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lundi 27 juillet 2015

NOTE DE LECTURE N° 7 : LA FACE CACHÉE DE L'UNIVERS - UNE AUTRE HISTOIRE DE LA COSMOLOGIE, THOMAS LEPELETIER,, SEUIL

Thomas Lepeletier, titulaire d'un doctorat d'astrophysique, est un chercheur indépendant en philosophie et histoire des sciences. Son ouvrage La Face cachée de l'univers - une autre histoire de la cosmologie (Seuil, 2014) est passionnant et se lit comme un roman. L'auteur a cette qualité rare d'expliquer, sans céder à la facilité, des notions d'accès difficile, tout en évitant les développements mathématiques, ou les démonstrations, qui seraient réservées à des spécialistes.



Rappelons tout d'abord que la cosmologie est la branche de l'astrophysique qui étudie l'origine, la nature, la structure et l'évolution de l'Univers.


L'hypothèse admise aujourd'hui par la communauté scientifique est que l'origine de l'univers est le big bang. Selon cette théorie, l’Univers actuel a émergé d’un état extrêmement dense et chaud il y a un peu plus de 13 milliards et demi d’années, et continue son expansion. Le prêtre belge Georges Lemaître a proposé ce modèle en 1927.

Le but de Thomas Lepeletier n'est pas de confirmer ou d'infirmer cette théorie, mais de montrer que d'autres hypothèses, qui ne sont quasiment plus (ou plus du tout) étudiées, restent crédibles, ou, au minimum, mériteraient des recherches et investigations scientifiques

Deux exemples parmi beaucoup d'autres


1°/ L'expansion de l'Univers

L'astronome américain Hubble, en collaboration avec Milton Humason, établit en 1929 une relation entre la distance des galaxies et leur vitesse d'éloignement. Cette relation est connue sous le nom de loi de Hubble, à l'origine du concept d'expansion de l'Univers. Eh fait, ce qu'a découvert Hubble c'est que toutes les galaxies présentent dans leur spectre un décalage vers le rouge, interprété comme un "effet Doppler",  c'est-à-dire le décalage de fréquence d’une onde (mécanique, acoustique, électromagnétique ou d'une autre nature) observé entre les mesures à l'émission et à la réception, lorsque la distance entre l'émetteur et le récepteur varie au cours du temps. Cette découverte basée sur l'observation et la mesure permit de soutenir la thèse de la théorie du Big Bang. Or il s'avère :
  • d'une part que certaines galaxies présentent un décalage vers le violet et non vers le rouge,
  • d'autre part que le décalage vers le rouge peut aussi être interprété comme le résultat d'une perte d'énergie de la lumière. C'est l'hypothèse émise par l'astrophysicien Fritz Zwicky qui imagine que cette perte d'énergie peut être due à ce qu'il appelle un "frein gravitationnel" dont il admet qu'il ne connaît pas la nature physique. Il souhaite simplement que son modèle soit étudié et fasse l'objet de recherches. Il ne le sera pas.
Bien que Hubble lui-même soit toujours resté réservé sur l'hypothèse d'une expansion de l'Univers, cette hypothèse n'est plus mise en doute depuis les années 60.

2°/ Le rayonnement diffus à 3K ( 3 degrés Kelvin)

Rappelons que l'échelle de Kelvin est une échelle de température décalée de -273,15 degrés par rapport à l'échelle usuelle basée sur le degré Celsius. En d'autres termes l'équivalence en degrés Celsius C d'une température Kelvin  K est : 
C= K - 273,15 K (en fait, la différence entre les deux échelles est beaucoup plus fondamentale qu'un simple changement d'origine ; l''échelle Kelvin est une échelle issue de la thermodynamique et la température zéro K est un zéro absolu qui ne peut jamais être atteint).

En 1955, trois astrophysiciens Hoyle, Bondi et Gold avaient calculé l'énergie d'un rayonnement diffus qui proviendrait, selon eux, de la transformation de l'hydrogène en hélium dans les étoiles. Rien à voir avec le Big Bang puisque de toute façon ce rayonnement n'avait pas été détecté. Les partisans du Big Bang étaient eux aussi convaincus que nous baignons dans un rayonnement diffus mais pour eux il s'agirait d'un rayonnement "fossile", trace rémanente de la naissance de l'Univers, également appelé "fond cosmologique".

