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dimanche 3 juin 2018

À PROPOS DU CAPITALISME

J’ai eu récemment des discussions amicales avec une amie espagnole, cultivée et intelligente, au sujet du capitalisme et de ceux qui en profitent.



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Mes arguments étaient les suivants :

D’une part je ne partage pas l’idée que tous les représentants politiques ou syndicaux sont corrompus et  insensibles aux intérêts réels de la population. Il y a eu dans l’Histoire de France une multitude de personnes qui n’ont été ni corrompues, ni sensibles au luxe et aux honneurs. Et des milliers d’élus de diverses époques, de divers partis et de divers lieux géographiques ont payé de leur vie leur intégrité.
D’autre part je ne pense pas que les gouvernements (actuels) des pays appelés « démocratiques » jouent un rôle quelconque dans la marche du monde. Je les considère tous comme des valets au service de puissances qui les dépassent. Des marionnettes en quelque sorte, à qui on délègue la possibilité d’édicter des mesures dites « de société » (ce qui ne veut pas dire sociales, ni qu’elles sont sans importance) qui ne gênent guère les puissants mais occupent les médias.
Par ailleurs, ceux qui prennent des décisions capitales (et je répète que je parle ici des régimes dits « démocratiques », car pour les régimes despotiques les choses sont suffisamment claires pour qu’il ne soit pas nécessaire de s’appesantir) sont ceux qu’on appelle les puissants, et qui ne sont autres que les riches. Soyons clairs : je ne parle pas ici, de ceux qui ont pu, grâce à leurs talents de chercheurs, de professeurs etc., acquérir, soit une fortune, soit des revenus leur permettant de vivre agréablement sans trop de soucis pour la santé financière de leur famille .
En outre, en Espagne (et sans doute dans d’autres pays) il existe une admiration frénétique pour les riches et les puissants. On les pare de diverses vertus telles que « la culture », « une excellente éducation », « des qualités stratégiques » hors du commun ; bref ils sont considérés comme des surhommes au sens le plus trivial du terme (et non pas dans le sens qu’employait Nietzsche). Cette adulation excuse tous les excès et pardonne tous les écarts (alors qu’on ne pardonne pas à une mère de famille d’avoir volé un litre de lait pour nourrir son bébé).
Enfin, ce système porte un nom : c’est « le capitalisme » (et non pas comme on le dit pour édulcorer les choses « le libéralisme » ou « l’économie de marché »).

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L’amie avec laquelle j’ai eu cette discussion m’a essentiellement répondu avec les arguments suivants :

