étymologique du terme : chose créée) évoque la façon partielle, incomplète et imparfaite de l’image de Dieu.  Il est intéressant de constater que Thomas d’Aquin, dans son opuscule « L’Être et l’essence » (VRIN -1985 ) précise : «  l »être et l’essence étant ce que l’intelligence conçoit en premier lieu, comme dit Avicenne (Méyaphysicae, lib.I, c.6), il faut éviter toute ignorance à leur sujet, et pour cela 1° analyser le sens des mots essence et être, 2° déterminer de quelle façon les concepts ainsi obtenus se trouvent réalisés dans les choses diverses par ailleurs 3° de quelle manière ces concepts se réfèrent aux notions logiques de genre, espèce différence. »

« L’être de l’Idée se dit en tant que toutes chose sont contenues objectivement dans l’idée de Dieu ». On conçoit l’importance des deux remarques préalables citées plus haut.

« L’être de la puissance se dit par rapport à la puissance de dieu qui lui a permis, dans la liberté absolue de sa liberté, de créer tout ce qui n’existait pas encore » (cf . seconde remarque préalable citée plus haut). On parle donc d’être de puissance quand on se réfère à ce que Dieu est susceptible de créer mais n’a pas créé.

L’être de l’Existence est un concept très différent des trois premiers puisqu’il ne se réfère pas à Dieu, directement ou indirectement, mais à l’essence des choses telles qu’elles sont. C’est un concept qui ne peut s’appliquer qu’aux créatures.

Il résulte de ces définitions, qu’elles ne peuvent pas s’applique à Dieu, pour des raisons évidentes qu’il est certainement inutiles de commenter car elles vont de soi, en particulier car l’existence et l’entendement de Dieu ne se distinguent pas de son essence.




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