Pages

mardi 22 octobre 2019

IL N'Y A PAS DE CRISE ÉNERGÉTIQUE MAIS UNE CRISE ENTROPIQUE.

Cet article s'inspire d'une émission de France-Culture  "La conversation scientifique" de Etienne Klein, intitulée De l’émerveillement des physiciens. Il y converse avec un brillant physicien Kirone Mallick. Cette émission peut être écoutée grâce au lien suivant :
https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/de-lemerveillement-des-physiciens

Source de l'image : https://www.connaissancedesenergies.org/quest-ce-que-lentropie-150928

Les médias parlent beaucoup d'une crise actuelle de l'énergie. Ils n'ont pas tort s'ils font référence à une crise de l'énergie "utilisable à moindre coût", le coût étant entendu à la fois dans le sens monétaire et environnemental. Mais cette notion n'a rien de scientifique. C'est un concept économique ou technologique étroitement lié au contexte et à la nature des activités humaines. Pour les physiciens, les cosmologues, et autres scientifiques, le concept d'énergie a une toute autre signification.

Paradoxalement il est pourtant assez difficile de définir ce qu'est l'énergie. Quand on consulte des publications de vulgarisation on s'aperçoit que l'énergie est généralement définie par extension, c'est-à-dire par une énumération d'exemples de ce que peut recouvrir le terme : chaleur, mouvement, électricité, etc. Une telle définition n'est évidemment pas satisfaisante : elle ne saurait être exhaustive et ne caractérise pas l'énergie en soi, mais ses conséquences. Pour avoir une définition plus rigoureuse, il faut se tourner vers des publications scolaires ou universitaires. Au fil des équations qui régissent les transformations des systèmes on voit apparaître "quelque chose" que l'on a appelé "énergie", quantité qui a la propriété très remarquable d'être constante au fil du temps pour un système isolé (non soumis à l'action d'autres systèmes). En d'autres termes, pour de tels systèmes, l'énergie se conserve, comme l'exprime le premier principe de la thermodynamique. Soyons plus précis. Que signifie "l'énergie se conserve" ? Imaginons un système (une machine par exemple) qui, entre deux instants 1 et 2 se trouve dans deux états différents (certains de ses constituants se sont déplacés, d'autre se sont échauffés, etc.) Si on fait le bilan de toutes les formes d'énergie présentes à l'instant 1 et de celles présentes à l'instant 2, on peut calculer (parfois mesurer) que ces deux bilans sont égaux. C'est ce que Lavoisier a résumé par une phrase restée célèbre (mais il n'introduisait pas le concept "énergie") : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme», phrase elle-même issue de la maxime du philosophe grec Anaxagore : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ».

Il résulte de ce caractère conservatoire que nous ne pouvons ni créer, ni "dépenser" de l'énergie. Tout ce que nous pouvons faire c'est transformer certaines formes d'énergie en d'autres. Si on s'en tient à ce constat, il n'y a stricto sensu aucune crise énergétique au niveau de la planète (puisque la quantité totale d'énergie se conserve au fil du temps).

Mais là ou le bât blesse c'est que toutes les formes d'énergie ne sont pas égalent utilisables par les humains. Prenons un exemple : je remplis le réservoir de ma voiture avec de l'essence à un certain instant. Au bout de quelques centaines de kilomètres, je vais être obligé de le remplir à nouveau. Tous les raisonnements sur la conservation de l'énergie n'empêcheront pas que mon réservoir va être vide et que je vais faire une nouvelle ponction sur des  réserves fossiles qui deviennent rares ! Quel est ce mystère ? La loi de conservation de l'énergie n'est pas en cause. Effectivement l'essence de mon réservoir a permis que je me déplace, mais elle a aussi servi à échauffer mon moteur, à échauffer mes pneumatiques au contact de la chaussée, à vaincre la résistance de l'air. L'énergie potentiellement contenue dans  mes 40 ou 50 litres d'essence se retrouve bien dans le bilan énergétique. Il n'y a pas eu de "perte", mais production de diverses formes d'énergie que je ne pourrai jamais utilement récupérer.

En résumé, le concept énergétique, que tout le monde semble comprendre intuitivement, est une mesure de la quantité d'énergie et non pas de sa qualité.

Mais peut-on mesurer la qualité de l'énergie ? Il faut s'entendre sur ce que signifie le mot "qualité" et ne pas lui donner un sens anthropomorphique qui signifierait "ce qui nous est utile". Il faut le penser en termes d'ordre et de désordre dans l'organisation de la matière. Sous cette réserve la qualité de l'énergie est mesurée par la variation d'une quantité physique appelée "entropie". La seconde loi de la thermodynamique (dont Einstein avait estimé que c'était la loi la plus importante de la physique classique) nous apprend que l'entropie d'un système isolé (son état de désorganisation) ne peut que croître lors de la transformation des systèmes au cours du temps. Le concept d'entropie est beaucoup moins connu du grand public que celui d'énergie. Sans doute car il est beaucoup moins intuitif et que son exposition rigoureuse demande des développements mathématiques plus élaborés. 

