Pages

jeudi 16 février 2017

NOTE DE LECTURE N° 24 : "LE VOCABULAIRE DE KANT DANS LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE"

Il s’agit dans cet article du vocabulaire kantien tel qu’il est traduit en français. Mes souvenirs de germanophone sont trop anciens pour que je puisse me permettre d’interpréter ou de commenter le vocabulaire original en allemand. Mon édition de référence est : « La Critique de la Raison Pure » -Kant- PUF 1980 (CRP dans le texte qui suit).
Kant est un auteur extrêmement difficile, en particulier dans « La Critique de la Raison Pure ». D’abord et surtout car le sujet traité est complexe. Disons, pour simplifier qu’il s’agit d’exposer les bases d’une « philosophie transcendantale ».  Mais aussi car le vocabulaire utilisé n’est généralement pas d’usage courant ou, s’il l’est, est bien souvent éloigné de son acception usuelle. C’est une partie de ce vocabulaire que je voudrais commenter ici.
Il ne s’agit pas d’un lexique, car je ne suivrai pas un ordre alphabétique mais un ordre de présentation aussi proche que possible des idées et concepts de Kant. Cette présentation n'est pas exhaustive: je la limite au vocabulaire le plus usuel.




Critique : le mot "critique" n'a en aucune manière le sens d'une contestation ou d'une réfutation (dans le sens où on dirait : "je critique cette opinion"). "Critique signifie ici : "enquête systématique sur ...".

Sensibilité, sensation : ces deux mots et leurs dérivés proviennent étymologiquement du mot « sens ». Il s’agit donc, pour Kant de « la matière brute » qui frappe nos sens (odeur, son vision, etc.) et à partir de laquelle nous élaborons une expérience.

Expérience : Kant appelle « expérience » tout ce par quoi nous pouvons connaître les choses. Il ne s’agit donc pas (ou pas uniquement) de l’expérience au sens scientifique du terme mais de tout ce qui est susceptible de frapper nos sens et dont nous tirons des conclusions (expérimentales). L’expérience, au sens scientifique du terme, a ceci de particulier qu’elle nécessite un protocole pour être interprétée.

Intuition : faculté de recevoir des représentations. Le mot chez Kant n'a aucun rapport avec son acception dans une phrase telle que "J'ai l'intuition qu'il va pleuvoir" !

Entendement : faculté qui transforme les sensations et l’expérience en connaissance des choses ou, plus exactement, qui nous permet de penser les choses. Il me semble que l’on ne commettrait pas d’erreur trop grave en assimilant le mot « entendement » au mot » intelligence », si on ne donne pas à ce dernier un sens laudatif. C'est de 'entendement que naissent les concepts.

Empirique : une connaissance est empirique lorsqu’elle s’appuie exclusivement sur l’observation ou l’expérience, et n’est induite par aucune théorie a priori.

Phénomène : un phénomène est, dit Kant : « l’objet indéterminé d’une intuition empirique ». En d'autres termes, il s'agit de tout ce que nous pouvons connaître des choses par intuition. Dans un phénomène, Kant appelle « matière » ce qui correspond à la sensation et « forme » tout ce que l’intuition est capable de coordonner dans le divers de la matière du phénomène.

Chose en soi : La chose en soi, contrairement au phénomène, est ce que la chose possède en propre mais que la sensibilité (donc l’entendement) ne peut appréhender. Pour Kant la chose en soi est donc inconnaissable : « Si nous pouvions faire accéder notre intuition au suprême degré de clarté, nous ne nous en approcherions pas plus près de la nature des objets en soi. Car nous ne connaîtrions complètement, en tout état de cause, que notre mode d’intuition, c’est-à-dire notre sensibilité, […] soumise aux conditions d’espace et de temps qui sont attachées originairement au sujet". Cette citation de Kant est d'une extrême importance car elle définit indirectement ce qui est au centre de la CRP : la possibilité d'ériger, en lieu et place de la métaphysique traditionnelle, une philosophie transcendantale.

