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mercredi 8 mars 2017

POURQUOI Y-A-IL QUELQUE CHOSE PLUS TÔT QUE RIEN ?

La question "Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" m'a hanté de puis que j'ai été, peu ou prou, capable de penser par moi-même. Dans ma jeunesse je la formulais plutôt en disant : "Pourquoi y-a-t-il quelque chose quelque part ? ", qui est "en gros" la même question, mais sous une forme imparfaite puisqu'elle semble poser comme acquis la nécessité de l'espace alors que le "quelque part" est tout aussi problématique que la matière, le rayonnement et le temps.
Source de l'illustration ici


Il faut bien comprendre le sens de la question. Il ne s'agit pas de comprendre comment s'est formé l'univers. Sur cette question les physiciens, les cosmologues ont des réponses ou des pistes pour répondre, même si ces pistes sont parfois différentes. Le mode de formation de l'univers est une question scientifique, certes très complexe, mais on peut espérer que dans un avenir plus ou moins proche l'expérience, l'observation et la mesure, puissamment aidées par les mathématiques apporteront des réponses.

Par contre la question "Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? " n'est absolument pas du même ordre. C'est une question métaphysique, c'est-à-dire plus profonde que celles que pose la physique, ne serait-ce que parce qu'elle débouche inévitablement sur une interrogation sur l'origine de l'univers : univers créé ex nihilo ou univers auto-existant. L'hypothèse de l'univers créé a le mérite d'éluder la question du néant mais elle pose plus de questions qu'elle n'en résout (par qui ou par quoi l'univers a-t-il été créé et pourquoi ?) sauf à admettre une hypothèse théologique et téléologique. A contrario l'hypothèse d'un univers auto-existant ne répond d'aucune façon à la question. Admettons que l'univers soit auto-existant, c'est-à-dire qu'il n'ait besoin d'aucune cause pour être : pourquoi existe-t-il plutôt que de ne pas exister, qu'il existe par lui-même ou non ?

La première antinomie de la "Critique de la raison pure" de Kant concernait déjà ce sujet : la question de savoir si l'univers (le monde disait Kant) a ou n'a pas un commencement dans le temps (et une limite dans l'espace) est une antinomie (la première des quatre qu'il cite) c'est-à dire  une question pour laquelle on peut trouver des arguments recevables pour ou contre les deux termes de l'alternative. Kant avait eu l'extraordinaire pressentiment de la non-scientificité de la question posée. Notons d'ailleurs (ce n'est pas hors sujet) que pour Kant la question de l'existence de Dieu (4ième antinomie) se présente de la même manière. de telles questions sont des antinomies de la raison pure, c'est-à-dire de la raison qui raisonne sans le support de données sensibles.

La difficulté du débat sur le sujet est que, volontairement ou non, les deux domaines que je viens d'évoquer (la physique et la métaphysique) ont tendance à s'entremêler d'une manière incohérente. La théorie la plus courante au sujet de la formation de l'univers est celle du Big Bang, c'est-à-dire d'une singularité de l'espace-temps qui a été le "point zéro" de l'expansion de l'univers. Or, je vous mets au défi de recevoir une réponse admissible de la part d'un physicien, si vous lui demandez ce qu'il y avait avant le Big Bang. La réponse la plus courante sera "la question n'a pas de sens" qui a également été la réponse de Augustin quand on lui a demandé ce que faisait Dieu avant de créer le monde ! On vous expliquera que la question n'a pas de sens par le fait même que c'est à partir du Big Bang qu'ont été créés l'espace et le temps et que les lois physiques actuelles, basées sur l'espace et le temps (Newton) ou plus récemment sur l'espace-temps et la mécanique quantique, ne s'appliquent pas en-deçà du Big Bang. Soit. Il faut donc attendre une révolution de la physique, quelque chose qui se substituera ou remplacera la physique actuelle ? Supposons-le : cette nouvelle physique rénovera donc, peut-être de fond en comble, les principes actuels. Mais elle restera de la physique. Elle traitera de façon nouvelle l'espace, le temps, les causes, la matière ... et nous n'aurons pas avancé d'un pouce. Pourquoi ? Parce que quelle que soit l'hypothèse que l'on faite sur l'origine on se posera à un moment donné la question "qu'est-ce que le néant" et que le néant n'est ni représentable, ni expérimentable.

Pourtant la question "Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? " n'est pas une fantaisie frivole de philosophe et mériterait sinon une réponse (car peut-être n'y en a-t-il pas) mais au moins une réflexion très approfondie. Même si n'y avait aucune matière ni corpuscules dans l'univers, la question se poserait. Car dans ce cas, ce qu'on imaginerait (si tant est que dans cette hypothèse il y ait un être pensant qui se pose la question) serait un vide absolu. Or le vide ce n'est pas "rien" puisqu'il existe. Le vide n'est pas le néant ! Le vide est "ce qui reste quand on a tout enlevé" disait Bachelard. Mais le néant, est l'absence de tout, y compris du vide, un concept qui donne le vertige.

Deux points pour conclure :

Le premier est qu'à la question "Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" on ne sait rien répondre, sauf si l'on est croyant, Mais si on croit à l'existence de Dieu, et en supposant que cette croyance soit universellement admise (ce qu'elle n'est pas) on trouvera toujours quelqu'un pour demander "Pourquoi y-a-t-il Dieu plutôt que rien ?".

Le second est qu'il est éminemment paradoxal qu'une question des plus communes, une question que tout le monde s'est posée un jour ou l'autre, n'ait pas de réponse et, peut-être n'en aura jamais car elle échappe à toute investigation scientifique. C'est non seulement une antinomie de la raison, mais aussi une aporie, c'est-à-dire une impasse. Belle leçon de modestie pour les scientifiques et les philosophes !

On peut écouter une émission se France-cuture sur le sujet ici.

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