Cet article s'inspire d'une émission de France-Culture "La conversation scientifique" de Etienne Klein, intitulée De l’émerveillement des physiciens. Il y converse avec un brillant physicien Kirone Mallick. Cette émission peut être écoutée grâce au lien suivant :
https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/de-lemerveillement-des-physiciens
Les médias parlent beaucoup d'une crise actuelle de l'énergie. Ils n'ont pas tort s'ils font référence à une crise de l'énergie "utilisable à moindre coût", le coût étant entendu à la fois dans le sens monétaire et environnemental. Mais cette notion n'a rien de scientifique. C'est un concept économique ou technologique étroitement lié au contexte et à la nature des activités humaines. Pour les physiciens, les cosmologues, et autres scientifiques, le concept d'énergie a une toute autre signification.
Paradoxalement il est pourtant assez difficile de définir ce qu'est l'énergie. Quand on consulte des publications de vulgarisation on s'aperçoit que l'énergie est généralement définie par extension, c'est-à-dire par une énumération d'exemples de ce que peut recouvrir le terme : chaleur, mouvement, électricité, etc. Une telle définition n'est évidemment pas satisfaisante : elle ne saurait être exhaustive et ne caractérise pas l'énergie en soi, mais ses conséquences. Pour avoir une définition plus rigoureuse, il faut se tourner vers des publications scolaires ou universitaires. Au fil des équations qui régissent les transformations des systèmes on voit apparaître "quelque chose" que l'on a appelé "énergie", quantité qui a la propriété très remarquable d'être constante au fil du temps pour un système isolé (non soumis à l'action d'autres systèmes). En d'autres termes, pour de tels systèmes, l'énergie se conserve, comme l'exprime le premier principe de la thermodynamique. Soyons plus précis. Que signifie "l'énergie se conserve" ? Imaginons un système (une machine par exemple) qui, entre deux instants 1 et 2 se trouve dans deux états différents (certains de ses constituants se sont déplacés, d'autre se sont échauffés, etc.) Si on fait le bilan de toutes les formes d'énergie présentes à l'instant 1 et de celles présentes à l'instant 2, on peut calculer (parfois mesurer) que ces deux bilans sont égaux. C'est ce que Lavoisier a résumé par une phrase restée célèbre (mais il n'introduisait pas le concept "énergie") : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme», phrase elle-même issue de la maxime du philosophe grec Anaxagore : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ».
Il résulte de ce caractère conservatoire que nous ne pouvons ni créer, ni "dépenser" de l'énergie. Tout ce que nous pouvons faire c'est transformer certaines formes d'énergie en d'autres. Si on s'en tient à ce constat, il n'y a stricto sensu aucune crise énergétique au niveau de la planète (puisque la quantité totale d'énergie se conserve au fil du temps).
Mais là ou le bât blesse c'est que toutes les formes d'énergie ne sont pas égalent utilisables par les humains. Prenons un exemple : je remplis le réservoir de ma voiture avec de l'essence à un certain instant. Au bout de quelques centaines de kilomètres, je vais être obligé de le remplir à nouveau. Tous les raisonnements sur la conservation de l'énergie n'empêcheront pas que mon réservoir va être vide et que je vais faire une nouvelle ponction sur des réserves fossiles qui deviennent rares ! Quel est ce mystère ? La loi de conservation de l'énergie n'est pas en cause. Effectivement l'essence de mon réservoir a permis que je me déplace, mais elle a aussi servi à échauffer mon moteur, à échauffer mes pneumatiques au contact de la chaussée, à vaincre la résistance de l'air. L'énergie potentiellement contenue dans mes 40 ou 50 litres d'essence se retrouve bien dans le bilan énergétique. Il n'y a pas eu de "perte", mais production de diverses formes d'énergie que je ne pourrai jamais utilement récupérer.
En résumé, le concept énergétique, que tout le monde semble comprendre intuitivement, est une mesure de la quantité d'énergie et non pas de sa qualité.
Mais peut-on mesurer la qualité de l'énergie ? Il faut s'entendre sur ce que signifie le mot "qualité" et ne pas lui donner un sens anthropomorphique qui signifierait "ce qui nous est utile". Il faut le penser en termes d'ordre et de désordre dans l'organisation de la matière. Sous cette réserve la qualité de l'énergie est mesurée par la variation d'une quantité physique appelée "entropie". La seconde loi de la thermodynamique (dont Einstein avait estimé que c'était la loi la plus importante de la physique classique) nous apprend que l'entropie d'un système isolé (son état de désorganisation) ne peut que croître lors de la transformation des systèmes au cours du temps. Le concept d'entropie est beaucoup moins connu du grand public que celui d'énergie. Sans doute car il est beaucoup moins intuitif et que son exposition rigoureuse demande des développements mathématiques plus élaborés.
Ce qu'apporte l'entropie au principe de conservation c'est la flèche du temps, le fait que le temps s'écoule dans un sens déterminé (du passé vers le futur). Un exemple : le premier principe nous apprend que si on met côte à côte deux morceaux de métal, l'un chaud et l'autre froid, la température des deux corps va s'uniformiser (le premier devenant plus froid, le second plus chaud). Mais ce même principe n'empêche nullement qu'une seconde transformation thermique se produise, ramenant les deux corps à leurs températures initiales. Or cette transformation est impossible, tout comme est impossible le fait qu'une pierre lâchée d'une certaine hauteur remonte spontanément à son altitude initiale après sa chute. Le second principe de la thermodynamique introduit la notion d'irréversibilité.
