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mercredi 20 septembre 2017

NOTE DE LECTURE N° 42 : " LES FAUX-MONNAYEURS" - ANDRÉ GIDE

« Les Faux-Monnayeurs » publié en 1925 par André Gide, est une œuvre souvent considérée (y compris par André Gide lui-même) comme étant la plus aboutie de l’auteur. En 1927 il a d’ailleurs publié « Le Journal des Faux-Monnayeurs » qui raconte la genèse du roman, ce qui prouve bien l’importance qu’il lui accordait. Je ne parlerai pas de ce complément car je n’ai pas eu le courage de le lire, ayant peu apprécié le roman lui-même.



Les critiques, qui sont évidemment beaucoup plus attachés que moi à l’Histoire de la Littérature, ont discerné dans « Les Faux-Monnayeurs l’éclosion du « Nouveau Roman », mouvement qui a connu ses heures de gloire avec, en particulier, Alain Robbe –Grillet, Nathalie Sarraute et Claude Simon.
Il est certain qu’il y a beaucoup de nouveautés dans le roman de Gide, si on le compare aux grands romans du XIX° siècle :

Un foisonnement de personnages entre lesquels il est difficile d’effectuer une hiérarchie, ce qui signifie (à l’exception peut-être de l’écrivain Édouard) qu’il n’y a pas véritablement de personnage principal.
L’absence d’un fil conducteur qui aboutit in fine à l’absence d’une véritable intrigue.
Des procédé nouveaux : l’auteur interpelle parfois le lecteur, il met en scène un personnage qui tente d’écrire un roman intitulé « Les Faux-Monnayeurs », etc. 

Aucun des points qui viennent d’être cités n’est répréhensible en soi et il est tout à fait naturel que les genres littéraires évoluent.

Mais en principe (il y a des exceptions) un auteur écrit pour être lu et pour que ce qu’il écrit crée une sorte « d’attraction » entre le livre, l’auteur et le lecteur.

En d’autres termes, la « nouveauté » n’a de valeur à mes yeux que si elle renouvelle cette attraction entre trois termes, et je pense que c’est effectivement ce qui s’est passé avec Robbe-Grillet et Claude Simon.
Par contre, « Les Faux-Monnayeurs » de Gide m’a profondément ennuyé et les « nouveautés » dont j’ai fait état plus haut n’ont pas atténué cet ennui.

Je n’ai pas ressenti la multiplicité des personnages comme un enrichissement mais comme une complication extrême. Il suffit, pour s’en rendre compte d’examiner l’écheveau des personnages et de leurs relations tel qu’il figure sur le diagramme qui suit (référence)



Cette complexité n’est pas rédhibitoire. De nombreux « grands » romans présentent le même foisonnement (je pense en particulier à certains romans russes du XIXème siècle). Mais le problème, dans les « Faux-Monnayeurs » est qu’aucun personnage n’est véritablement « décrit » ; leur psychologie n’est qu’esquissée au fil se scènes qui, le plus souvent, sont ambigües car tous les personnages mentent (ou se mentent). C’est particulièrement patent pour les personnages féminins qui, en vertu sans doute des préjugés de l’époque et de l’homosexualité latente dans tout le roman, semblent généralement subir leur sort sans états d’âme (à l’exception de Paulette qui est le seul personnage féminin digne d’intérêt mais qui n’a droit qu’à quelques pages).

Les personnages adolescents sont particulièrement désuets. Il me semble que c’est principalement dû au milieu social au sein duquel se déroule l’intrigue : bourgeois ou notables, magistrats, professeurs, écrivains, avocats, etc. Bons élèves, sans problèmes matériels, dotés d’une morale généralement catholique, ils « s’inventent » en quelque sorte des problèmes métaphysiques qui sont ceux de tous les jeunes gens aisés et désœuvrés de leur âge, mais qui constituent un socle faible pour un roman dans lequel l’introspection constante (et, osons le mot, « pesante ») est omniprésente. Car cette introspection « sonne faux ». Elle est toujours prévisible et inconsistante. Soit elle succède à des actes qui ne nécessitent pas de longues explications ; soit elle les précède, mais toujours d’une manière indirecte ou inaccomplie.
Le « suicide » de Boris à la fin du roman (qui est en fait un meurtre impuni), est pourtant une scène réellement tragique, mais dont les motivations sont obscures. Il est singulier que ce personnage qui donne « du corps » à l’intrigue ne soit qu’un personnage secondaire.

Le seul personnage adulte digne d’intérêt est celui d’Édouard, dans lequel il n’est pas difficile de comprendre que Gide se met parfois en scène. Mais pourquoi ne met-il jamais en avant son attrait physique pour les jeunes gens, au lieu de le travestir en tristesse ou compassion ? Il justifie à lui-seul le titre du roman, car les faux-monnayeurs ne font évidemment pas référence à l’écoulement de fausse monnaie (qui n’est qu’un épisode bref et anecdotique) mais au « jeu » qui consiste à travestir ses propres sentiments.

Enfin, j’ai trouvé particulièrement pénibles les interminables dissertations sur ce que doit être l’œuvre artistique et plus particulièrement la littérature. Ces développements me semblent totalement obsolètes, et je doute fort qu’elles puissent intéresser aujourd’hui un spécialiste ou même un lecteur anonyme.

En résumé : je comprends fort bien que « Les Faux-Monnayeurs » aient pu avoir, au début du XXème siècle un énorme succès, en raison des « nouveautés » signalées plus haut. Il marquait vraisemblablement une véritable rupture avec ce qu’a été le roman du siècle précédent. Mais je suis convaincu que si ce roman était publié aujourd’hui, il serait étrillé par la critique qui « en a vu d’autres », y compris en matière d’innovation.






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