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mardi 9 mai 2017

UN EXEMPLE DE SUJET POSSIBLE POUR LE BAC 2017 - MARX : LA DÉFINITION DUTRAVAIL HUMAIN (Le Capital, 1867)

Le texte de Marx dont il est question ici a fait l'objet d'un commentaire détaillé dans l'émission de France-Culture "Les Chemins de la philosophie" le 6 février 2917. Il s'agit d'un texte surprenant dans "Le Capital", car il ne traite ni d'économie, ni de politique, ni même de philosophie politique. Marx analyse le concept de "travail humain" non seulement en le différenciant du"travail" animal, mais en soulignant l'enrichissement qu'il apporte à l'homme et la façon dont il subordonne sa volonté. Présenté comme un un possible sujet pour le bac 2017, ce texte ne suppose en fait aucune connaissance préalable de l'oeuvre de Marx et de ses développements économiques. Je tenterai de me placer dans la situation d'un élève et de composer une dissertation scolaire. Qu’est-ce que j’appelle une dissertation scolaire ? Un texte écrit sans ouvrir aucun livre, ni documentation de type internet, et sans faire référence à des auteurs que, peut-être, les élèves de terminale connaissent peu ou mal. Dans un texte non-scolaire on aurait pu "appeler à la rescousse" au moins Aristote, Descartes, Kant et, bien entendu Marx lui-même dans les développements ultérieurs du Capital. C’est également un travail effectué en un temps limité. Je n‘ai pas mesuré cette durée car l’écriture a été fragmentée en fonction de mes disponibilités ; je pense que mon texte est un peu court pour une dissertation et peut-être ne faut-il le considérer que comme une trame à développer. Je précise enfin que n’étant ni professeur, ni philosophe je ne prétends pas donner ici un « modèle» de ce que pourrait être l’explication de ce texte de Marx. Je me suis livré à cet exercice en quelque sorte « par jeu ». 




Ci-dessous, le texte à commenter :

"Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature. L'homme y joue lui-même vis à vis de la nature le rôle d'une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s'assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu'il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n'a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habilité de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté."
MARX, Le Capital, 1867

***
Dissertation

Le texte proposé peut surprendre dans la mesure où il constitue une analyse du travail humain hors de tout contexte économique, social ou politique. Son objet est de définir ce qu'est le travail de l'homme, d'abord en le comparant à celui de l'animal, puis en analysant ce qu'il a de spécifique en tant que projet conscient et nécessaire, bien que subordonnant la volonté humaine.


La définition du travail humain que donne Marx est très générale : l'homme est une puissance vis-à-vis de la nature, c'est-à-dire du monde et de tous les êtres qui en font partie : minéraux, végétaux, animaux. En outre c'est une puissance "naturelle", puisque lui aussi fait partie de la nature. Être une "puissance", c'est "avoir le pouvoir d'assujettir". Et effectivement l'homme, dispose d'une force physique et intellectuelle qui lui permet d'agir, de faire sien le monde dans lequel il vit en le modifiant à son profit, c'est-à-dire en faisant en sorte que son contenu soit transformé en faveur de la vie humaine : il utilise à des fins multiples les minéraux, il cultive des plantes et élève des animaux pour divers usages, en particulier pour son alimentation. Ce faisant, modifie la forme des matières inertes ou vivantes de la nature. En quelque sorte : il les domestique. Mais les bénéfices qui en résultent ne sont pas donnés sans compensation : ils demandent de l'énergie corporelle ou mentale, c'est-à-dire du travail. Or, étant lui-même un être « naturel », l’homme, en transformant la matière, se transforme également : parce qu’il a une volonté libre, il est également puissance vis-à-vis de lui-même. Le travail, au moins en ce qui concerne le travail humain, n’est pas, de prime abord, une activité « naturelle ». C’est une activité imposée par la nécessité de conserver son être et de rendre la  vie humaine la plus agréable possible. C’est une activité qui n’est pas instinctive et, à ce titre, qui est fort différente de l’activité animale, comme nous le verrons plus loin. Mais c’est une activité, dit Marx, qui permet à l’homme de mettre en œuvre des ressources qui sommeillent en lui. Si l’homme n’était pas contraint à travailler, il est vraisemblable que ces facultés resteraient « dormantes ». Et ceci ne concerne pas uniquement le travail artistique ou intellectuel, mais tout type de travail. Le menuisier qui transforme le bois en meuble, tout comme le sculpteur qui façonne un bloc de marbre, « se redécouvrent dans leur travail » au double sens du terme : ils font une nouvelle découverte d’eux-mêmes, et se dénudent en allant au-delà de leurs possibilités instinctives.