Coup de théâtre : en 1964 ce fond diffus est effectivement détecté fortuitement par deux ingénieurs qui ne travaillaient pas du tout sur le sujet ! Hoyle se souvient alors de l'hypothèse de 1955 et, sur la base d'un modèle stationnaire, calcule quelle devrait être la température d'un tel rayonnement : 2,78 K. Quelques années plus tard les mesures actuelles les plus précises fournissent une valeur de 2,728 K avec une incertitude de 0,01 K. La précision du calcul de Hoyle est remarquable ! Les tenants du big bang se contentent d'approximations très variables : 5K, 10K ou même 50K.
En toute rigueur, ces prédictions confrontées aux mesures auraient dû, au minimum, faire l'objet de recherches et observations comparatives. Il n'en a rien été. La découverte du rayonnement 3K a été considérée, par la grande majorité de la communauté scientifique comme la preuve irréfutable de la théorie du big bang.

Pourquoi les cosmologistes font-ils preuve de "rigidité" ?

Outre des arguments purement scientifiques, qui peuvent légitimement (et même obligatoirement) se discuter, les tenants du big bang mettent en avant un curieux argument : le modèle big bang est plus simple que les modèles concurrents stationnaires ou quasi-stationnaires. Or la simplicité n'a jamais été un critère de validité d'une théorie scientifique !

En fait on est en présence de deux types de théorie, avec des variantes diverses, qui portent en elles un débat métaphysique :


  • les unes (le big bang sous toutes ses variantes) qui supposent une origine temporelle de l'Univers ;
  • les autres qui supposent au contraire un infini temporel : il n'y a pas "d'avant", l'Univers a toujours existé avec ou sans modifications.
En quelque sorte, il y a une concurrence entre le néant et l'infini, deux notions qui ne sont pas "raisonnablement" concevables mais dont la première a reçu l'aval des textes fondateurs des religions monothéiste. Le pape Pi XII, très au fait des progrès scientifiques, a d'ailleurs vu dans le big bang le "Fiat Lux" de la Bible, et s'en est réjoui dans un discours prononcé en 1951 devant l'Académie pontificale des sciences.

C'est, à mon avis, parce qu'il y a cet enjeu théologico-philosophique que les positions se sont radicalisées, mais aussi parce que la recherche n'est pas un domaine dénué de passions, de rivalités, d'appétit de notoriété et de hiérarchie.

Conclusion


L'ouvrage de Thomas Lepeletier, nous l'avons dit en introduction de cet article, est passionnant. Mais il ne faudrait pas le réduire à un simple exposé sur une polémique scientifique.

C'est aussi un ouvrage extrêmement pédagogique : sa lecture permet au non-initié de comprendre quels sont les enjeux des recherches, les problèmes posés, les limites de l'expérimentation, les observations disponibles, les questions auxquelles il faut encore répondre pour pouvoir avancer, etc. 

C'est aussi, comme l'indique son sous-titre, " une autre histoire de la cosmologie". Pourquoi "autre" ? Parce qu'on y découvre que ce que le grand public imagine comme une avancée linéaire, est en fait un chemin semé d'embûches, de revirements, parfois d'erreurs ou d'approximations et parfois aussi de jugements lapidaires qui font autorité sans avoir été sérieusement validés. A cet égard, il est souvent fait mention du philosophe Popper qui a établi comme critère de scientificité d'une théorie le fait qu'elle doit être réfutable. Cette expression a parfois été mal comprise : il ne s'agit nullement de dire qu'une théorie est scientifique si on peut démontrer qu'elle est fausse ! Il s'agit de dire qu'une théorie scientifique doit être susceptible, soit par l'expérience, soit par l'observation, d'être validée ou invalidée. Les modèles cosmologiques sont-ils réfutables ? La cosmologie est-elle une science ou un ensemble de spéculations ? Le lecteur de La Face cachée de l'Univers aura tous les éléments pour forger sa propre opinion.

En bref : une lecture vivement conseillée !

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