Malgré son titre, le livre de Sylvain Tesson n'est pas (ou, plus précisément, n'est pas exclusivement) un livre d'Histoire sur la Retraite de Russie. C'est l'aventure (vraie) de quatre amis, deux français et deux russes, qui décident de refaire en side-car, de Moscou à Paris, le chemin effroyable de la Grande Armée lors de sa retraite.
Son livre qui a reçu plusieurs Prix entremêle le récit historique (essentiellement basé sur les Mémoires du général Caulaincourt et du sergent Bourgogne, ainsi que de "La Guerre et la Paix" de Tolstoï) est le récit du périple des quatre motocyclistes. Périple difficile, voire dangereux, car effectué pendant l'hiver, sur des routes qui, aujourd'hui, sont sillonnées par les camions de tous les pays de l'ex-URSS. Il s'agit donc aussi d'un récit de voyage, émaillé de rencontres, d'émotions, de peurs. Mais, comme l'écrit Sylvain Tesson, il a toujours gardé à l'esprit que les désagréments subis n'étaient que de la pacotille quand on les compare à ce qu'a été la retraite de la Grande Armée.
450 000 soldats français sont entrés en Russie, franchissant le Niémen le 24 juin 1812 ; 100 00 ont quitté Moscou en flammes le 19 octobre 1812 ; environ 30 000 sont arrivés en France ou chez des alliés.
La découverte récente d'un cimetière où sont enterrés des soldats de l'armée napoléonienne a montré que "seuls" 30% d'entre eux sont morts des suites de blessures lors de batailles. 70% sont morts de froid, de faim ou de maladies engendrées par la vermine.
Il s'agit donc d'une horrible hécatombe, en partie due à la mollesse de commandement de certains généraux ou maréchaux (Murat en particulier qui ne rêvait que de retrouver son royaume de Naples). Par contre, à titre d'exemple, Caulaincourt avait recommandé de forger des fers cloutés pour les chevaux en prévision de la neige ou de la glace. Il ne fut pas écouté et l'expérience a montré plus tard qu'un cheval tombé était incapable de se relever.
Autre contre-exemple, le maréchal Ney, exemplaire, toujours en tête de ses troupes (il constituait l'arrière-garde de l'Empereur) et que l'on a vu se battre au corps-à corps avec son sabre.
Mais faute d'une rigueur suffisante de la majorité du commandement, l'armée française a quitté Moscou mal chaussée, mal habillée, les soldats encombrés du maigre butin inutile qu'ils avaient pu amasser à Moscou et l'intendance non préparée à suivre les troupes. Or le thermomètre est parfois descendu à -30°et l'essentiel de la nourriture était constituée par les chevaux, parfois écorchés vivants, et par des épisodes avérées de cannibalisme. Des scènes apocalyptiques dont nos quatre motocyclistes n'ont vu que les traces mais qu'ils évoquent avec émotion et respect.
Car en fait, quelle a été la motivation de ces quatre hommes lors de cette aventure ? Sylvain Tesson a pour Napoléon des mots parfois durs, mais souvent raisonnablement admiratifs, en particulier sur le fait que, fidèle à ses convictions révolutionnaires, il a toujours privilégié et récompensé le mérite et non pas les titres ou la richesse : " Vous étiez commis charcutier ? Vous pouviez finir maréchal ! Il n'était plus nécessaire d'être bien né, il suffisait d'être ardent !". Mais combien de commis-charcutiers ont été sacrifiés sur des champs de bataille où n'importait que peu le nombre de victimes ?
Et Sylvain tesson ajoute :"Napoléon cessa-t-il une fois, dans son existence de considérer les pertes humaines du seul point de vue de la statistique ? Daigna-t-il une fois abandonner la lorgnette du stratège pour concevoir que "les morts sur le terrain" ne se réduisent pas à un expression ? Sut-il que derrière ces mots, se tramaient des événements particuliers? "
Ce n'est pas véritablement l'Empereur que les quatre aventuriers veulent suivre. C'est plutôt la foule de ces anonymes qui ont tant souffert, qui ont parfois fait preuve de médiocrité, mais souvent de courage et de solidarité.
Les longues étapes en moto, lorsque l'attention n'est pas exclusivement fixée sur la sécurité, sont propices à des méditations diverses. Sylvain Tesson nous fait partager, par exemple, sa compassion pour les chevaux, dont 200 000 sont morts pendant la campagne de Russie, parfois dans des conditions affreuses :
Il s'agit donc d'une horrible hécatombe, en partie due à la mollesse de commandement de certains généraux ou maréchaux (Murat en particulier qui ne rêvait que de retrouver son royaume de Naples). Par contre, à titre d'exemple, Caulaincourt avait recommandé de forger des fers cloutés pour les chevaux en prévision de la neige ou de la glace. Il ne fut pas écouté et l'expérience a montré plus tard qu'un cheval tombé était incapable de se relever.
Le général Caulaincourt |
Autre contre-exemple, le maréchal Ney, exemplaire, toujours en tête de ses troupes (il constituait l'arrière-garde de l'Empereur) et que l'on a vu se battre au corps-à corps avec son sabre.