C'est cette irréversibilité qui est la clé de ce que l'on appelle "le problème énergétique" ; c'est elle qui est responsable du fait que, ayant brûlé un morceau de charbon, nous ne pourrons jamais le reconstruire à partir de la chaleur émise. C'est à ce titre que l'on devrait parler aujourd'hui de crise entropique, et non pas de crise énergétique. Mais que changent les mots à la réalité du problème ? Peu de choses si l'on examine les conséquences !
(à suivre dans un prochain article)
Paradoxalement il est pourtant assez difficile de définir ce qu'est l'énergie. Quand on consulte des publications de vulgarisation on s'aperçoit que l'énergie est généralement définie par extension, c'est-à-dire par une énumération d'exemples de ce que peut recouvrir le terme : chaleur, mouvement, électricité, etc. Une telle définition n'est évidemment pas satisfaisante : elle ne saurait être exhaustive et ne caractérise pas l'énergie en soi, mais ses conséquences. Pour avoir une définition plus rigoureuse, il faut se tourner vers des publications scolaires ou universitaires. Au fil des équations qui régissent les transformations des systèmes on voit apparaître "quelque chose" que l'on a appelé "énergie", quantité qui a la propriété très remarquable d'être constante au fil du temps pour un système isolé (non soumis à l'action d'autres systèmes). En d'autres termes, pour de tels systèmes, l'énergie se conserve, comme l'exprime le premier principe de la thermodynamique. Soyons plus précis. Que signifie "l'énergie se conserve" ? Imaginons un système (une machine par exemple) qui, entre deux instants 1 et 2 se trouve dans deux états différents (certains de ses constituants se sont déplacés, d'autre se sont échauffés, etc.) Si on fait le bilan de toutes les formes d'énergie présentes à l'instant 1 et de celles présentes à l'instant 2, on peut calculer (parfois mesurer) que ces deux bilans sont égaux. C'est ce que Lavoisier a résumé par une phrase restée célèbre (mais il n'introduisait pas le concept "énergie") : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme», phrase elle-même issue de la maxime du philosophe grec Anaxagore : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ».
Il résulte de ce caractère conservatoire que nous ne pouvons ni créer, ni "dépenser" de l'énergie. Tout ce que nous pouvons faire c'est transformer certaines formes d'énergie en d'autres. Si on s'en tient à ce constat, il n'y a stricto sensu aucune crise énergétique au niveau de la planète (puisque la quantité totale d'énergie se conserve au fil du temps).
Mais là ou le bât blesse c'est que toutes les formes d'énergie ne sont pas égalent utilisables par les humains. Prenons un exemple : je remplis le réservoir de ma voiture avec de l'essence à un certain instant. Au bout de quelques centaines de kilomètres, je vais être obligé de le remplir à nouveau. Tous les raisonnements sur la conservation de l'énergie n'empêcheront pas que mon réservoir va être vide et que je vais faire une nouvelle ponction sur des réserves fossiles qui deviennent rares ! Quel est ce mystère ? La loi de conservation de l'énergie n'est pas en cause. Effectivement l'essence de mon réservoir a permis que je me déplace, mais elle a aussi servi à échauffer mon moteur, à échauffer mes pneumatiques au contact de la chaussée, à vaincre la résistance de l'air. L'énergie potentiellement contenue dans mes 40 ou 50 litres d'essence se retrouve bien dans le bilan énergétique. Il n'y a pas eu de "perte", mais production de diverses formes d'énergie que je ne pourrai jamais utilement récupérer.
En résumé, le concept énergétique, que tout le monde semble comprendre intuitivement, est une mesure de la quantité d'énergie et non pas de sa qualité.
Mais peut-on mesurer la qualité de l'énergie ? Il faut s'entendre sur ce que signifie le mot "qualité" et ne pas lui donner un sens anthropomorphique qui signifierait "ce qui nous est utile". Il faut le penser en termes d'ordre et de désordre dans l'organisation de la matière. Sous cette réserve la qualité de l'énergie est mesurée par la variation d'une quantité physique appelée "entropie". La seconde loi de la thermodynamique (dont Einstein avait estimé que c'était la loi la plus importante de la physique classique) nous apprend que l'entropie d'un système isolé (son état de désorganisation) ne peut que croître lors de la transformation des systèmes au cours du temps. Le concept d'entropie est beaucoup moins connu du grand public que celui d'énergie. Sans doute car il est beaucoup moins intuitif et que son exposition rigoureuse demande des développements mathématiques plus élaborés.
Ce qu'apporte l'entropie au principe de conservation c'est la flèche du temps, le fait que le temps s'écoule dans un sens déterminé (du passé vers le futur). Un exemple : le premier principe nous apprend que si on met côte à côte deux morceaux de métal, l'un chaud et l'autre froid, la température des deux corps va s'uniformiser (le premier devenant plus froid, le second plus chaud). Mais ce même principe n'empêche nullement qu'une seconde transformation thermique se produise, ramenant les deux corps à leurs températures initiales. Or cette transformation est impossible, tout comme est impossible le fait qu'une pierre lâchée d'une certaine hauteur remonte spontanément à son altitude initiale après sa chute. Le second principe de la thermodynamique introduit la notion d'irréversibilité.
C'est cette irréversibilité qui est la clé de ce que l'on appelle "le problème énergétique" ; c'est elle qui est responsable du fait que, ayant brûlé un morceau de charbon, nous ne pourrons jamais le reconstruire à partir de la chaleur émise. C'est à ce titre que l'on devrait parler aujourd'hui de crise entropique, et non pas de crise énergétique. Mais que changent les mots à la réalité du problème ? Peu de choses si l'on examine les conséquences !
(à suivre dans un prochain article)