Le premier est que je généralise à l’extrême et qu’il existe des « puissants » altruistes qui consacrent une partie de leur fortune à des œuvres caritatives. Je réfute totalement cet argument car il est impossible de donner un seul exemple significatif. Il existe certes des « maîtres du monde » qui agissent ainsi, mais ils le font lorsqu’ils sont milliardaires et ce qu’ils distribuent ne sont que des miettes. Il est facile d’être généreux, au gré de sa fantaisie, quand la générosité ne coûte pratiquement rien. Une remarque sur ce qui vient d'être dit : quand je parle de maîtres du monde" j'emploie le mot "maître" dans les deus sens usuels du terme : d'une part "maître"en tant que celui qui dispose du droit sur ses serfs, esclaves ou employés; d'autre part "maître" dans le sens de "celui qui enseigne". Mais que diantre peuvent nous enseigner les maîtres du monde ? Ils tentent de nous enseigner à penser, et à agir, conformément à leurs intérêts. Je ne tenterai pas ici d'énumérer la totalité des moyens employés, des plus sordides (l'argent et les moyens qu'il procure) aux plus subtils (la publicité et les médias ; si tant est qu'on puisse parler de "subtilité" en ce domaine!).
Le second argument est que je noircis artificiellement le tableau. Je ne noircis rien. En 2018 les trois personnes les plus riches du monde possédaient un patrimoine compris entre 112 et 84 milliards. Pire : le nombre de milliardaires en 2018 était de 2043 personnes. Il était de 1011 en 2010 et de 470 en 2000 (source : magazine économique américain Forbes). Le journal Le Monde critique d’ailleurs ce classement en indiquant, dan son édition du 7 mars 2018 que  « le classement en 2018 […] passe à côté de fortunes gigantesques dissimulées par leurs propriétaires dans des juridictions discrètes et des structures opaques, comme les sociétés écran, les fondations ou les trusts ». Pour se rendre compte de l’énormité de ces chiffres il faut savoir que le PIB de la planète en 2016 était d’environ 78 milliers de milliards de dollars et que la même année les avoirs des 1810 milliardaires étagent de l’ordre de 7 milliers de milliards de dollars. Par ailleurs on peut se demander d’où provient cet argent et où il va. La réponse à la première question est facile : il s’agit de revenus qui proviennent soit du travail des employés, soit des investissements boursiers ou autres. Autant dire que le « maîtres du monde » ne travaillent pas mais font travailler leurs subordonnés ou leur argent. La seconde question est : « Où va cet argent ? ». Bien entendu il va dans la poche des « puissants » mais il est également redistribué aux actionnaires. Sur ce thème, nous nous contenterons de citer la revue « L’express » : « Les rémunérations versés dans le monde aux actionnaires ont bondi de 14,5% au troisième trimestre par rapport à 2016, sur la même période. Une belle année pour les actionnaires. Les dividendes versés dans le monde se sont envolés de 14,5% au troisième trimestre 2017 […]Les dividendes mondiaux versés de juin à septembre ont atteint 328,1 milliards de dollars, représentant un record en termes de paiements pour un troisième trimestre et un bond de 14,5% par rapport à la même période de 2016, précise l'étude publiée lundi. Cette augmentation constitue "la hausse la plus rapide enregistrée par les dividendes totaux en trois ans", ajoute la société de gestion. Un nouveau record sera sans nul doute établi sur l'ensemble de l'année 2017 ».
Le troisième argument  consiste à mettre sur le même plan les politiques dites « socialistes » qui ont suivi la transition espagnole (Gonzales, puis Zapatero) avec la corruption actuelle qui a sévi en Espagne pendant l'ex-gouvernement de Rajoy. En tant que Français je ne souhaite pas commenter ce point, sur lequel je manque d’informations fiables. La seule chose que je peux en dire est que les erreurs du passé ne peuvent d’aucune manière expliquer ou excuser les erreurs du présent.
Le quatrième argument est typiquement espagnol. Il consiste, dès que l’on parle de « capitalisme », à énumérer les drames qui ont accompagné l’avènement du communisme dans tous les pays du monde. Tout se passe comme s'il n’existait qu’une alternative : soit un capitalisme sans pitié, soit un communisme inhumain. Or, il est exact que dans aucun pays du monde le communisme n’a obtenu de succès durables (on peut peut-être mettre entre parenthèses la Chine et le Vietnam dans la mesure où on peut douter qu’il soit légitime de les qualifier de « socialistes »). En Espagne on appelle « communiste » n’importe quelle personne ou parti prônant des idées sociales qui s’écartent des concepts du bipartisme PSOE-PP. En outre, ce que la plupart des gens ignorent, c’est que dans aucun pays du monde, y compris en URSS, il n’a existé un régime communiste. Ce qui a existé, en particulier après la révolution d’octobre, ce sont des régimes socialistes car le communisme a toujours été considéré comme une étape ultime et hypothétique, succédant au socialisme et qui se caractérise par la disparition de l’État. Il se passe en Espagne, au sujet du communisme, ce qui se passe dans beaucoup de pays au sujet du fascisme. Le mot « fascisme » est employé à tort et à travers, pour qualifier n’importe quelle personne prônant des idées de droite. Or le mot « fascisme » a une signification historique bien précise ; il est né en Italie et son symbole n’est nullement un faisceau de flèches (on doit ce symbole à Primo de Rivera).
Le cinquième argument est plus philosophique, et peut se discuter de manière spéculative ou religieuse. Il consiste à dire que les « puissants » ne sont que des hommes comme les autres puisque chaque être humain a le désir de posséder plus qu’il ne possède et d’avoir plus de pouvoir qu’il n’en a, et ce, au détriment de ses semblables. En quelque sorte, on veut dire par là que les potentats sont simplement des gens qui ont réussi mieux que les autres, ou qui ont fait impunément plus de mal que les autres à leurs semblables. Prenons le cas d'un agriculteur (je parle d'un agriculteur pauvre ou moyen et non pas des industries agricoles!). Dans la plupart des cas il essaiera d'obtenir des subventions, des réductions sur le coût de l'irrigation, etc. L'argument consiste à dire que l'échelle des profits importe peu et que ce qui compte ce sont les valeurs qui sous-tendent ces comportements. Mais comment oublier la gigantesque échelle des profits : l'agriculteur glanera quelques centaines d'euros qui  l'aideront, par exemple, à donner une éducation à ses enfants. Le milliardaire gagnera, par exemple, quelques centaines de millions qui lui serviront à acheter une nouvelle maison dans le sud de la France. Je peux, à la rigueur, admettre une pseudo-similitude philosophique des motivations, mais les échelles de grandeur changent radicalement la nature du problème. Dans le premier cas, il s'agit de survivre. Dans le second cas de satisfaire non des besoins, mais des désirs.
La théorie selon laquelle « l’Homme est un loup pour l’Homme » est universellement connue, mais totalement hors contexte (donc fausse) car Hobbes a ajouté : « Et certainement il est également vrai qu’un homme est un dieu à un autre homme », ce qui signifie en clair que chaque homme doit avoir, pour tous les autres hommes le respect et l’amour que Dieu, pour les croyants, a pour l’Homme. L’argument de la cupidité intrinsèque à l’être humain est également démenti par des milliers d’exemples d’hommes qui se sont sacrifiés pour un idéal. Si on se place d’un point de vue religieux, admettre que l’Homme est intrinsèquement, génétiquement mauvais, revient à nier qu’il ait été créé à ‘image de Dieu. Or, il n'est pas semblable à Dieu, mais doté de cette étincelle divine qui le distingue des autres êtres vivants.


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