Métaphysique : contrairement à ce qu’on peut lire parfois, Kant n’a pas signé « l’arrêt de mort » de la métaphysique. Il l’a renouvelé en profondeur, d’une manière radicale. La métaphysique traditionnelle est une activité de la raison et de la logique. Or ces deux facultés ne procèdent à la manière des syllogismes d’Aristote : elles n’apportent que ce qu’on y met. En d’autres termes la métaphysique traditionnelle est vide de sens nouveau. La conclusion répète sous une autre forme les prémisses. La refondation de Kant « la méthode critique » repose sur ce qui est donné, en particulier l’intuition pure (c’est-à-dire ne reposant sur aucune expérience) et la loi morale découlant de la liberté.

A priori : s'il est indubitable, que toute notre connaissance commence par les sens, on doit s'interroger sur le fait qu'il n'en résulte pas obligatoirement que les sens soient l'unique source de notre connaissance. Tel est un des problèmes fondamentaux traités par Kant : est-il possible qu'il existe, dans le processus d'acquisition d'une connaissance, des composantes a priori (qui n'ont pas leur source dans l'expérience), et que l'on ne peut donc désigner comme étant des connaissances a posteriori.

Jugement analytique, jugement synthétiqueLe plus simple pour comprendre ces notions est de lire le texte de Kant, qui est parfaitement clair (p.37 de la CRP) :

"Dans tous les jugements où est pensé le rapport d'un sujet à un prédicat [...] ce rapport est est possible de deux manières. Ou le prédicat B appartient au sujet A comme quelque chose qui est contenu [...]dans ce concept A, ou B est entièrement en dehors du concept A, quoiqu'il soit, à la vérité, en connexion avec lui. Dans le premier cas, je nomme le jugement analytique, dans l'autre synthétique".

La grande question kantienne !) est de savoir pourquoi, dans un jugement synthétique, le prédicat peut être ajouté au sujet. Les choses sont simples quand le prédicat peut être tiré de l'expérience. En effet, l'expérience (au sens de la totalité de ce que je peux connaître d'un concept) m'informe de l'association entre "corps" et "pesanteur" (bien que je n'ai pas besoin de la pesanteur pour concevoir un corps). Mais les choses se compliquent si j'énonce le jugement suivant : "Tout ce qui arrive a une cause". En effet en "dénouant" le Tout ce qui arrive je peux mettre à jour divers jugements analytiques (par exemple avec des prédicats liés au temps, à la chronologie, etc.) mais nullement le jugement "Tout ce qui arrive a une cause". Le concept de cause est totalement étranger à l'occurrence. C'est donc bien un jugement synthétique. Mais ce jugement est-il issu de l'expérience ? Nullement, car l'expérience ne nous informe que sur un sujet particulier. Elle nous fournit la cause de l'occurrence de ce sujet (le poids d'un corps a pour cause la loi de la gravitation universelle) mais ne nous informe pas sur la cause en tant que cause (je veux dire par là sur le concept de cause). Kant définit deux critères permettant d'affirmer qu'une connaissance est pure : la nécessité et l'universalité. Or, il est indubitable que le concept de cause satisfait ces deux critères. Il en résulte que "Tout ce qui arrive a une cause" est un jugement synthétique a priori. Kant ajoute (p. 40 de la CRP) : "Il se cache donc ici un certain mystère [...] c'est-à-dire qu'il faut découvrir, avec sa généralité propre, le principe de la possibilité de jugements synthétiques a priori". Car en effet, de tels jugements sont monnaie courante. Kant affirme par exemple (p. 40 de la CRP) que "Dans toutes les sciences théoriques de la raison sont contenus, comme principes, des jugements synthétiques a priori". Par exemple : "Dans tous les changements du monde corporel la quantité de matière reste la même" ou "Dans toutes communication du mouvement l'action et la réaction doivent toujours être toujours égales l'une à l'autre". Le lecteur se convaincra aisément, qu'il s'agit de jugements synthétiques a priori. Mais il y a un autre enjeu : la Métaphysique. Bien que Kant la qualifie de "science simplement ébauchée" (p. 42 de la CRP), elle ne doit pas consister uniquement à développer analytiquement ce que les concepts contiennent. Elle doit avancer synthétiquement. Elle doit aussi avoir pour but d'aller au-delà de toute expérience. Dans le but qu'elle doit se proposer, elle doit être composée de jugements synthétiques a priori. Le problème général de la raison pure est donc : comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ?

Transcendantal : " « J'appelle transcendantale toute connaissance qui ne porte point en général sur les objets mais sur notre manière de les connaître, en tant que cela est possible a priori ».

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Vous pouvez ajouter des commentaires.