Ce qu'apporte l'entropie au principe de conservation c'est la flèche du temps, le fait que le temps s'écoule dans un sens déterminé (du passé vers le futur). Un exemple : le premier principe nous apprend que si on met côte à côte deux morceaux de métal, l'un chaud et l'autre froid, la température des deux corps va s'uniformiser (le premier devenant plus froid, le second plus chaud). Mais ce même principe n'empêche nullement qu'une seconde transformation thermique se produise, ramenant les deux corps à leurs températures initiales. Or cette transformation est impossible, tout comme est impossible le fait qu'une pierre lâchée d'une certaine hauteur remonte spontanément à son altitude initiale après sa chute. Le second principe de la thermodynamique introduit la notion d'irréversibilité. 

C'est cette irréversibilité qui est la clé de ce que l'on appelle "le problème énergétique" ; c'est elle qui est responsable du fait que, ayant brûlé un morceau de charbon, nous ne pourrons jamais le reconstruire à partir de la chaleur émise. C'est à ce titre que l'on devrait parler aujourd'hui de crise entropique, et non pas de crise énergétique. Mais que changent les mots à la réalité du problème ? Peu de choses si l'on examine les conséquences !

(à suivre dans un prochain article)

jeudi 10 octobre 2019

LE MYSTÈRE DU VOL AJACCIO-NICE (11 SEPTEMBRE 1968)

Emanuel Macron vient de demander à la Ministre des Armées de mettre en oeuvre la procédure de déclassification de certains documents (classés "secret défense") qui pourraient éclairer les circonstances de la tragédie du 11 septembre 1968. Ce jour là la Caravelle effectuant le vol Ajaccio-Nice s'est écrasée en mer peu de temps avant son atterrissage.  Un drame qui a coûté la vie à 95 personnes (aucun survivant).




Que s'est-il passé ? Le quotidien Le Monde du 10 septembre 2019 rappelle ainsi les circonstances de l'accident :

" Ce mercredi 11 septembre 1968, le temps est idéal. Ciel bleu sur toute la ligne entre Ajaccio et Nice. Pas un nuage à l’horizon, aucune turbulence à prévoir. Il est 10 h 30. Le vol AF 1611 a décollé de l’aéroport Campo Dell’Oro il y a une vingtaine de minutes et son atterrissage à Nice-Côte d’Azur est imminent. Dans le cockpit de la Caravelle, le commandant Michel Salomon, 36 ans, 8 745 heures de vol, a prévenu l’équipage. Son copilote, Emile Duvinage, 33 ans, 4 225 heures de vol, et le mécanicien Roger Juan, 39 ans, 4 304 heures de vol, sont fin prêts pour négocier une approche a priori sans problème. A bord, les 89 passagers et les 3 membres d’équipage [NdR : il semble en fait qu'ils étaient 6] ont attaché leurs ceintures. Soudain, à 10 h 31, la tour de contrôle niçoise reçoit ce message : « J’ai le feu à bord. On va crasher, c’est sûr ! » Silence. Deux minutes interminables s’écoulent. A 10 h 33, la tour de contrôle annonce : « Contact perdu à 20 milles au sud d’Antibes». L’appareil a disparu des radars. Il s’est abîmé dans l’eau à proximité de la côte. Moins d’une heure plus tard, les premiers secours arrivent sur zone. Ils repêchent des débris de carlingue, des cadavres déchiquetés, des affaires personnelles… Seuls quinze corps, ou ce qu’il en reste, sont identifiés. Ils seront enterrés au cimetière d’Ajaccio, où un mémorial leur sera consacré".



Le rapport officiel conclut à un incendie dans les toilettes de l'appareil, soit en raison d'une défaillance électrique d'un chauffe-eau, soit d'une négligence. Mais très vite on apprend que des exercices militaires étaient prévus dans la zone : des tirs d'essai de missiles "à blanc". Le vol AF1611 aurait-il été atteint par un de ces engins ? Des experts ont rapidement affirmé que l'hypothèse n'était pas crédible car un missile aurait désintégré l'appareil, alors que les débris (trouvés dans un rayon de 300 m seulement) montrent que l'appareil était intact lors de son contact avec la mer.  Mais ces missiles d'essai sont dépourvus de leurs charges explosives. L'hypothèse  est donc compatible (ce qui ne signifie pas qu'elle est avérée) avec l'impact d'un missile non chargé qui aurait pu endommager définitivement la Caravelle sans la faire exploser.

Au fil de plusieurs enquêtes le doute s'installe : le rapport "officiel" est succinct ; la "boîte noire de l'appareil a été retrouvée mais n'aurait pas pu être exploitée; des témoignages ne sont pas approfondis ; des pièces manquent au dossier ou sont inaccessibles (secret défense). Du côté des autorités, on fait confiance au démenti formel  de l'Armée. Une association a été crée à l'initiative de deux fils de victimes (les frères Paoli) qui demandent (et obtiennent) la réouverture du dossier. Un livre très documenté est publié par les journalistes Jean-Michel Verne et Max Clanet (Secret d'Etat, ed. Ramsay, 2008). Un juge d'instruction est désigné (le juge Chemama) qui estime que la thèse d'un tir de missile accidentel touchant l'arrière de l'appareil « doit être prise très au sérieux », selon un document dont l'AFP a pris connaissance (source : Le Parisien du 5 juillet 2019).

Affaire à suivre donc, en espérant que le déclassement soit effectif et apporte quelques lumières sur un dossier douloureux.