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lundi 21 août 2017

NOTE DE LECTURE N° 40 : "LA PESTE" - ALBERT CAMUS - Ed. GALLIMARD (Folio)

Pourquoi écrire une note de lecture sur un livre que tout le monde a lu ? Un livre, "La peste", qui est non seulement le roman le plus connu d'Albert Camus, mais aussi un des romans les plus célèbres de la littérature française du XXIème siècle ? La question est pertinente ; la réponse est simple. J'ai lu cette œuvre  il y a de très nombreuses années et je viens de la relire tout récemment. Or, la deuxième lecture, complétée par d'autres textes concernant Camus, a été très différente et essentiellement politique et historique. C'est cet aspect que je veux tenter d'expliquer ici, sans écrire à proprement parler une note de lecture complète de l'ouvrage.
Mon édition de référence est l'édition Gallimard (Folio) de 1978.

Le livre a été publié en 1947, mais Camus en a eu l'idée dès 1941. Il le confirme à Malraux en 1942. L'action se situe des les années 40, sans autres précisions.

L'interprétation politique est que la peste qui survient à Oran est en fait l'image de la "peste brune" nazie qui s'est propagée à partir de 1937 et a culminé pendant l'Occupation. 

Cette interprétation peut sembler "osée" mais en fait c'est Camus lui-même qui l'a défendue. En 1955, il répond ainsi à Roland Barthes, qui s'était montré dubitatif :

« La Peste, dont j’ai voulu qu’elle se lise sur plusieurs portées, a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. La preuve en est que cet ennemi qui n’est pas nommé, tout le monde l’a reconnu, et dans tous les pays d’Europe. Ajoutons qu'un long passage de La Peste a été publié sous l'Occupation dans un recueil de Combat et que cette circonstance à elle seule justifierait la transposition que j'ai opérée. La Peste, dans un sens, est plus qu’une chronique de la résistance. Mais assurément, elle n’est pas moins. »


Effectivement la peste est présente en tant qu'épidémie, mais les détails cliniques sont très loin d'être essentiels. La maladie est présente comme un fléau dont les statistiques sont périodiquement données pour montrer sa montée en puissance, puis la rapide décroissance de la mortalité. Mais c'est un fléau qui, comme le nazisme, reste provisoirement invincible pendant quelques années, puis est éradiqué (avec possibilité de rechute).

Ce fléau, commence par une invasion de rats qui en mourant propagent par millions des parasites porteurs de la maladie. Une maladie contre laquelle la population, ou au moins ceux dont les proches ne sont pas encore atteints, se résignent, espèrent, doutent ou résistent.




Les figures typiques de la résistance sont le docteur Rioux, le diplomate Tarrou, le journaliste Rambert, le juge Othon. Chacun résiste à sa manière:

Rioux (dont on apprend dans les dernières pages du livre qu'il est le narrateur du récit) refuse obstinément de se laisser aller au pessimisme. Sa résistance à la peste consiste à faire sans relâche et du mieux qu'il peut tout ce qu'il sait faire pour endiguer le mal, c'est-à-dire son métier de médecin. L'absence d'efficacité des sérums traditionnels, les statistiques désastreuses, l'affectent en tant qu'homme, humaniste et sensible, mais n'altèrent aucunement la conscience qu'il a d'avoir à poursuivre, quoi qu'il en soit, les tâches nécessaires. C'est l'image du résistant efficace et déterminé. Il ne mourra pas de la peste mais apprendra que sa femme "déportée" dans un sanatorium est morte.

Tarrou au contraire, cherche à atteindre un statut de "saint laïque". Il passe progressivement d'une croyance exclusive en la compréhension nécessaire de l'autre, à la solidarité active en aidant Rioux à ses risques et périls. Il sera un des derniers à mourir de la peste et reste la figure du volontaire animé par "un feu sacré".

Rambert et Othon sont en quelque sorte des résistants "tardifs". Le premier passe des mois à mettre en oeuvre un stratagème pour réussir à sortir de "la zone occupée" (Oran est gardée militairement, nul ne peut ni y entrer ni en sortir) afin de rejoindre sa femme qu'il adore, et qui était hors de la ville quand la peste s'est déclarée. Le soir où son évasion est finalement organisée il y renonce pour rester avec les équipes qui aident les malades. Othon quant à lui, autoritaire (il est juge) et indifférent, prend conscience de la résistance nécessaire à la mort de son fils (la mort du fils d'Othon est une des scènes les plus tragiques du livre).

A contrario le "collaborateur" prend la figure de Cottard, petit truand contrebandier pour qui la peste est une bénédiction car ses affaires prospèrent. Il deviendra fou à la fin de l'épidémie, ne pouvant supporter la liesse populaire.

Un des épisodes qui montre avec le plus d'évidence l'analogie avec le nazisme, est le fait que le nombre de cadavres est tel que l'on a recours à des fours crématoires pour les brûler. En fait, comme dans les camps de concentration, la mort est omniprésente, aléatoire, et tend à devenir, hormis pour les très proches, une fatalité. De même, toute tentative de fuite est sanctionnée par une riposte militaire.

Bien entendu, il n'y a pas que cet aspect dans "La peste" et on peut fort bien lire le roman en faisant abstraction de cette optique. Il y a aussi une description approfondie de l'urbanisation et de la vie d'une ville coloniale importante, une étude sociologique du comportement d'une population isolée, des analyses psychologiques profondes et une galerie de personnages dont je n'ai esquissé plus haut que le portrait de ceux qui me paraissent principaux.



Et, surtout, il y a l'écriture inimitable d'Albert Camus, concise, qui en elle même est un trésor et qui justifie à elle seule la lecture ou la relecture de l'ouvrage.


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