Maréchal Ney |
Mais faute d'une rigueur suffisante de la majorité du commandement, l'armée française a quitté Moscou mal chaussée, mal habillée, les soldats encombrés du maigre butin inutile qu'ils avaient pu amasser à Moscou et l'intendance non préparée à suivre les troupes. Or le thermomètre est parfois descendu à -30°et l'essentiel de la nourriture était constituée par les chevaux, parfois écorchés vivants, et par des épisodes avérées de cannibalisme. Des scènes apocalyptiques dont nos quatre motocyclistes n'ont vu que les traces mais qu'ils évoquent avec émotion et respect.
Car en fait, quelle a été la motivation de ces quatre hommes lors de cette aventure ? Sylvain Tesson a pour Napoléon des mots parfois durs, mais souvent raisonnablement admiratifs, en particulier sur le fait que, fidèle à ses convictions révolutionnaires, il a toujours privilégié et récompensé le mérite et non pas les titres ou la richesse : " Vous étiez commis charcutier ? Vous pouviez finir maréchal ! Il n'était plus nécessaire d'être bien né, il suffisait d'être ardent !". Mais combien de commis-charcutiers ont été sacrifiés sur des champs de bataille où n'importait que peu le nombre de victimes ?
Et Sylvain tesson ajoute :"Napoléon cessa-t-il une fois, dans son existence de considérer les pertes humaines du seul point de vue de la statistique ? Daigna-t-il une fois abandonner la lorgnette du stratège pour concevoir que "les morts sur le terrain" ne se réduisent pas à un expression ? Sut-il que derrière ces mots, se tramaient des événements particuliers? "
Ce n'est pas véritablement l'Empereur que les quatre aventuriers veulent suivre. C'est plutôt la foule de ces anonymes qui ont tant souffert, qui ont parfois fait preuve de médiocrité, mais souvent de courage et de solidarité.
Les longues étapes en moto, lorsque l'attention n'est pas exclusivement fixée sur la sécurité, sont propices à des méditations diverses. Sylvain Tesson nous fait partager, par exemple, sa compassion pour les chevaux, dont 200 000 sont morts pendant la campagne de Russie, parfois dans des conditions affreuses :
La Grande Armée, dans sa retraite, était talonnée par l'armée régulière de Koutouzov, par des partisans civils et par les Cosaques qui menaient ce que nous appelons aujourd'hui une "guérilla".
C'est l'occasion de dire un mot de Koutouzov, général en chef de l'armée russe (né en1745, mort en1813). Lors de la campagne de Russie il avait donc 67 ans mais il se révéla, malgré de nombreuses critiques (y compris de la part du Tzar Alexandre), un stratège génial. Il comprit vite que l'armée française était en train de se dissoudre toute seule en raison des conditions de sa retraite et qu'il était inutile de sacrifier des hommes dans un combat frontal à l'issue douteuse. Il se contenta donc de quelques escarmouches, à l'exception de deux batailles aux alentours de Smolensk (que l'on peut considérer comme des victoires russes) et, bien entendu, des combats qui ont marqué le franchissement de la rivière Berezina au cours duquel la Grande Armée fut tout près d'être anéantie et Napoléon capturé.
Koutouzov |
"Berezina" est le titre du livre. On peut y voir le rappel du plus terrible épisode de la retraite ; on peut aussi considérer que par ce titre l'auteur a voulu souligner que toute la campagne de Russie, y compris la retraite, fut une catastrophe totale. C'est bien ainsi que l'on emploie l'expression "c'est la Berezina" dans le langage courant. Mais on aurait pu lui donner un autre sens : "une issue inespérée".
Rappelons les faits : le 25 novembre Napoléon est à Borissov où il veut tenter de franchir la Berezina. Mais il est cerné de toute part, talonné par Koutouzov, acculé au fleuve que le redoux empêche de traverser sur la glace et le pont de Borissov est détruit. Pour les Russes, il n'a qu'une chance sur un million de pouvoir sortir de la nasse. Koutouzov en est tellement persuadé qu'il harangue ses soldats en leur disant " La fin de Napoléon est irrévocablement écrite, c'est ici dans les eaux glacées de la Berezina que ce météore sera désarmorcé".
Mais le "météore" ne seras désamorcé ! Le hasard, certes, a joué son rôle, mais la rapidité de réaction de l'Empereur et l'abnégation de ses soldats ont été les facteurs principaux. Deux jours, avant le général Corbineau avait découvert un gué de 1m50 de profondeur à 16 km au nord de Borissov. Le 25 novembre Napoléon, sachant qu'il était en grand péril ordonne d'y construire deux ponts de 100m de large et dirige lui-même les travaux. Simultanément il feint de construire deux ouvrages proches de Borissov où les Russes, bernés, s'empressent de masser des troupes. Lorsqu'ils s'aperçoivent du subterfuge, il est trop tard : 40 000 soldats ont franchi la Berezina et échappé au piège.
Mais d'autres, qui avaient tardé à franchir les ponts furent décimés. En guise de conclusion, voilà comment Sylvain Tesson décrit ce massacre :
En conclusion : un livre passionnant, souvent tragique et toujours humain. Á recommender.
Très bon compte-rendu, Patrick. Bravo !
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