Il n'est pas question dans cet article de discuter des arguments pour ou contre la corrida, mais d'essayer de comprendre pourquoi le parlement catalan a pris une décision historique : en juillet 2010 les députés du Parlement régional de Catalogne ont approuvé l'interdiction des corridas, par 68 voix pour et 55 contre. Ce vote est le résultat d'une "initiative législative populaire" (ILP), lancée en 2008, qui a recueilli 180 000 signatures. La corrida existait en Catalogne depuis plus de 600 ans.
La première motivation mise en avant est évidemment la protection des animaux, en l'occurrence des taureaux.
Pourtant, il est douteux que ce soit la motivation unique, voire principale, même si un certain nombres de signataires de la ILP (et sans doute quelques députés) sont soucieux de cet aspect.
La preuve en est que dans un même élan les députés ont décidé de la prohibition de la corrida, mais ont refusé d'interdire les spectacles appelés "correbus" sous prétexte qu'ils font partie de la "culture catalane".
Dans ces spectacles (correbus), dépourvus de toutes qualités artistique ou esthétiques, le taureau est encerclé par une foule nombreuse et bruyante. Il est généralement entravé ; ses cornes sont parfois ornées de boules de résine enflammées ; certains taureaux se noient lors des spectacles « toros al mar », beaucoup sont estropiés définitivement. Certes, le taureau, en théorie, n'est pas tué mais les correbus engendrent indubitablement des souffrances à l'animal.
En outre, comment peut-on mettre en avant "la culture catalane" et simultanément rejeter un aspect important de "la culture espagnole" (y compris catalane) ? Après tout, si l'on s'en tient à la constitution, les catalans sont avant tout des Espagnols vivant en Catalogne ! Or il ne fait aucun doute que la corrida fait partie de la culture espagnole, comme le flamenco .
Quelle est donc la véritable raison de la prohibition ?
Après la mort de Franco en 1975, la nouvelle constitution espagnole reconnaît l'Espagne comme un État avec plusieurs nationalités et régions. La Catalogne devient une communauté autonome de l'État espagnol le 11 août 1980. La même année, les élections portent au pouvoir, en Catalogne, la coalition nationaliste conservatrice Convergència i Unió (CiU), dirigée par Jordi Pujol, qui restera au pouvoir jusqu'en 2003. Sous la gouvernance de Pujol, et grâce à l'impulsion donnée par son gouvernement, la revendication nationaliste a pris une grande ampleur. Elle a atteint son apogée avec le référendum organisé le 24 septembre 2014 par le successeur de Pujol, Artur Mas. Ce référendum a été déclaré illégitime par le gouvernement central de Madrid.
Le problème est que cette revendication nationaliste a créé, dans une partie de la population, un très fort sentiment anti-espagnol qui conduit à rejeter tout ce qui renvoie à l'Espagne et tout ce qui est considéré comme appartenant à la culture espagnole.
A cet égard la corrida est en première ligne car, pour une grande partie des étrangers (hostiles ou non à la corrida), elle s'identifie fortement à l'Espagne.
Mais tout politique digne de ce nom (et je pense que Pujol et Mas sont des politiques authentiques) n'engage pas l'action de la communauté qu'il dirige sur la base d'impulsions affectives. La prohibition de la corrida est une pièce dans un projet politique global qui nécessite, pour être mené à son terme, de " recruter" sur des bases anti-espagnoles.
Le journaliste Paca March a écrit dans la revue 6 Toros 6 :
« La prohibition taurine catalane a commencé à germer dans les premières années de la transition démocratique espagnole […] assumée par le gouvernement de la Generalitat en raison d’un catalanisme rampant qui considère les toros comme un héritage de l’Espagne, héritage qui a provoqué, et provoque encore, une crise d’urticaire chez une grande partie de la population [catalane] ».
Je pense qu'il a mis le doigt sur l'essentiel du problème.
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