L’animal agit également sur la nature et Marx utilise deux exemples : l’araignée qui tisse sa toile et l’abeille qui participe à la construction de la ruche. Les résultats de cette activité, du point de vue de l’œil humain, sont des chefs d’œuvre ; la toile de l’araignée et l’architecture de la ruche ne peuvent qu’émerveiller un tisserand ou un architecte. Mais peut-on dire pour autant que ces animaux ont travaillé ? L’araignée et l’abeille sont en quelque sorte programmées pour effectuer ces tâches. Depuis des millénaires ces animaux effectuent les mêmes toiles et les mêmes ruches. Aucune volonté propre et libre ne les oblige à le faire : ce sont des tâches effectuées par instinct. Or l’instinct n’est ni une volonté, ni une liberté laissée à l’animal. L’instinct est héréditaire, constant et non évolutif (sauf cas particuliers d’animaux dressés ou d’exceptions remarquables). Il est inné, c’est-à-dire qu’il ne demande pas d’apprentissage, et il est commun à l’ensemble d’une espèce. Aucune araignée, aucune abeille ne découvre par elle-même, ni en elle-même, des ressources et des aptitudes qui sommeillent. Pour l‘activité à laquelle elle est dédiée, aucune n’est meilleure qu’une autre alors qu’il existe des bons et des mauvais menuisiers. Á ce titre on ne peut pas parler d’un « travail » de l’animal non dressé par l’homme. Marx introduit par là même, le point de discrimination décisif entre le travail humain et l’activité animale. Il aurait pu, tout aussi bien, parler du « travail » ou plus exactement du pseudo-travail qu’effectue le vent quand il érode une montagne, ou de l’activité de la graine qui germe et met en jeu des mécanismes complexes pour permettre à ses parties aériennes d’accéder à la photosynthèse. Le point crucial est que ni le minéral, ni le végétal, ni l’animal non humain ne possèdent un projet.


Posséder un projet, c’est être capable d’imaginer, avant même d’avoir mis la main sur la matière à travailler, la forme qu’aura la matière après sa transformation. L’imagination est très certainement une faculté proprement humaine et son produit est tout à fait le contraire d’un résultat instinctif. L’imagination permet de se projeter dans l’avenir, d’élaborer un plan, éventuellement modifiable. C’est pourquoi, dit Marx, lorsque un homme travaille il réalise d’abord « idéalement » le produit de son travail dans sa tête avant de le réaliser effectivement. Il a un but et a conscience de ce but. Que ce but soit finalement atteint de manière satisfaisante n’a, pour ce qui nous concerne ici, que peu d’importance. Nous avons noté plus haut qu’il existe des bons et des mauvais menuisiers. Ce qui importe est que ce but est un objectif libre et conscient de la volonté.  Le mot « conscience » peut d’ailleurs être équivoque. Il est vraisemblable (un apiculteur nous le dirait) qu’une abeille  a « conscience » des changements environnementaux qui peuvent affecter sa tâche, et peut-être est-elle instinctivement amenée à modifier en conséquence son activité. Mais la conscience, dans ce cas, n’est rien d’autre qu’une mise en alerte par les sens. Dans le texte de Marx le mot « conscience » a un sens différent et, sans entrer dans des développements qui ne seraient pas de mise ici, on pourrait dire en simplifiant qu’il s’agit de la connaissance réfléchie qu’à l’homme de sa situation dans la nature. Imagination et conscience forgent ainsi chez l’homme au travail « une loi » à laquelle il va se conformer. Marx dit plus précisément que son mode d’action va être déterminé comme une loi. Or, qu’est-ce qu’une loi ? C’est un impératif auquel on ne peut déroger ou, ce qui revient au même auquel on ne peut se dérober. Mais ce qui différencie cette loi d’une loi au sens juridique du terme, c’est qu’elle n’a aucun caractère universel (ou partiellement universel pour un sous-ensemble de personnes). Elle est le produit d’une volonté individuelle qui ne sera partagée que par hasard ou par nécessité conjoncturelle, par d’autres volontés. Mais ce que cette loi a de commun avec d’autres, c’est qu’elle est contraignante. Cette notion n’apparaît que dans la toute dernière ligne du texte : « [un mode d'action] auquel il doit subordonner sa volonté ». Le mot « subordonner » est un mot fort qui introduit un paradoxe apparent : la volonté de l’homme au travail est libre, en ce sens qu’il a toute faculté de ne pas en faire cas, mais elle est également aux ordres de la conscience. La volonté « libre » ne choisit pas le chemin facile. Le chemin lui est dicté par sa condition de volonté humaine et le paradoxe n’est effectivement qu’apparent car il n’est nullement prouvé que les prescriptions de notre volonté ne puissent conduire qu’à des voies « agréables », tout comme il n’est nullement prouvé que la conservation de son être n’implique que des plaisirs.

Marx a donc éclairci ce qui est le propre du travail humain : il n’a rien d’instinctif ni de spontané. Il suppose d’avoir conscience de sa place, en tant qu’homme, dans le monde et des tâches qui  en résultent. Il suppose un but et subordonne la volonté à ce but. Á ce titre le travail est contraignant, alors que cette contrainte est vraisemblablement étrangère à tout animal en activité. La volonté clairement identifiable de Marx a été de produire un texte qui ne fait référence à aucun contexte économique. Car le travail salarié, par exemple, est contraint par d’autres volontés et d’autres puissances. Mais le grand intérêt du texte qui vient d’être commenté est qu’il pose comme universelles des caractéristiques du travail humain auxquelles on ne peut déroger sans tensions individuelles et sociales.




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