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mercredi 30 août 2017

NOTE DE LECTURE N° 41 : "LES SEPT COULEURS DU VENT" - BERARD TIRTIAUX - Ed. FOLIO - 2001

Le roman de Bernard Tirtiaux, "Les sept couleurs du vent" est l'histoire d'un ange. Un ange humain confronté au mal et au malheur, et avant tout à la cruauté du catholicisme au XVIème siècle.





C’est un roman merveilleux et triste. Triste car le sort semble s’acharner sur un homme véritablement bon, un homme qui souffre plus pour les autres que pour lui-même. L’histoire d’un homme, Sylvain, compagnon charpentier, qui deviendra facteur d’orgue, et dont la principale caractéristique est une bonté pleine de douceur.

Mais son siècle est d’une extrême cruauté et rien ne le ménagera. 

Ni la perte de ses deux seuls amours, ni la mort de sa fille, ni la mort d’un frère, le destin tragique d’un autre et la dépravation cynique du dernier.

Pourquoi Dieu permet-il le mal ? C’est une question que ne se pose pas Sylvain, fort éloigné de toute métaphysique religieuse, mais qu’il subit, de péripéties en péripéties, de pays en pays.



Ce qui le sauve, pendant de longues années, c’est la musique et le chant, sa croyance en la douceur que peut apporter les sept vents de l’orgue. Il construira des mécanismes ingénieux pour faire retentir  cette harmonie en des lieux insolite : la mer, la montagne. Et pour finir (ce sera son chant du cygne) au bord d’une falaise pendant une tempête. Un chant désespéré, grâce auquel il tente d’appeler sa femme qui ne viendra pas (ou ne viendra qu’en rêve). Il détruit son œuvre gigantesque, un orgue énorme de la taille d’un navire et s’en va. Nous n’en saurons pas plus.

Il me semble qu’il y a trois caractéristiques à souligner dans ce livre :

La première est l’extrême qualité de l’écriture de Bernard Tirtiaux : une énorme sensibilité à travers un texte où beaucoup de détails sont suggérés et non explicités ; un vocabulaire et des tournures riche qui empruntent beaucoup à un Français ancien sans parodier et sans obscurités.

La deuxième est qu’il s’agit d’un récit animé, empli de péripéties diverses et souvent inattendues. Le genre de livres que l’on lit sans fléchir.

La troisième enfin est qu’au-delà de l’aspect romanesque, et en faisant abstraction des particularités de l’époque et des personnages, c’est une histoire que chacun peut s’approprier comme étant la sienne. Car qui peut s’estimer véritablement heureux et qu'est-ce que le bonheur ? 

Il est sans doute vrai que le bonheur, contrairement au plaisir, ne s'entend que dans le sens d'une intersubjectivité. Pourquoi ? Parce qu'il permet de trouver un accès à l'Autre, accès généralement interdit, qui est un manque donc une souffrance. Nous ne savons rien de l'Autre. Rien n'est plus hermétique que mon semblable, et il est même très mystérieux que je puisse l'aimer dans de telles conditions. Il est encore plus mystérieux, si je suis juif ou chrétien, que je puisse l'aimer "comme moi-même". L'étanchéité est totale, comme celle des univers multiples que certaines théories de la physique moderne postulent. Je ne connais de l'Autre que l'apparence, son corps est pour moi un corps insensible dont je ne connais les plaisirs et les souffrances, que par ce que l'Autre m'en dit dans ses rires et dans ses plaintes. Quand à ses pensées, elles me sont évidemment tout à fait indéchiffrables si ce n'est par ce que le corps en laisse entrevoir dans ses postures. Or la rupture de l'étanchéité peut intervenir par l'appréhension de "petits" bonheurs communs. permettant à ces univers de communiquer entre eux.

L'absence de douleur morale semble être une condition nécessaire (non suffisante) au bonheur humain. Mais on ne peut, généralement, ni la prévenir, ni l'empêcher. On doit "vivre avec" et traîner son boulet de la manière la plus adéquate possible, c'est-à-dire mettre en œuvre une "économie de la douleur", ce qui en fait n'est autre que le fameux "conatus" de Spinoza, la persévérance dans l'être. Ainsi Laurent Bove, philosophe français spécialiste de Spinoza écrit (in Laurent Bove, La stratégie du conatus, Affirmation et résistance chez Spinoza, Vrin, Paris, 1996, p. 121) :

« [...] dans la mélancolie, lorsque c’est la dépression qui est elle-même équilibrée, puisque toutes les parties de notre corps sont pareillement affectées de tristesse, plus rien ne nous permet alors de résister de manière interne. Tout le système de défense est neutralisé et mis au service de la dépression : c’est une véritable dynamique du suicide. Sauf le cas où une cause extérieure viendrait déséquilibrer cette dépression globale au profit d’un affect joyeux à partir duquel le conatus d’une des partie de notre corps pourrait de nouveau résister à l’ensemble des autres en dépression, sauf cette intervention extérieure donc, dans le cas de figure qu’est la mélancolie, l’individu, logiquement et inéluctablement, est voué à la destruction »

Le bonheur n'est certainement pas un état permanent, sauf si l'on dispose de capacités exceptionnelles et très singulières pour gérer la souffrance. On doit donc parler de "moments de bonheur". De tels "moments" sont comme des éclairs dans une nuit profonde. Je pense qu'il faut se contenter de ces éclairs et ne pas avoir le désir, toujours déçu, qu'ils se perpétuent (Schopenhauer en parle très bien). Cette attitude (peu exaltante il est vrai, mais comment vivre autrement ?) peut être appelée "réaliste" si on l'oppose au "romantisme". Le romantisme n'est pas quelque chose de raffiné, de délicat, réservé à des êtres dont la sensibilité est exacerbée. Il existe aussi chez la plus vulgaire des brutes. Le romantisme est le désir spécifiquement humain de perpétuer ad aeternam le bonheur ou le plaisir. Ce désir a pu produire chez certains des chefs-d’œuvre artistique qui semblent suspendre le temps. Mais le temps a toujours raison. Et plus dure aura été l'exaltation, plus dure sera la chute, plus profonde la désillusion et le désespoir. "Est-ce ainsi que les hommes vivent ? " a écrit Aragon. Oui c'est ainsi. Et comme il l'écrit plus loin : "Et leurs baisers au loin les suivent".

C’est ce que suggère le livre de Bernard Tirtiaux, dont je recommande très vivement la lecture.



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